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ÉNERGIES RENOUVELABLES EN NAMIBIE

Revue des Ingénieurs (abonnés)

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21/03/2024

Avec de nombreuses ressources renouvelables, et un écosystème local d’entreprises compétentes dans le génie civil, la Namibie à la capacité à devenir autosuffisante électriquement. Le point de vue d’un jeune expatrié.

Par Pol JESTIN, ingénieur projets éoliens et solaires pour InnoVent en Namibie – pol.jestin@centraliens.net 


Mon diplôme de l’École Centrale de Paris en poche en juin 2020, j’ai commencé à travailler pour la fondation Veolia. Sa raison d’être est de venir en aide aux populations sinistrées lors de crises humanitaires. J’ai ainsi pu participer au développement de systèmes innovants de traitement de l’eau et d’assainissement. Une fois le contexte sanitaire de l’époque passé, j’ai eu envie de prendre le large, de découvrir une autre culture, d’autres problématiques et me suis laissé tenter par une expérience V.I.E en Namibie dans la filiale locale d’Innovent. J’y travaille désormais depuis 3 ans et suis passionné par ce pays, son potentiel, sa culture !

L’histoire d’InnoVent commence avec Grégoire Verhaeghe qui, fort de l’expérience acquise après la mise en place d’éoliennes pour alimenter son usine textile, décide de se lancer dans le développement, l’installation et l’exploitation de parcs éoliens. Plus de 20 ans plus tard, InnoVent s’est développée aussi bien dans son secteur d’origine, l’éolien, que dans le solaire. Ce en France et à l’international, notamment en Afrique, convaincue du potentiel de ces sources d’énergie pour alimenter le continent et favoriser son développement. InnoVent est aujourd’hui présent dans plusieurs pays d’Afrique Sub-Saharienne (Namibie, Sénégal, Comores, Tchad…) et au Maroc. Depuis le début ce sont environ 700 MW qui ont été installés et près du double sont en cours de développement.

QUELLE SITUATION ÉNERGÉTIQUE EN NAMIBIE?

La Namibie a été administrée par l’Afrique du Sud jusqu’à la fin des années 80. Les connexions entre les économies de ces pays sont de ce fait aujourd’hui encore marquées. Près de 2/3 de l’électricité namibienne est encore importée actuellement. Le reste de la production namibienne est assuré à environ 20% par de l’hydraulique et 10% sont produits par d’autres types d’énergies renouvelables ou à partir de pétrole.

Il n’en demeure pas moins que la Namibie a une forte volonté de devenir autosuffisante électriquement et force est de constater qu’elle en a les capacités, tant ses ressources renouvelables sont nombreuses. Si le potentiel de l’énergie solaire dans un pays aussi aride ayant un taux d’ensoleillement moyen de 300 jours par an n’étonne pas vraiment, la pertinence de l’éolien pourrait interroger. Il y a pourtant des zones extrêmement intéressantes de ce point de vue. Notamment dans le sud-ouest du pays, où le facteur de charge1 avoisine les 60%. Pour exemple, sa valeur moyenne en France est de l’ordre de 25/30%. Un fait marquant permet d’illustrer ce propos: des compétitions de vitesse à la voile sont organisées à Lüderitz (dans le sud du pays dans la région de Karas au bord de l’océan Atlantique), où des records sont régulièrement battus! 

Un autre élément favorisant le développement de ces énergies est la gestion du territoire. La Namibie est peuplée de 2 millions d’habitants pour une superficie d’une fois et demie la France. C’est sans doute en partie pour cela qu’il y a moins de conflits que dans d’autres pays de la région, où il peut être question de déplacement des populations et d’impacts sociaux négatifs liés au développement de projets de production électrique. 

La souveraineté énergétique est un véritable enjeu de développement pour le pays. L’entreprise NamPower, en charge du transport de l’électricité vers les distributeurs locaux, affiche le concept de “PowerPride”, ses employés se définissent de la sorte : “We are the power that keeps our nation going, the heroes in the shadows bringing light to better futures”, c’est dire leur importance perçue. Nous nous appuyons d’ailleurs sur tout un écosystème local d’entreprises compétentes dans le génie civil, qui permettent par exemple le raccordement des centrales et parcs au réseau électrique. Cela dit, les composants principaux ne sont pas produits directement en Namibie. L’Afrique du Sud étant la puissance industrielle et économique de la région, elle est de fait mise à contribution: des sous-traitants dans le génie civil à la fabrication de composants électriques comme les transformateurs, en passant par leurs banques pour le financement. Les onduleurs, panneaux solaires et éoliennes proviennent quant à eux majoritairement de Chine et dans une moindre mesure d’Europe. La Namibie est un petit marché et il est en conséquence difficile de convaincre les industriels de s’y investir. 

INNOVENT EN NAMIBIE

Pour revenir plus précisément aux actions entreprises par InnoVent sur le territoire Namibien, le premier parc éolien est installé en 2017. Ce sont 3 éoliennes d’une puissance de 2MW qui ont vu le jour. Pour les nouveaux parcs, des éoliennes de 5 MW sont à l’étude. Un projet important en cours de réalisation permettra la création d’un parc de 11 éoliennes pour une puissance de 44MW, les travaux de la ligne de raccordement ont d’ores et déjà débuté et dans les mois qui viennent, la construction des routes d’accès et des fondations suivra. Ce projet fournira environ 5% de la consommation du pays.

En parallèle, InnoVent a installé dès 2015 le premier parc au sol de panneaux photovoltaïques. Depuis, d’autres entreprises ont suivi ce chemin si bien qu’une vingtaine de parcs existent aujourd’hui. Les autorités publiques se sont d’ailleurs structurées afin d’accompagner au mieux ces projets. Nous construisons aujourd’hui un nouveau parc de 10 MW à destination d’ORANO pour une centrale de dessalement d’eau de mer qui alimentera les villes alentour en eau potable. 

Au total, ce sont près de 700 MW qui sont actuellement en projet de développement rien que pour la Namibie. Ce qu’il y a de passionnant ici pour un jeune ingénieur, c’est la diversité des missions auxquelles je suis confronté et la réactivité de tout l’écosystème avec lequel je suis en contact. Pour un projet de parc solaire, il faut compter entre 3 et 4 ans de développement et d’obtention des autorisations puis environ 1 an de construction. Ce sont des cycles relativement courts et donc intenses, qui comprennent toutes les modélisations techniques et financières, l’élaboration des divers contrats de rachats de l’électricité ou autre, la recherche de terrains et le travail autour du respect de la réglementation. L’aspect politique est également important, que ce soit au niveau des acteurs publics ou privés, en particulier pour la recherche de financements. Chaque projet est différent, et il faut sans cesse s’adapter et chercher le meilleur compromis. Dans le futur, InnoVent travaille encore à réduire l’empreinte de ses modes de production d’électricité. Une de nos études concerne les fondations des éoliennes, souvent décriées à juste titre. L’objectif est de réduire l’utilisation du béton pour améliorer la soutenabilité d’une telle construction et limiter l’impact sur les écosystèmes. La Namibie est très attentive à ces questions. Chaque construction de centrale est soumise à une multitude de normes, parmi lesquelles l’étude d’impact. Il nous est arrivé de devoir modifier l’implantation d’un projet éolien après qu’un expert ornithologue ait constaté l’existence d’une route migratoire largement empruntée par certaines espèces. 

LA CULTURE NAMIBIENNE

La Namibie a également connu un Apartheid sous l’influence de l’Afrique du Sud. Cette période sans doute moins violente, en tout cas moins longue n’a pas laissé de plaies aussi profondes qu’elle a pu le faire en Afrique du Sud, même si les inégalités sociales demeurent très marquées. Il y a en Namibie 2,5 millions d’habitants, comme évoqué précédemment, ce qui donne au pays une dimension à taille humaine, d’autant plus lorsque l’on se concentre sur un secteur en particulier, ici l’énergie. En bref, tout le monde se connaît. En conséquence, les parties prenantes, notamment politiques sont souvent frileuses pour prendre des décisions, ce qui ralentit le déploiement des projets. Néanmoins, je constate un esprit de coopération extrêmement puissant. La compétition n’est pas acharnée, les décideurs politiques namibiens jouent à la loyale et ont tendance à privilégier la coopération. Un élément marquant ces dernières années a été de favoriser les projets solaires de taille moyenne afin d’éviter la mise en place d’un monopole dans ce secteur. Une des grandes conséquences de cet état d’esprit se caractérise aujourd’hui par l’émergence d’une filière locale. ▲


Pol JESTIN,

Diplômé de l’École Centrale de Paris en 2020, et ayant une forte appétence pour les thématiques énergétiques et de développement durable, Pol Jestin a d’abord travaillé à la fondation Veolia avant de prendre le large et de s’expatrier en Namibie où il est responsable de projets éoliens et solaires.

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