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LE REGARD DÉCALÉ DE JEAN-FRÉDÉRIC COLLET (N68)

Revue des Ingénieurs (abonnés)

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21/03/2024

L’Afrique, un continent qui nous interpelle… vraiment ?

Le champ de ce dossier est tellement vaste qu’un “regard décalé” risque vite d’être un regard dispersé. On se souvient, pour planter le décor, de L’Afrique Noire est mal partie, de René Dumont (1962) qui à l’époque (le livre a été réédité depuis) passait méthodiquement en revue les handicaps du continent africain : les problèmes agricoles, la gestion des conséquences de la décolonisation, la malgouvernance qui pointait… Qu’en est-il, un gros demi-siècle plus tard ?
Le continent africain a fait l’objet dans la littérature d’un nombre inépuisable de clichés. Commençons donc par éliminer. À tout seigneur, tout honneur : Tintin au Congo (Hergé, 1931) et son folklore paternaliste (mais on peut continuer à le lire en cachette, bien sûr !).
Un autre biais d’observation, celui-là pleinement assumé, se retrouve dans le film Coup de Torchon (Bertrand Tavernier, 1981). Un échantillon d’Européens prédateurs, échoués là – peu importe dans quel pays d’Afrique, qui n’est ici qu’un terrain de jeu – chacun aux prises avec ses propres dérives. Le bouffon et le grinçant s’imbriquent, d’un bout à l’autre.
Pour faire bonne mesure, on est au regret de mettre dans le même sac La ferme africaine (Karen Blixen, 1937), méditation nostalgique sur une forme de paradis perdu. L’Afrique ici n’est pas caricaturée, mais idéalisée  ce qui finalement revient au même.



Alors ? Au-delà des raccourcis exotiques, que reste-t-il ? Les pays africains peuvent-ils avoir d’autre perspective qu’être les bons élèves d’une “classe” dirigée par les grands pays occidentaux ? La démocratie représentative pluripartisane, décalquée du modèle occidental, est une greffe qui visiblement a du mal à prendre les événements actuels/récents au Niger en témoignent. Serait-il utopique ou déraisonnable  sans être automatiquement taxé de paternalisme ou de néo-colonialisme  d’imaginer que dans cette région soient envisagés des modes de fonctionnement tout aussi pluralistes, mais qui tiennent compte de l’omniprésence des réalités communautaires  (ce n’est pas forcément un gros mot) ? À défaut, le continent africain restera durablement le champ d’influences extérieures1, et l’alternative sera l’embrigadement sous la coupe de “régimes forts” aux mains d’un clan ou d’une clique le Gabon des Bongo en est un exemple récurrent. Et le fantôme d’un Prigojine continuera à rôder ici ou là…

Nous allons tout de même sacrifier à la tradition ‘revue littéraire’ de cette rubrique avec trois références, forcément arbitraires et volontairement disparates : Main basse sur le Cameroun, de Mongo Beti, présente “une version non autorisée de l’histoire de la décolonisation” (préface à l’édition 2010), puisque sera interdit en France à sa sortie en 1972. Ce petit ouvrage, resté longtemps clandestin, est souvent considéré comme le dépositaire d’une vision alternative du développement des démocraties africaines.  King Kasaï de Christophe Boltanski (collection Ma nuit au musée, éd.Stock, 2023), un vagabondage à la fois balisé et mystérieux. Le principe : un auteur se laisse enfermer une nuit dans un musée… Ici le Musée royal de l’Afrique centrale, rebaptisé Africa Museum, à Tervuren, un faubourg de Bruxelles. Un parcours initiatique peuplé d’ombres, mais ancré dans une réalité très concrète : l’exposition coloniale de 1897 en est l’un des points de repère, particulièrement instructif. Ajoutons pour le visiteur que la fin du parcours d’accès par le tram, dans la forêt, est déjà un dépaysement…

Signalons pour finir l’excellent dossier Depuis l’Afrique paru dans la revue Esprit (n° 466, juillet-août 2020). Dans un arrêt sur image qui trois ans plus tard n’a rien perdu de son actualité, une demi-douzaine d’auteurs, africains et européens, y secouent sans concessions le cocotier des préjugés politiques, économiques et culturels.




1- point de vue guère éloigné de celui qu’exprimait Michel Rocard dans une communication en 2002 à l’Académie des Sciences morales et politiques (source : bulletin Convictions n°55, juin 2023). À sa façon, Michel Rocard suggérait clairement qu’il y avait du culturel dans la politique, et que là aussi la diversité était de mise. “L’Afrique a le souvenir de cette démocratie consensuelle, qu’elle pratique encore dans les villages et à laquelle elle aspire aux niveaux supérieurs de l’organisation sociale. L’Afrique ressent notre démocratie comme conflictuelle, puisqu’elle repose sur une cristallisation des conflits permise par l’organisation des campagnes électorales et enregistrée à l’occasion des votes. À l’évidence, l’Afrique cherche les formes d’une démocratie plus conforme à ses traditions.”


Jean-Frédérique COLLET


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