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STARTUP EN AFRIQUE : COMMENT FINANCER CE NOUVEAU RELAIS DE CROISSANCE

Revue des Ingénieurs (abonnés)

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21/03/2024

Le marché des startups en Afrique est en plein boom et un nombre grandissant d’investisseurs s’y intéresse, des financiers à la recherche de rendements diversifiés, des entreprises à la recherche de relais de croissance et des entrepreneurs et “family offices”1 ayant une appétence pour la technologie et les pays émergents. Si investir dans des startups en Afrique n’est pas intrinsèquement plus risqué qu’en Europe, il est nécessaire de considérer certains aspects importants avant de se lancer, et de travailler avec des partenaires capables de maîtriser ces spécificités.

Par Tamim El Zein, associé fondateur de Seedstars Africa Ventures – tamim@seedstars-africa.vc


M-Pesa, un système de paiement mobile révolutionnaire, est un exemple d’innovation emblématique en Afrique. Lancé au Kenya en 2007 par Safaricom, le principal opérateur de réseau mobile du pays, M-Pesa (“M” pour mobile et “pesa” pour argent en swahili), a révolutionné la manière dont les gens effectuent leurs transactions financières, bien avant l’avènement du paiement mobile dans les économies développées. Sa création a été stimulée par des conditions uniques au Kenya, notamment un manque d’accès généralisé aux services bancaires et financiers traditionnels et une pénétration croissante de la téléphonie mobile. M-Pesa a permis aux utilisateurs d’envoyer et de recevoir de l’argent, de payer des factures et même d’accéder à des services d’épargne et de crédit par l’intermédiaire de leur téléphone portable, éliminant ainsi le besoin d’argent liquide et de banques traditionnelles. Aujourd’hui, M-Pesa compte plus de 30 millions d’utilisateurs au Kenya et traite plus de 230 milliards de dollars de transactions par an, plus de trois fois le PIB du Kenya !

Au même titre que Safaricom a construit une solution innovante permettant d’améliorer l’inclusion financière en Afrique de l’Est, un nombre grandissant d’entrepreneurs s’attaque aujourd’hui aux défis que connaît l’Afrique en développant des startups innovantes qui proposent des solutions adaptées au contexte africain. En effet, le paiement mobile tel qu’on le connaît en Europe, utilisant des smartphones onéreux, gourmands en data, et qui s’appuie sur une infrastructure bancaire développée, n’aurait certainement pas connu le même succès sur le continent africain. Le marché des startups en Afrique est en plein essor. Ainsi depuis 2015, une étude annuelle menée par le fonds de capital-risque Partech Africa montre que le nombre de tours de financement de startups en Afrique a été multiplié par plus que dix (figure 1), quand les montants investis ont eux-mêmes été multipliés par presque dix-huit (figure 2).

Néanmoins, malgré cet engouement grandissant pour les startups africaines et une croissance phénoménale, ces chiffres sont à mettre en perspective d’autres économies: si 4.9Mds de US $ ont été investis en Afrique pour 693 investissements en 2022, ce sont près de 14Mds de US $ qui ont été investis en France pour près de 900 investissements (source : Avolta). Les écosystèmes africains en sont encore à leurs balbutiements.

La question n’est pas tant celle de l’existence d’opportunités de qualité en nombre suffisant, mais plutôt celle de la disponibilité d’une offre de financement suffisante et adaptée pour les entrepreneurs d’une part, et celle d’un accès aux meilleurs entrepreneurs, de la compréhension des marchés sur lesquels ils opèrent et de la capacité à les accompagner pour les investisseurs.

QUEL FINANCEMENT POUR LES STARTUPS EN AFRIQUE?

Historiquement, l’offre de financement privé disponible sur le continent provenait surtout des fonds de private equity. Ces fonds ont jusque-là investi principalement dans des activités traditionnelles (agroalimentaire, distribution, télécommunications, services financiers…). Néanmoins, évoluant avec le marché, ils ont progressivement réduit la taille de leurs tickets vers des montants plus petits et investi dans des secteurs plus innovants, mais en restant concentrés sur des entreprises mûres et déjà rentables, excluant de fait la majorité des jeunes startups. Des fonds de capital-risque ont émergé pour proposer une offre plus adaptée aux startups, mais se sont eux aussi concentrés d’abord sur les entreprises les plus matures ou later-stage, avec des tickets d’investissement rarement inférieurs à 1 ou 2 M de US $. 

A l’autre extrémité de l’offre d’investissement, il y a eu vers la fin des années 2010 un essor du nombre de structures d’accompagnement de startups. On a ainsi vu émerger un certain nombre d’accélérateurs puis de fonds d’amorçage. Ces structures, pour celles qui sont dotées de capacités d’investissement, étaient généralement limitées dans la taille des montants qu’elles pouvaient investir, typiquement de 50 à 200 000 US $. Si leur existence est essentielle au développement d’écosystèmes dynamiques, elle est insuffisante s’il n’existe pas d’acteurs capables de prendre le relais pour accompagner les startups et leur permettre d’atteindre les critères d’investissements des acteurs cités précédemment. 

Ce morcellement de l’offre de financement et la taille des tickets disponibles en early-stage rendent les levées de fonds particulièrement laborieuses et longues pour les entrepreneurs africains qui doivent souvent syndiquer un grand nombre de “petits” tickets pour boucler leurs tours de table. La quasi-absence d’investisseurs capables de soutenir seuls une part importante d’un tour de table, envoyant ainsi un signal fort à de potentiels co-investisseurs, freine d’autant les levées de fonds.

1 SEUL CONTINENT, 54 ÉCOSYSTÈMES

Quatre écosystèmes captent l’énorme majorité du financement à destination des startups. Le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Égypte et le Kenya ont capté ensemble 72% des montants investis dans l’innovation en 2022, avec cependant des sous-jacents différents: l’Afrique du Sud est l’une des économies les plus matures et diversifiées d’Afrique, le Nigéria et l’Égypte disposent de marchés intérieurs colossaux avec plus de 200 et 100 millions d’habitants respectivement, et le Kenya a été l’un des premiers écosystèmes de startups à émerger avec un contexte local favorable. 

Les fonds de capital-risque se concentrent sur ces quatre écosystèmes prépondérants. La taille moyenne des fonds de capital-risque créés en Afrique en 2022 étant de 40 M de US $ (source : AVCA), la majorité de ces fonds n’ont pas les ressources suffisantes pour être en mesure de couvrir plus que ces principaux marchés.

Ce paradigme exclut des pays ayant un écosystème entrepreneurial florissant, mais qui se trouvent de fait exclus de la scène de financement. Il apparaît donc nécessaire de créer des fonds plus grands qui, avec plus de moyens, sauront pallier ce problème et couvrir plus de marchés. Des fonds panafricains sont par ailleurs plus à même de construire des ponts entre les écosystèmes et d’accompagner les startups dans leur internationalisation, d’autant que les problématiques adressées par les startups se retrouvent souvent dans de multiples pays.

COMPRÉHENSION LOCALE…

Investir dans des startups africaines nécessite une compréhension forte du contexte local de ces entreprises. Les acteurs implantés localement et/ou bénéficiant d’une expérience africaine forte sont mieux positionnés pour avoir la connaissance suffisante de ces contextes locaux favorables au succès des startups innovantes. Ces dernières années, un nombre conséquent d’investisseurs non africains se sont intéressés au continent en cherchant à y répliquer des innovations, des modèles d’affaires ou de valorisation occidentaux. Beaucoup ont échoué, démontrant la nécessité d’une compréhension du contexte local et le besoin de soutenir des startups profondément africaines. 

Dans les écosystèmes matures, les startups peuvent intégrer dans leur produit des briques de services existantes (solutions de paiement, de livraison…). En Afrique, les startups doivent souvent elles-mêmes développer ces éléments qui n’existent pas ou ne sont pas adaptés aux besoins locaux. Par exemple, devant la faible pénétration du paiement par carte bancaire, les premières sociétés de e-commerce africaines ont dû développer elles-mêmes des solutions de paiement adaptées: acceptation du paiement en mobile, cash-on-deliver… Si des intégrations sont à présent possibles pour ces services-là, les manques persistent dans d’autres domaines et il est nécessaire de les comprendre pour y investir. 

 ET SUPPORT LOCAL…

Avec la bonne compréhension locale, il n’est pas plus compliqué ou risqué d’investir dans des startups africaines qu’occidentales. En revanche, il reste difficile pour un investisseur non africain d’apporter un support opérationnel adapté localement. 

Les startups africaines font face à des enjeux sensiblement différents de ceux rencontrés par leurs pairs occidentaux. Les startups doivent par exemple s’internationaliser très tôt afin de ne pas être limitées par des marchés intérieurs souvent restreints et afin de diversifier leur exposition pays. Un investisseur présent sur le Continent sera plus à même d’apporter du support dans cette internationalisation qu’un investisseur occidental. 





QUEL AVENIR POUR LE MARCHÉ ? 

Une nouvelle génération de fonds de capital-risque africains est en train d’émerger dans ce contexte. Ainsi le fonds Seedstars Africa Ventures a été créé avec l’ambition de pallier ces manquements, en investissant des montants initiaux compris entre 250000 et 2 M de US $ – créant ainsi une continuité entre les poches de capital existantes en amorçage et en later-stage – et en prenant des positions de leader afin de fédérer plus facilement des tours d’investissement. Seedstars Africa Ventures a été créé par Tamim El Zein, Maxime Bouan et Bruce Nsereko Lule, trois associés qui bénéficient d’une expérience cumulée de près de 30 ans en Afrique, leur donnant une excellente compréhension des enjeux locaux. Avec une taille finale cible de 100 M de US $ et une équipe sur le continent, le fonds a pu développer une présence dans 25 pays d’Afrique lui permettant d’être réellement panafricain et de mettre en place des outils de support opérationnel fort au bénéfice de ses sociétés de portefeuille. Créé en partenariat avec LBO France, ce fonds est aujourd’hui soutenu notamment par la Banque européenne d’investissement et la Banque africaine de développement, et permet à des investisseurs occidentaux d’avoir accès au marché africain des startups avec l’assurance d’appréhender correctement ses spécificités et ses enjeux. Si Seedstars Africa Ventures contribue à répondre aux manquements du marché, il faudra encore de nombreux fonds similaires pour poursuivre le développement des écosystèmes de startups africains. ▲


Tamim El Zein

Tamim El Zein est l’un des associés fondateurs de Seedstars Africa Ventures, un fonds de capital-risque investissant en Afrique. Ayant une grande expérience de l’entrepreneuriat et des marchés émergents, Tamim a cofondé ce fonds en 2019 après avoir été consultant en stratégie chez Arthur D. Little, strategy manager chez Idemia, le leader mondial des solutions de paiement, et Investment Director chez Newfund, un fonds d’early-stage français. Tamim a également été entrepreneur, y compris en Afrique, ce qui lui permet d’appréhender parfaitement les enjeux des startups, particulièrement sur ce continent. Il est aujourd’hui basé entre la France et le Kenya.


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