Cette rubrique accueille les contributions des jeunes promotions des Écoles (élèves ou dans les premières années de vie active). Elle se démarque des autres contributions au dossier par une approche plus personnelle des sujets et plus proche des espoirs ou préoccupations des jeunes promotions. Nous vous en souhaitons bonne lecture!
Nicolas Plantier (P21) a passé 6 mois en césure chez le constructeur Fayolle, à Douala, Cameroun, pour la construction de routes. Il livre son “rapport d’étonnement”
Je me suis vite rendu compte que mes 6 mois au Cameroun allaient être marquants, quand j’ai dû me rendre à l’ambassade camerounaise à Paris afin d’y obtenir mon visa. Je suis resté toute une journée, sur une chaise, à attendre que celui qui s’occupait de mon dossier termine sa pomme. Le contraste est fort, mais très instructif.
En arrivant, le choc est rude. Je n’avais jamais été confronté à l’extrême pauvreté. La précarité est omniprésente à Douala et les conditions d’hygiène sont critiques. Douala frôle les 10 % de croissance démographique annuelle et les nouveaux arrivants s’installent dans des installations anarchiques et vivent du commerce informel. Les conditions de circulation sont précaires et dangereuses: routes en très mauvais état, inondations ou comportements irresponsables sont autant de facteurs qui expliquent un fort taux de mortalité. Les données officielles manquent, mais je peux dire que sur les 9 km de route de l’entrée est de la ville sur lesquels nous travaillons, nous avons compté 8 accidents mortels sur les 30 derniers jours. Les motos-taxis y cohabitent avec les grumiers.
Douala ne connaît pas la guerre comme c’est le cas dans le nord du pays (Boko Haram) et dans les régions du sudouest et du nord-ouest (régions anglophones), la ville est plutôt sécurisée. Au vu des récentes évolutions politiques en Afrique subsaharienne (Gabon et Niger), j’entends dire qu’un coup d’État à moyen terme est envisageable. Même si l’on dit aussi que la maison du chef d’état-major à Yaoundé est trop belle pour qu’il ait un quelconque intérêt à renverser le régime en place du vivant de Paul Biya. Le sentiment anti-français (ou disons plutôt anti-France, car je n’ai jamais ressenti d’hostilité particulière à mon égard du seul fait de ma nationalité) est aussi présent et s’intensifie.
Le Cameroun est une mini-Afrique, où se mêlent de nombreuses cultures et religions: cité comme un modèle de cohabitation, et il n’est pas rare de voir une mosquée se construire en face d’une église. La seule religion qui n’est pas comprise, c’est l’absence de religion. J’étais arrivé il y a à peine une semaine que mon gardien me demande en qui l’on croit “là-bas”. Je lui réponds que les Français sont majoritairement catholiques et musulmans, mais que la moitié de la population n’a pas de religion. Il écarquille les yeux et me dit: “donc ils sont juste… là”.
Les Camerounais sont très impressionnants dans leur manière d’affronter le quotidien. Leur sémantique en dit beaucoup. Le taxi montrera sa Toyota qui affiche 270 000 kilomètres au compteur en vous disant que c’est “avec ça qu’il se bat”. À Douala les petits métiers sont omniprésents: du laveur de voitures au fournisseur d’écrevisse qui vend ses trouvailles à l’unité, en passant par le sableur, qui avec son seau plonge à 3 ou 4 mètres de profondeur pour remonter du sable de construction, alors même qu’un système motorisé existe juste à côté.
La sobriété subie, c’est ici le quotidien. Le “covoiturage” oscille entre 5 et 10 personnes dans un taxi, sans compter la cargaison qui déborde du toit et du coffre. On comptera 3 personnes sur une moto-taxi. Avec une pointe d’optimisme, disons que cela rajoute de la chaleur humaine aux trajets quotidiens.
Le Cameroun, c’est beaucoup de rencontres: des expériences de vie toujours passionnantes, dont j’ai beaucoup appris, et qui sont des leçons d’humilité. Ni superhéros ni fainéants, ils sont comme nous, mais pas dans les mêmes conditions. Je ne sais pas si construire une route changera leur vie. Mais je reste pragmatique. Force est de constater que cela ne peut que donner une bouffée d’oxygène à ceux qui ne peuvent se déplacer sur leur propre territoire du simple fait de l’état des routes. ▲
Retraçant le voyage à moto à travers l’Afrique de l’Ouest qu’il a fait avec Maël Wagner (N20), Augustin Bouthors (N20) synthétise les échanges qu’ils ont pu avoir avec les jeunes et moins jeunes Africains.
En octobre 2023, quatre mois avant de quitter définitivement les bancs de l’École des Mines de Nancy, Augustin Bouthors, élève en dernière année, me rapportait, enjoué, qu’il avait déjà trouvé son stage de fin d’études pour valider sa dernière année. Il partait en République du Congo dans le cadre d’un VIE chez TotalEnergies: “Sans ce voyage en Afrique, je n’aurais sans doute même pas obtenu d’entretien”, assure-t-il. Entre mars et juin 2023, au cours de son année de césure, Augustin avait en effet pris la route à moto, accompagné de Maël Wagner, pour un périple à travers l’Afrique de l’Ouest. Lors de cette aventure singulière, ils ont traversé le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie, la Guinée-Bissau et la Guinée dans les deux sens, avant le coup d’état de l’été 2023 au Niger et en parallèle des manifestations au Sénégal. Loin d’être rompu aux politiques de l’Afrique occidentale ni rodé aux problématiques sociales des pays cités, Augustin témoigne des échanges qu’il a pu avoir avec de jeunes ou moins jeunes Africains au cours de son voyage.
Si Augustin et Maël sont partis sans puce téléphonique ou radio, ils ont pu compter sur la population pour les orienter ou les aider, “les gens sont curieux – que font deux européens dans le désert ? – et ils offrent leur temps, une ressource clé. On adorait s’arrêter dans des cafés ou restaurants. On prévoyait de rester trente minutes et finalement on restait deux heures, les gens venaient nous parler.” Augustin souligne les différences culturelles entre le nord et le sud du Sahara : si les Marocains et les Maures sont plus réservés, en Afrique subsaharienne, vous vous retrouvez très vite entourés d’une trentaine de personnes.
Ces échanges ont permis de souligner la frustration des populations, et tout particulièrement des jeunes, face à la corruption régnant dans cette région du monde : “ils sont tout à fait conscients de la situation de leur pays, mais constatent aussi qu’ils participent à ce système à leur échelle”. Les nombreux barrages routiers ne sont que des exemples de cette corruption : “pour passer, on devait glisser un billet, mais on ne voulait pas alimenter ce système parallèle, donc on prenait notre mal en patience, on attendait, on discutait, on partageait quelques biscuits avec les gendarmes ou les militaires, parfois pendant plusieurs heures, avant de pouvoir passer sans frais”. Cette méthode présentait ses limites: “une fois en Guinée, on voulait camper dans une zone aux alentours d’une cascade, non loin d’une caserne militaire. Les militaires sont venus nous déloger dans la tente, et quand on te réveille avec une kalachnikov en te demandant de l’argent, c’est désagréable”. Les deux étudiants avaient pu se renseigner en amont sur les coûts officiels liés au passage de chaque frontière : “Au Maroc, notre passeport avait un poids important, on ne voulait pas de problèmes avec nous, les Marocains m’ont rapporté que les délits ou crimes commis sur des étrangers étaient plus fermement sanctionnés”. À l’inverse, au sud du Sahara, les dépositaires de l’autorité (gendarmes, militaires) n’hésitaient pas à exiger frontalement des frais supplémentaires. Cette politique de racket, n’est que la partie émergée de l’iceberg, visible par les occidentaux, et il est nécessaire de souligner les salaires ridiculement bas des militaires, policiers et gendarmes, qui, au même titre que le reste de la population, n’ont pas accès au confort européen.
Les manifestations de l’été 2023 au Sénégal sont des traces de ce désaccord entre le gouvernement, composé d’une maigre élite, et le reste de la population. Notamment porté par les jeunes Sénégalais, le candidat Ousmane Sonko avait été condamné pour “corruption de la jeunesse”, provoquant sa disqualification aux élections présidentielles de 2024. Cette condamnation génère énormément de frustration, particulièrement chez les jeunes, “c’est vrai au Sénégal, mais également en Mauritanie ou en Guinée”. À cela s’ajoute le manque d’argent et d’emploi, “il n’y a pas d’emploi, donc tout fonctionne à la débrouille ; si tu as une moto, tu peux prendre des gens avec toi, tu peux faire des livraisons, mais aucune épargne n’est possible”. L’Afrique de l’Ouest est fertile, il n’existe pas ou peu de famine.
Ce constat pousse les jeunes à vouloir quitter leur pays, non pas par rejet mais pour trouver une meilleure situation, notamment en France, “s’il y avait de l’argent et de l’emploi, ils resteraient tous!”. Nourris par l’image renvoyée par le football et les réseaux sociaux, les jeunes Africains fantasment une situation en France: “sur le port de Dakar, je gardais les motos alors que Maël remplissait des papiers. De nombreuses personnes sont venues nous voir en expliquant qu’en France il y avait du travail, des aides, c’est un discours difficile à entendre. On tâchait de leur expliquer que sans qualifications, il n’y avait pas d’emploi non plus. C’est un marché de l’espoir, ils connaissent tous quelqu’un qui travaille en Europe et gagne correctement sa vie. Là-bas, quand tu sors des villes, il n’y a plus rien, de rares routes en mauvais état, quelques ateliers de menuiserie, un peu d’agriculture. C’est un mode de vie similaire à l’Europe préindustrielle, mais avec des modes de communication et de transport modernes. Le SMIC français constitue, aux yeux des jeunes Africains, un montant important, les jeunes apprécient être employés par des gens qui les comprennent et les intègrent. Certains, une fois rentrés au pays avec des capitaux après quelques années en France, fondent des structures permettant d’employer la population locale”.
Les gens plus âgés ont une vision différente. Tout aussi déçus par leurs élites, ils ne croient même plus aux rêves des jeunes, “ils se disent que les jeunes se font embobiner! Et puis, ces migrations, légales ou non, sont financées par les plus anciens, les jeunes n’ont pas d’argent”. Il existe une réelle admiration du Français et de la France, une envie de prendre exemple. Les anciens voient d’un très mauvais œil les positions violentes de la jeunesse contre les Français, se tourner vers d’autres grandes puissances économiques ne va pas tout arranger. Ce sont ces points de vue qui diffèrent du discours courant français. Si le fait d’avoir été les colonisateurs donne l’impression d’être aujourd’hui mal perçus voire d’être haï, les locaux soulignent le travail d’infrastructure et d’éducation, propre à la politique coloniale paternaliste française. Aujourd’hui ce travail n’existe plus, le libre-échange règne : “les puissances étrangères s’installent, exploitent et s’en vont dès que c’est fini”. En Guinée, au dehors des grandes villes, il n’existe presque pas d’infrastructures routières, si ce n’est les routes destinées aux entreprises minières. Mais ces infrastructures ne s’inscrivent pas dans le temps, elles disparaîtront d’ici 30 ans, il y a un manque de vision au long terme et de considération des besoins de la population. “Les Français s’installaient et développaient beaucoup de secteurs avant de se servir en ressources naturelles, ce qui n’est fait ni par les Chinois ni par les Américains maintenant, les gens te le disent sans ambiguïté et sont agacés”. Augustin et Maël ont pu constater cette présence, notamment chinoise, à Boké, ville minière du nord-ouest de la Guinée. Selon les locaux, les Chinois venant travailler à Boké comme chef de chantier ou contremaître sont des repris de justice allégeant leur peine en travaillant à l’étranger. Quoiqu’il en soit, cette présence exacerbe les tensions déjà existantes et la frustration de la population qui a le sentiment de voir ses ressources naturelles spoliées.
La Guinée regorge de bauxite, principal minerai permettant la production d’aluminium. Il s’agit de la première réserve au monde, mais ces gisements ne sont pas exploités comme dans les pays du nord. “Quand je disais aux Guinéens que j’étais ingénieur des mines et que je voulais travailler dans l’industrie extractive, ils me répondaient tous “viens travailler ici” et tâchaient de me présenter les différents acteurs. Le réel problème est que cela ne crée pas d’emploi pour eux”. En effet, même si certains Guinéens ont accès à de l’enseignement supérieur, l’offre d’emploi est minime : “j’ai pu rencontrer des Guinéens avec un bac+5 en agroforesterie, mais il n’y a pas d’emploi… ils ont étudié pour rien”. En Guinée, il existe également de plus petites structures autour de l’extraction, “il existe une frénésie autour de ça… Mais comme lors des ruées vers l’or, celui qui se fait de l’argent, c’est le vendeur de pelles”.
Parti sans aucune connaissance ni a priori sur la région, mais une soif d’aventure et de découverte, Augustin a pu mettre en perspective son projet professionnel et prendre conscience de nouveaux enjeux : “On nous dit qu’il faut électrifier notre économie, mais ça se fait au prix de millions de tonnes de métaux extraits. Il est important de mettre en perspective le flux physique derrière ces ambitions: la transition énergétique se fait à un prix. La politique actuelle consistant à déplacer les mines vers l’étranger ou les mettre au placard est en train d’évoluer, notamment au sein du corps enseignant, mais aussi chez les politiques; il y a beaucoup de discussions à ce propos et j’aimerais prendre part à cette démarche. Les problématiques de l’industrie extractive et minérale sont au cœur des besoins actuels et futurs”. ▲
Nicolas Plantier,
Nicolas Plantier (P21) a passé 6 mois en césure chez le constructeur Fayolle, à Douala, Cameroun, pour la construction de routes. Il livre son “rapport d’étonnement”.
Commentaires0
Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.
Articles suggérés