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L’AFRIQUE DU SUD, PARTENAIRE INCONTOURNABLE

Revue des Ingénieurs (abonnés)

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21/03/2024

L’Afrique du Sud reste assez largement méconnue en France en dépit de son rôle géostratégique – elle est le seul membre africain du G 20–, de son poids économique et de sa vitalité culturelle. Les médias en parlent peu… sauf à l’occasion des compétitions de rugby! 

Par Étienne GIROS, président du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) – etienne.giros@cian.asso.fr

L’Afrique du Sud est le premier partenaire économique de la France en Afrique subsaharienne. Nos entreprises sont nombreuses à s’y implanter, malgré un contexte qui s’est détérioré ces dernières années. Deuxième puissance du continent après le Nigéria et devant l’Égypte par le volume de son PIB, son économie est de loin la plus avancée et la plus diversifiée. Trois chiffres permettent d’en prendre la mesure : 25% de la capacité de production électrique du continent, 55% de sa production automobile, 60% de son marché de l’assurance vie et non-vie. La Bourse de Johannesburg, de loin la première place financière en Afrique, figure au rang des 20 premières bourses mondiales.

Avec une population de 60 millions d’habitants, sa croissance démographique est faible comparée à celle du Nigéria (225 millions) et de l’Égypte (112 millions).

UN PARTENAIRE DE PREMIER PLAN EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Nos relations économiques sont denses, l’Afrique du Sud constituant notre premier client en Afrique subsaharienne devant la Côte d’Ivoire et notre second fournisseur après l’Angola. Excédentaire pour la France, le commerce bilatéral est diversifié. Nos ventes portent sur les produits chimiques, les machines industrielles, les produits pharmaceutiques et agroalimentaires. Nos achats concernent essentiellement le matériel de transport (véhicules), les produits miniers et agricoles.

Avec 480 implantations d’entreprises françaises recensées, la France se classe au 12e rang des investisseurs étrangers en Afrique du Sud. Ces entreprises sont présentes dans la majorité des secteurs et emploient plus de 65000 salariés. Il faut rappeler que la seule centrale nucléaire en fonctionnement en Afrique, comptant deux réacteurs de type Framatome 920 MWe, a été construite par la France dans les années 1980; elle est exploitée en étroite coopération avec EDF.

Nos entreprises sont parties prenantes de projets emblématiques dans le ferroviaire, les solutions de gestion de l’eau, les énergies renouvelables (éolien et solaire). Elles sont également fortement investies dans le développement de l’Afrique du Sud par leurs programmes de formation et leur engagement en matière sociale et environnementale. On peut citer à cet égard les actions exemplaires dans le domaine de la formation professionnelle des jeunes menées par des groupes tel que Schneider Electric, Saint-Gobain, Alstom, L’Oréal et Leroy Merlin. 

DE FORTS ATOUTS DANS LE CONTEXTE AFRICAIN

L’Afrique du Sud est probablement la seule grande économie du continent qui soit résolument ouverte sur le monde extérieur. Le stock des investissements étrangers est élevé, équivalent à 40% du PIB. En moyenne sur les 10 dernières années, ce pays a été la 1re destination des investissements étrangers en Afrique. Les 4 premiers investisseurs sont le Royaume-Uni (1er investisseur avec près de 30 % du stock), les Pays-Bas (18%), la Belgique (11%) et l’Allemagne (5%). Malgré l’excellence des relations politiques entre Pretoria et Pékin, en particulier dans le cadre du groupe des BRICS, les investissements chinois sont encore limités et concernent plutôt les secteurs technologiques (Huawei). Ceci s’explique par l’interdiction de faire entrer des travailleurs étrangers en Afrique du Sud, ce qui gomme l’avantage concurrentiel des entreprises chinoises, qui utilisent largement leur propre main-d’œuvre sur leurs chantiers en Afrique. 

À l’inverse, les grandes entreprises sud-africaines sont des investisseurs significatifs à l’étranger. Très présents dans les pays de la région australe (banque, assurance, distribution, médias, agroalimentaire, activités minières), ces investissements se dirigent également vers les grands marchés en Europe, en Amérique et en Asie. C’est ainsi que le Sud-Africain Naspers est le principal actionnaire, avec 28% du capital, du géant chinois de la tech Tencent. C’est ainsi qu’en France le groupe minier sud-africain Sibanye-Stillwater a acquis en 2022 le site hydro-métallurgique d’Eramet à Sandouville, qui fabrique des blocs de nickel. Les Sud-Africains vont y développer la production de métaux liés aux batteries électriques.

Les barrières douanières tarifaires sont faibles (moyenne pondérée de 7,1%) et les échanges avec l’Union européenne, son premier partenaire commercial devant la Chine, bénéficient des dispositions de l’accord de partenariat économique signé en 2016.

À côté d’un secteur industriel profond et diversifié, d’un secteur des services de niveau mondial (banque, assurances, distribution, informatique), l’Afrique du Sud peut compter sur une agriculture moderne et compétitive. Ses grandes exploitations, en majorité appartenant à des agriculteurs afrikaners (les “boers”), assurent l’autosuffisance alimentaire du pays et dégagent un fort excédent extérieur. Créé par les émigrés huguenots, le secteur viticole centré sur la région du Cap est emblématique de ce dynamisme. 

Même s’il est loin d’être parfait, l’environnement des affaires reste l’un des plus solides en Afrique. On constate la grande robustesse des institutions publiques, notamment judiciaires, qui a permis de limiter les dégâts pendant la calamiteuse présidence de Jacob Zuma (2009-2018). La forte organisation de la société civile, le respect des règles démocratiques essentielles avec des élections libres sont également garants de l’équilibre politique et social du pays. La bonne qualité des infrastructures publiques est fréquemment soulignée : transports routiers et aériens, télécommunications, énergie, eau, universités. Cet avantage a néanmoins eu tendance à s’effriter au cours des dernières années en raison de l’insuffisance des investissements, et d’une gestion des grandes entreprises publiques chargées de ces secteurs gagnée par le népotisme, la corruption et l’incompétence. C’est notamment le cas pour l’électricien national ESKOM, en quasi-faillite, qui soumet le pays a de fréquentes coupures d’électricité. Le redressement impulsé par le président Ramaphosa depuis 2019 tarde encore à se concrétiser. 

Les infrastructures et services privés, téléphonie mobile, connectivité Internet, centres médicaux, établissements d’enseignement, sont de niveau international et contribuent beaucoup à l’attractivité du pays pour les expatriés. L’Afrique du Sud et sa capitale économique Johannesburg constituent ainsi une véritable plaque tournante pour l’ensemble de la région australe, ce rayonnement s’étendant vers l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne. 

DE RÉELS FACTEURS DE RISQUES POUR L’AVENIR 

L’une des sociétés les plus inégalitaires au monde, l’Afrique du Sud doit toujours composer avec le très lourd héritage du régime de l’apartheid qui a pris fin il y a 30 ans. On observe une profonde fracture sociale fondée sur l’origine ethnique. Sur une population totale de 60 millions d’habitants, la communauté d’origine africaine représente environ 80% du total, la communauté d’origine européenne 9%, la population d’origine métisse 9%, et la communauté d’origine asiatique 2%.  

C’est ainsi que deux pays coexistent. Un pays développé de 10 à 12 millions d’habitants dont le revenu est relativement comparable à ceux des pays développés. Et un pays pauvre, marginalisé, de près de 50 millions d’habitants, vivant essentiellement des considérables transferts sociaux de l’État qui ont permis de maintenir une relative paix sociale. Il en résulte une insécurité élevée qui constitue un enjeu majeur pour le pays. Réintégrer cette population dans la trajectoire du développement national est le défi majeur du pays. 

Il faut aussi mentionner le rôle dominant et quasi exclusif de l’ANC (African National Congress), parti politique au pouvoir depuis la fin de l’apartheid. Parvenir à surmonter le clientélisme et le manque d’alternance représente aussi un immense défi pour le pays.

L’une des politiques destinées à réparer les injustices du passé est, à cet égard, particulièrement difficile à gérer pour les entreprises, qu’elles soient sud-africaines ou étrangères. Il s’agit de la politique de discrimination positive, la Broad-Based Black Economic Empowerment (BEE) mise en place en 2004. Ce dispositif d’une très grande complexité de mise en œuvre vise à favoriser l’emploi des Noirs et des autres populations historiquement discriminées (métis, Indiens) à tous les échelons de responsabilité et de leur transférer une partie du capital des entreprises. Il en résulte, entre autres, une sévère restriction des visas pour les travailleurs étrangers. Les nouvelles entreprises étrangères qui souhaitent s’implanter en Afrique du Sud souffrent particulièrement de ce frein. Notons au passage que ces dispositions expliquent la relative absence des entreprises chinoises, car elles ne peuvent amener leur main-d’œuvre qui constitue une bonne part de leur avantage compétitif. 

On constate enfin un net ralentissement de la croissance économique depuis 10 ans, après les années d’euphorie qui ont suivi la fin de l’apartheid. Les causes en sont conjoncturelles, mais aussi plus structurelles. Les entreprises privées sud-africaines, inquiètes de l’avenir, ont ralenti leurs investissements dans le pays et se tournent de plus en plus vers l’étranger. Nombre d’entre elles, en particulier les plus grandes, ont même émigré, en transférant à l’étranger leur siège effectif et la cotation de leurs actions: Anglo-American, De Beers, Old Mutual, Prosus. 

Depuis l’élection de Nelson Mandela à la présidence de l’Afrique du Sud en 1994, les prophètes de malheur n’ont pas manqué pour annoncer l’effondrement prochain du pays, la destruction de son économie, le bain de sang entre les communautés ethniques. À ce jour, leurs prophéties ont tourné court et l’Afrique du Sud a su trouver les ressorts pour rebondir. Un peu à l’image de l’un de ses fils les plus célèbres, Elon Musk… ▲


Étienne GIROS

En avril 2022, Étienne Giros a été nommé président du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) après en avoir été le président délégué depuis mars 2014. Il est également président de l’EBCAM (European Business Association for Africa) depuis juin 2018. Diplômé de Sciences Po Paris et de sciences économiques, il a commencé à travailler avec l’Afrique chez CFAO en 1986 comme DGA de Transcap. En 1991, il rejoint le groupe Bolloré comme directeur général finances pour l’Afrique avec un périmètre de 43 pays. En 2000, il devient DG de la Division développement Afrique qui regroupe toutes les activités du groupe Bolloré sur le continent. À partir de 2006, il est nommé vice-président Médias puis dirige l’institut de sondage et d’études CSA. Depuis 2014, il met son expérience de l’Afrique au service des entreprises adhérentes du CIAN et les représente auprès des institutions. Il est membre de l’Académie des Sciences d’outre-mer.

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