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LE NUMÉRIQUE AU CAMEROUN

Revue des Ingénieurs (abonnés)

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21/03/2024

Malgré le peu de statistiques disponibles, l’infrastructure numérique camerounaise est en progression. Il faut cependant poursuivre les efforts sur toutes les briques de l’écosystème. Intervenir sur des projets de transformation m’a permis ces dernières années d’être le témoin d’importantes mutations en Afrique découlant du numérique. Chiffres et état des lieux. 

Par Claude-Aimé MOTONGANE, directeur des opérations de GAST, conseils en systèmes et logiciels – ca.motongane@gast-gh.com 


Il fut un temps où passer un appel téléphonique en Afrique était un luxe. J’ai vu comment la téléphonie mobile s’est petit à petit installée, permettant l’envoi d’argent (via mobile money), apportant la communication dans les lieux les plus reculés et, au fur et à mesure, de nouveaux services et opportunités à toutes sortes d’acteurs locaux. Le numérique est devenu incontournable en résolvant des tracas du quotidien, et s’est imposé comme un moteur économique majeur. Selon le rapport Impact Endeavour (une fondation américaine fournissant des statistiques économiques) du 9 juin 2022, le potentiel de l’économie numérique en Afrique sera multiplié par six d’ici 2050, pour atteindre 712 milliards de dollars contre 115 actuellement. En 2025, un utilisateur d’internet sur six dans le monde se trouvera en Afrique, ainsi que 33% des nouveaux abonnements mondiaux de téléphonie mobile.

Voilà pourquoi j’ai décidé de partager le cas de l’infrastructure numérique au Cameroun: vaste défi national lancé par ce pays pourtant victime de l’effondrement du cours des matières premières et de la guerre en Ukraine.

LA STRATÉGIE NUMÉRIQUE DU CAMEROUN

Pour sa stratégie de transformation digitale, le Cameroun fait face à 7 défis majeurs:

• Porter la télédensité (le nombre de lignes par habitant) fixe à 45% et mobile à 65%;

• Doter 40 000 villages d’infrastructures télécom modernes;

• Atteindre un débit de transfert data à 3800 Mb/s;

• Multiplier par 50 le nombre d’emplois inhérents directs et indirects;

• Faire évoluer le cadre légal, réglementaire et institutionnel ;

• Améliorer l’offre de services en quantité, en qualité et à des prix abordables;

• Accroître l’utilisation des TIC et densifier le tissu industriel des entreprises du secteur.

La stratégie repose sur 4 piliers:

• Développer les infrastructures large bande ;

• Accroître la production et l’offre de contenus numériques;

• Développer une industrie du numérique ;

• Encourager la recherche et l’innovation.

Elle se décline en 5 chantiers:

• Transformer les Administrations et les Entreprises; •

 Promouvoir et généraliser l’usage des TIC;

• Renforcer la confiance ;

• Développer le Capital humain et le Leadership;

• Améliorer la gouvernance et l’appui institutionnel.

CÔTÉ RÉSEAUX, UN NET RETARD PAR RAPPORT AU RESTE DE L’AFRIQUE

L’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications au Cameroun est consacrée par la loi n°98/014 du 14 juillet 1998 fixant l’exploitation des réseaux en vue de la fourniture des services de télécommunications, aux opérateurs titulaires de concession de services publics et aux fournisseurs de services à valeur ajoutée.

Le Cameroun compte trois principaux opérateurs dédiés “téléphonie mobile” – MTN Cameroun (11,1 millions d’abonnés en 2021), Orange Cameroun (11,8 millions), Viettel (2,3 millions) Cameroun – ainsi qu’un opérateur de téléphonie “mobile/fixe” et de “fourniture fibre et transport”, Camtel (1,8 million d’abonnés en 2021). 

Selon l’Union internationale du travail, le Cameroun occupe en matière d’infrastructures télécom le 20e rang en Afrique et le 118e rang mondial. S’il reste globalement importateur de ses infrastructures télécom (et de l’ensemble du matériel informatique et des composants électroniques présents sur le territoire), le pays envisage pour y pallier la création de Technopoles, dont les études complémentaires seront financées par la Banque africaine de développement. 

Les services de téléphonie sont regroupés sur 4 segments: téléphone fixe, téléphone fixe large bande, téléphones mobiles et téléphones mobiles large bande. Les taux de pénétration de la téléphonie fixe et celui de la téléphonie fixe large bande pour les onze pays de la CEEAC (Communauté économique des États de l’Afrique centrale) en 2017 sont extrêmement bas (de 0 à 4%) et ont une moyenne sous -régionale respective de 0,87% (fixe) et 0,18% (mobile). Ces taux sont inférieurs à la fois à la moyenne africaine et à la moyenne mondiale (12,4% pour la téléphonie fixe). 

Pour les services de téléphonie mobile et mobile large bande, les taux de pénétration pour les pays de la CEEAC en 2017 sont en constante progression d’une année à l’autre, avec une moyenne sous -régionale respective 65,81% et 22,48%, proches de la moyenne africaine, mais toujours en deçà de la moyenne mondiale (respectivement 103,6% et 62%).

Pour “la large bande”, en l’absence de mesures périodiques, on constate des vitesses de transmission de quelques Mb/s (inférieures à 10) généralement en dessous de la tendance mondiale.

Le réseau de transport national terrestre à fibre optique dispose d’un linéaire d’environ 12000 km. 10 régions sur 10, 52 départements sur 58 et 209 arrondissements sur 360 ont accès à la fibre optique. Au niveau de la CEEAC, le Cameroun et le Congo disposent chacun de deux IXP (point d’échange internet), et l’Angola, le Burundi, le Gabon, la RDC et le Rwanda possèdent chacun un IXP. Trois pays de la CEEAC (Gabon, Congo, Rwanda) ont des RIXP (Regional internet Exchange Point). 

Des projets de liaisons interpays sont en cours, notamment entre le Cameroun et le Tchad, entre la Guinée équatoriale et el Cameroun, et entre le Congo et le Gabon. Pour la sécurisation des transactions, le Cameroun, le Gabon et le Rwanda ont mis en place une infrastructure à clé publique.


NUMÉRISATION DES SERVICES PUBLICS (E-GOV) 

Le e-GOV concerne l’ensemble des services de l’administration traités par le numérique (paiement des impôts, frais d’inscription, paiement des passeports, etc.). Selon une enquête réalisée par Ecofin en 2022 sur le niveau d’équipement TICs des administrations du Cameroun, le taux moyen de pénétration dans les services centraux des ministères et certaines administrations/institutions est d’environ 42 ordinateurs pour 100 personnes. 

Le débit moyen de l’internet dans les administrations est de 4Mb/s, soit environ 1,55 Kb/s par tête, ce qui est largement en dessous de l’objectif d’un accès large bande, estimé à 2Mb/s. 

Selon le classement des Nations Unies, le Cameroun affiche un indice de développement e-GOV d’une valeur de 0,449 et occupe la 144e place sur 193 pays. Si le capital humain est acceptable, les infrastructures et les services en ligne sont insuffisants. Le Cameroun occupe le second rang de la CEEAC, derrière le Gabon classé 113e, et demeure fort loin de la Tunisie, premier pays en Afrique.

SERVICES TIC: FAIBLES NIVEAUX DE LA PRODUCTION, DE VALEUR AJOUTÉE, D’EMPLOIS GÉNÉRÉS ET DE REVENUS DISTRIBUÉS

Les services des TIC (Technologies de l’information et de la communication) couvrent principalement quatre activités: l’édition de logiciels, les services de télécommunications et services connexes, les services de programmation informatiques, conseils et activités connexes, et enfin les services de réparation d’ordinateurs et de matériel de communications. 

Selon le Plan Stratégique Cameroun numérique 2020, les télécommunications constituent l’une des branches les plus importantes de l’économie du Cameroun, avec une contribution au PIB de près de 5% en 2014 contre 1,4% en 2000. Selon le ministère des Finances du Cameroun, en 2017, le chiffre d’affaires des télécommunications réalisé par les opérateurs titulaires d’une concession de services publics uniquement (Camtel, Orange, MTN, Nexttel) se situait à 580,5 milliards de FCFA, soit 882 millions d’euros.

L’évaluation des performances e-commerce d’un pays est calculée à travers l’indice du e-commerce B2C basé sur les pourcentages d’individus ayant accès à internet, de titulaires d’un compte auprès d’établissements financiers, sur le nombre de serveurs sécurisés et la qualité de la chaîne logistique. Selon les données disponibles en 2017, le Cameroun occupe la 10e et le Gabon la 12e place en Afrique sur 44 pays. Sont également classés Rwanda (19e ), Angola (29e ), Congo (38e ), Burundi (44e), RDC (41e ) et Tchad (43e ).

En matière de E-santé, de nombreux projets de startup sont à l’étude pour offrir des services de médecine à domicile, télémédecine et médecine de famille accessible via des plateformes en ligne. Quatre centres hospitaliers camerounais sont connectés à un réseau de télémédecine. Le développement d’applications, telles que Cardiopad ou Giftedmom, offrant des services de téléconsultation et un accès à des spécialistes (cardiologue, obstétricien, etc.), accroît la couverture santé sur l’ensemble du territoire face aux divers déserts médicaux. 

Concernant la E-éducation et le e-learning: 28 des 33 sites universitaires et 50 lycées disposent de connections internet. S’il existe très peu de bibliothèques numériques, le Projet “e-national higher education network”, mené par le ministère de l’Enseignement supérieur, vise à digitaliser toutes les universités au travers d’infrastructures (réseaux, télécommunications, datacenters).

Cybercriminalité : selon une enquête de l’École Polytechnique de Yaoundé, 26,9% des administrations camerounaises interrogées disposent d’un personnel dédié à la sécurité de l’information. Peu d’entreprises possèdent des experts cybersécurité, leurs systèmes d’information sont donc insuffisamment sécurisés face au piratage. La région CEEAC tente de construire une réglementation sur les données à caractère personnel, voisine du Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Europe. Du côté des standards, l’ANTIC (Agence nationale des TIC du Cameroun) tente d’imposer aux administrations camerounaises les normes ISO/IEC 2700x.

INTERNET ET SES USAGES

Datareportal, (bibliothèque de référence en ligne1 ) a fourni en février 2023 un rapport sur l’utilisation du numérique au Cameroun entre 2022 et 2023. Il en ressort que 12,89 millions de personnes sont connectées à internet, soit un taux de pénétration de 45,6% de la population totale (28,28 millions). La figure 1 donne l’état des lieux des appareils connectés en janvier 2023 au Cameroun.

On compte 3,90 millions d’utilisateurs de médias sociaux en janvier 2023, soit 13,8% de la population totale. La vitesse médiane de connexion internet mobile serait de 10,55 Mbps, tandis que celle de l’internet fixe serait de 8,41 Mbps. L’utilisation des médias sociaux continue d’augmenter au Cameroun avec 43,4% d’utilisateurs féminins contre 56,6% d’hommes. La répartition d’abonnés sur les réseaux est de 467 000 pour Instagram, 204000 pour Twitter et 960000 pour Linkedln.

Cryptomonnaie : le Cameroun est le deuxième pays d’Afrique centrale, en termes d’utilisations de la cryptomonnaie après la République démocratique du Congo (2,03 millions). C’est du moins ce que révèle Triple A dans son classement 2022 des pays africains ayant le plus grand nombre de détenteurs de cryptomonnaies.

E-banking : malgré un taux de bancarisation estimé à 12%, nous ne disposons pas de véritables statistiques sur l’état du e-banking au Cameroun. Nous constatons toutefois une forte évolution dans ce domaine comme dans la plupart des pays africains. Or, les technologies financières se diffusent en Afrique ; les investissements dans ce secteur ont dépassé 2 milliards de dollars en 2021, sans pour autant atteindre le degré de développement à partir duquel les économies peuvent en tirer parti pour soutenir le financement d’activités productives à valeur ajoutée.

L’argent mobile ne sert encore en Afrique qu’à octroyer des micros prêts à court terme. Les paiements et les transferts de fonds (26% des transactions en 2021), les prêts entre particuliers (19%) et la technologie de gestion du patrimoine (14%) sont les moteurs du secteur africain de technologies financières. À défaut de statistiques spécifiques au Cameroun, la figure 2 présente les investissements en Afrique sur les technologies financières de 2017 à 2021.

Au Cameroun, les startups sont encore à leurs débuts. Les premières étaient des cybercafés, puis on a vu naître de véritables initiatives dès 2010 avec la prolifération des smartphones et l’apparition du service mobile money. Le projet KMETECH, financé par l’Union européenne, a réalisé une étude menée sur la startup moyenne au Cameroun. Parmi les chiffres, retenons que 49,91% dépassent la phase de prototypage, 34,19% couvrent leurs charges, 79,65% sont dépourvus d’email professionnel et que 85,5% des dirigeants sont des hommes, 89,6% ayant fait des études supérieures. ▲


Claude-Aimé MOTONGANE

Aujourd’hui directeur associé au sein de GAST, société spécialisée en développement d’applications financières, Claude-Aimé Motongane a précédemment occupé les fonctions de DSI du groupe Kappa, Absyss, Sprint Pay, DNV MidMed, Pechiney Emballages.... Membre de l’association “X-Mines Auteurs”, il est auteur de nombreux ouvrages techniques et de romans (https://bit.ly/Mines522-CAM).

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