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ACTION HUMANITAIRE EN AFRIQUE : RETOUR D’EXPÉRIENCE DE MPH

Revue des Ingénieurs (abonnés)

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21/03/2024

Créée en 1997 par le Dr Michel Sousselier avec l’aide de praticiens hospitaliers, la petite ONG Missions Pharmaceutiques Humanitaires a fonctionné pendant plus de 20 ans. Ses actions humanitaires se sont arrêtées aujourd’hui en Afrique en raison de l’instabilité dans les régions sahéliennes… l’occasion d’un retour d’expérience sur ce qui fonctionne et ne fonctionne pas.

Par Michel SOUSSELIER, pharmacien-chef au Centre Hospitalier de Périgueux - michel.sousselier@sfr.fr


Missions Pharmaceutiques Humanitaires (MPH) avait pour but la logistique, la création de pharmacies villageoises et de circuits d’approvisionnements, l’établissement de listes de médicaments essentiels adaptées aux pathologies locales, la formation d’équipes sur place, des conseils, etc. Pendant 20 ans, ces buts ont été largement atteints, mais ces actions humanitaires se sont aujourd’hui sont arrêtées. En France, MPH poursuit son activité dans son centre de soins gratuits (consultations médicales, soins infirmiers, soins dentaires, médicaments gratuits, réseaux de spécialistes) pour les plus démunis, ouvert en 1999. Son fonctionnement est toujours assuré uniquement par des professionnels de santé bénévoles.

UNE RÉUSSITE: LA LUTTE CONTRE LA TRANSMISSION MÈRE-ENFANT DU VIH AU BÉNIN

Le Sida a occupé une bonne partie de ma vie professionnelle. Dans le cadre de mon travail de pharmacien hospitalier, je faisais partie d’une équipe de formateurs pour les médecins généralistes et les pharmaciens d’officine du département. Je me tenais au courant des traitements et lisais tous les articles scientifiques concernant le VIH. Un jour je découvris l’article “Hivnet 012” de Lara Guay et ses collègues sur la prévention de la transmission mère-enfant du VIH en Ouganda. Les femmes recevaient une dose unique de 200 mg de névirapine au début du travail, et leur nourrisson une dose unique de 200 mg par kilogramme de névirapine dans les 72 heures qui suivent la naissance. Mes voyages humanitaires en Afrique de l’Ouest m’avaient montré que le protocole Hivnet était inapplicable en mode routinier en Afrique, en raison principalement de la dose de névirapine reliée au poids du bébé et de l’utilisation d’un sirop. 

Nous avons travaillé et rédigé un protocole d’application simple, dérivé du protocole Hivnet, mais adapté aux réalités africaines, le “MPH Nev-7”. Il fallait d’abord qu’un dépistage systématique du VIH soit proposé gratuitement à toute parturiente. Le test “Determine” d’Abbott, pratique et fiable, applicable partout, fut préconisé. L’utilisation de ces tests rapides était alors interdite en France et n’y a été autorisée que dix ans plus tard.

Le MPH Nev-7 proposait pour la mère, comme pour Hivnet, un comprimé de Viramune 200 mg au début du travail, puis une désinfection des voies vaginales de la mère avec du chlorure de benzalkonium en tube-canule jetable de 54 mg. Pour le bébé, l’idée était de fournir une dose orale de 7 mg de Névirapine, qui serait donnée dans les 72 heures après la naissance, quel que soit le poids du bébé. En outre, nous proposions un lavage systématique du bébé à l’eau savonneuse, séchage et badigeonnage avec de la chlorhexidine aqueuse à 0,05 % en dose unique ; concernant l’allaitement maternel, un sevrage précoce à l’âge de 4 mois puis utilisation d’aliments alternatifs locaux (Rimalait ou aliments traditionnels).

Pourquoi avoir choisi le Bénin ? Parce que le pays est francophone et que la France y était la bienvenue, et qu’elle jouissait alors depuis des années d’une situation politique stable avec des alternances démocratiques successives. La ministre de la Santé du Bénin m’avait déjà reçu lors d’un précédent voyage, et nous avions pu avoir une discussion intéressante sur l’approvisionnement en médicaments. Après une présentation complète à la ministre, notre protocole MPH Nev-7 a été accepté, mis en priorité dans son programme national de lutte contre le Sida (PNLS) et appliqué immédiatement.

MPH a assuré l’approvisionnement de tous les médicaments et consommables: les tests de dépistages, commandés en Allemagne et livrés au Bénin, ainsi que les comprimés de Viramune pour les mères. Nous avons fait fabriquer et livrer à Cotonou les doses unitaires de 7 mg de névirapine. Pour assurer le succès de la mission, MPH a envoyé une petite équipe de spécialistes pour assurer la formation de plus de 500 sages-femmes et infirmières pédiatriques. Le remboursement des achats fait par MPH pour les tests, médicaments et consommables a été réglé par le ministère de la Santé du Bénin, mais subventionné par la coopération française. Les frais de fabrication, de formation et les voyages ont été offerts par MPH. 

Pour évaluer l’application à grande échelle du protocole MPH Nev-7, le Programme national de lutte contre le Sida (PNLS) de Cotonou a lancé une vaste étude pour vérifier le bien-fondé de son utilisation. 500 femmes enceintes VIH+ de 36 services de santé de Cotonou et de sa région étaient impliquées. Les objectifs spécifiques étaient d’évaluer le pourcentage de gestantes qui acceptent le test de dépistage, la proportion d’entre elles qui acceptent le protocole de prise en charge correctement suivi, le taux de nourrissons sevrés à l’âge de quatre mois, le risque de malnutrition lié au sevrage précoce des nourrissons, la réduction de la transmission mère-enfant du VIH/Sida chez les nourrissons par recours à la névirapine et au sevrage précoce. 

Le Bénin a été le premier pays d’Afrique de l’Ouest à s’engager, grâce à notre protocole, dans la lutte contre la transmission mère-enfant du VIH. Le pays devenu leader dans la lutte contre le Sida et son travail s’est répandu dans les pays voisins et l’État béninois a reconnu le rôle majeur de MPH dans cette lutte. Depuis lors, la dose unique de névirapine, critiquée au départ, a été enfin préconisée par le laboratoire commercialisant la Viramune. 

LES RAISONS DE CETTE RÉUSSITE 

Un besoin clairement exprimé par le Bénin, mais aussi la participation très active de son gouvernement: il a pris le relais et s’est approprié l’action pour devenir autonome.

Un pays politiquement stable. 

Une collaboration étroite entre une ONG très spécialisée et très réactive dans le domaine pharmaceutique et le ministère de la Santé du Bénin.

Une rigueur dans le protocole et une étude sérieuse objectivant l’intérêt majeur du protocole.

La prise en compte des facteurs culturels et sociaux pour garantir que les interventions sont respectueuses des valeurs et des coutumes locales. L’application stricte du modèle occidental en Afrique est souvent un frein, car il est parfois inadapté, mal expliqué, mal perçu. Notre modèle occidental est en général le reflet de nos systèmes économiques, industriels, sociaux et culturels. Il est le fruit du contexte historique et n’est souvent pas applicable stricto sensu en Afrique. Il faut s’adapter aux réalités du terrain ! 

Une étude des ressources locales (fabrication d’aliments alternatifs pour bébés), qui sont utilisées quand c’est possible.

La femme en Afrique : un atout majeur. Par son travail et son idéal, elle contribue à aller vers plus de prospérité. Notre interlocutrice, la ministre de la Santé du Bénin, médecin et première femme agrégée de cardiologie en Afrique de l’Ouest, d’expression française, possédait une très bonne expérience de terrain, et était bien entendu totalement attentive à la protection du nouveau-né.

L’ÉCHEC EN RDC: UNE MISSION SANS FIN

L’Objectif de la mission était d’apporter une expertise et une aide technique pour l’approvisionnement en médicaments de l’hôpital de référence de Kinkondja (150 lits), une localité importante du territoire de Bukama dans le district de Haut-Lomani au Katanga. 

La mission a été effectuée sur la demande de la Congrégation Notre-Dame, Chanoinesses de Saint-Augustin (Belgique), qui aidait financièrement et par la présence de personnels cet hôpital de référence qui rencontrait d’énormes problèmes de toutes sortes. Précisons que MPH est une association apolitique et laïque qui s’est mise au service de toute bonne cause dans le domaine de ses compétences. 

Le rapport d’expertise de la mission est alarmant:

• L’accès routier est quasiment inexistant, et la circulation très difficile même en saison sèche. La population est complètement enclavée. • La structure correspond assez bien aux besoins, mais l’hôpital n’est pas clos et cela entraîne des nuisances, vagabondage d’animaux, vols…

• L’hôpital n’a ni eau courante ni électricité, et les conditions d’hygiène sont dramatiques.

• La pénurie de médicaments et de matériel médical est quasiment totale.

• Le personnel infirmier est en nombre suffisant, mais la présence du personnel médical est totalement insuffisante.

• Il y a une insuffisance criante des infrastructures sanitaires.

• Un faible accès aux soins de santé primaires.

• Pour les épidémies de rougeole et de choléra, qui reviennent régulièrement, les missions des grandes ONG sont ponctuelles et elles n’agissent que sur le court terme.

• Les pathologies les plus fréquentes rencontrées sont la malnutrition, le paludisme, la rougeole, le choléra, les diarrhées aiguës, les infections respiratoires, la tuberculose, les méningites, la typhoïde, les amibiases, le tétanos, les schistosomiases, les anémies, les IST, les piqûres de serpents… et le VIH est toujours très présent. L’action de MPH, sur une mission de 3 semaines, a été la suivante :

• Évaluation et quantification des besoins en fonction des pathologies.

• Définition d’une liste des médicaments essentiels nécessaires et adaptés aux pathologies locales avec étude des coûts afférent.

• Détermination de prix de vente pour les patients non hospitalisés

• Déplacement, sécurisation et mise en fonction de la pharmacie de l’hôpital

• Établissement de circuits d’approvisionnement

• Formations du personnel de la pharmacie hospitalière et des structures sanitaires voisines à une gestion simple (stocks, commandes, choix des médicaments essentiels, conservation des médicaments…).

L’aide technique bénévole de MPH, comme l’aide aux choix des médicaments et à la commande de médicaments à distance, par internet, a fonctionné à moyen terme puis a cessé. Si les bons principes de gestion étaient acquis, la logistique ne pouvait pas suivre.

LES RAISONS DE CET ÉCHEC

L’insécurité, un problème majeur dans la province du Katanga : vols à main armée, viols, meurtres, kidnappings et pistes dangereuses de jour comme de nuit, rendent l’approvisionnement très aléatoire. Le fleuve Congo, navigable en théorie, est dangereux car les barges se renversent facilement. Les affrontements interethniques sont constants ainsi que les violations et atteintes aux droits de l’Homme, le tracé des frontières a été fait de manière arbitraire. 

La logistique est la principale difficulté, en raison du très mauvais état des voies de communication et de leur dangerosité.

La corruption est généralisée. Le responsable provincial santé m’avait dit d’emblée, “vous me donnez tout, et après on verra”, ce à quoi je lui avais répondu “je vous donne 100% de mon expérience, et après on verra”! Au niveau régional, j’ai étudié toutes les sources d’approvisionnement de médicaments. Il y avait le pire et le meilleur: produits des grands laboratoires pour les gens aisés, produits indiens souvent de bonne qualité et en emballage unitaire, produits chinois vendus en vrac et d’une qualité plus que douteuse… Tout cela fait que ces médicaments sont achetés au moins-disant et rarement au mieux-disant. Un choix judicieux des médicaments et des fournisseurs, permettrait de soigner mieux et moins cher. Les discussions avec les autorités sont difficiles, voire impossibles.

CE QU’IL FAUT RETENIR 

On m’a demandé depuis de repartir en RDC, à Lubumbashi puis Kinkondja, mais j’ai choisi d’autres destinations. De toutes les missions qui m’ont conduit pendant plus de vingt ans de Haïti au Vietnam, du Cameroun au Togo, de nombreuses expertises et formations organisées, et de nombreux projets qui ont pris corps ou échoué (comme en Irak par exemple), les principaux enseignements que j’ai pu en tirer est qu’on doit: 

• Apporter une vraie compétence, trop d’actions dites humanitaires ne sont que du voyeurisme.

• Déterminer un objectif.

• Comprendre les besoins locaux.

• Trouver des partenaires locaux motivés, qui une fois formés continueront l’action engagée afin que la communauté puisse se prendre en charge.

• Évaluer les résultats.

• Respecter les valeurs, les croyances, la culture, les coutumes locales et s’adapter.

• Utiliser le plus possible les ressources locales disponibles. ▲


Michel SOUSSELIER,

Le docteur Michel Sousselier, praticien hospitalier, pharmacien chef aux Antilles, puis à Bordeaux et enfin à Périgueux, a consacré ses temps libres à l’aide humanitaire. Ancien formateur en appui aux initiatives de développement, fondateur en 1997, de l’association Missions Pharmaceutiques Humanitaires, mais homme de terrain, il a monté pendant plus de vingt ans des actions humanitaires très spécialisées dans le domaine pharmaceutique.

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