Les prévisions démographiques devraient conduire à un doublement de la demande en électricité en Afrique d’ici 2050, au moment où le continent représentera une économie de 29000 milliards de dollars. Les énergies renouvelables pourront-elles mettre fin à la précarité énergétique et au sous développement?
Par Alfazazi DOURFAYE (DOCT. P95), fondateur de Gounti Yena Énergies et de Kalyosphere – alfazazi.dourfaye@mines-paris.org
Selon Charles Robertson, économiste en chef à Renaissance Capital, l’Afrique sera une économie de 29000 milliards de dollars d’ici à 2050, soit plus que le PIB combiné des États-Unis et de la zone euro en 2012. Cette prévision suppose que la consommation d’énergie de l’Afrique à cet horizon sera du même niveau qu’était celle des États-Unis et de la Zone Euro réunis en 2012 ; mais ceci est peu réaliste au vu des investissements actuels dans les moyens de production et de distribution d’énergie en Afrique subsaharienne. De plus, la quasi-totalité des pays de l’Afrique subsaharienne a signé et ratifié les Accords de Paris portant sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les objectifs de neutralité carbone en 2050 imposent une réduction notable de la consommation d’énergie fossile qui était à la base des développements économiques au cours du XXe siècle. Or les pays de l’Afrique subsaharienne ne sont responsables que d’environ 3% des émissions de gaz à effet de serre qui proviennent principalement de l’utilisation de combustibles fossiles et de la déforestation.
Si l’abandon des combustibles fossiles est nécessaire à l’échelle mondiale afin de réduire les effets destructeurs du changement climatique, l’Afrique subsaharienne aura besoin de temps pour développer des voies réalistes vers cette transition. Car, en dépit de ses immenses richesses en matière d’énergies renouvelables (solaire, hydroélectricité et éolien), le continent africain n’arrive toujours pas à régler efficacement le problème de l’accès à l’électricité qui représente le principal indicateur de l’accès à l’énergie. D’après les estimations de la Banque Mondiale, il faudrait près de 20 milliards de dollars par an pour parvenir à une électrification universelle de l’Afrique d’ici à 2030, dont environ 10 milliards par an rien que pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale.
UNE PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE PÉNALISANT LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET HUMAIN
En 2021, plus de 50% de la population d’Afrique subsaharienne ne bénéficiait pas d’un accès fiable à l’électricité, et la consommation moyenne dans la zone se situait à 200 kWh par an et par habitant contre 4 418 kWh en Afrique du Sud, 13000 kWh aux États-Unis et 6 500 kWh en Europe. Malgré les progrès réalisés, si les politiques actuelles d’électrification se maintiennent à leur rythme, on estime qu’en 2030 il restera 600 millions de personnes dépourvues d’accès à l’électricité en Afrique subsaharienne (Figure 1).
L’accès à l’énergie est vital non seulement pour atteindre les objectifs en matière de santé et d’éducation, mais également pour réduire le coût de la pratique des affaires, libérer le potentiel économique et créer des emplois. Le mix énergétique actuel est composé majoritairement d’un mélange de biomasse et de combustibles fossiles. La biomasse, composée principalement de charbon de bois récolté de manière artisanale selon des méthodes peu efficaces énergétiquement, représente environ la moitié de l’approvisionnement total en énergie primaire de l’Afrique (Figure 2).
Selon la Banque Mondiale, la durée moyenne des coupures en Afrique de l’Ouest atteignait 80 heures/mois en 2018. Dans quelques-uns des plus grands pays de la région, comme le Nigeria ou le Ghana, plus de 25% des entreprises affichent un manque à gagner de plus de 10% dû aux coupures d’électricité, et pour certaines PME et PMI ce manque à gagner peut atteindre jusqu’à 70% des ventes habituelles (Figure 3). Les entreprises les plus en difficulté sont confrontées à plus de 200 heures de pannes d’électricité par mois. Cette faiblesse des réseaux de distribution électrique subsahariens a un effet négatif considérable sur les économies, représentant en moyenne, selon les pays, un coût allant de 1 à 5% du PIB national. D’après Hugo Le Picard de l’IFRI, le manque de fiabilité de la fourniture d’électricité est dû à une augmentation linéaire de la demande alors que la production croit, quant à elle, par paliers au rythme des mises en service des centrales; à ce gap entre l’offre et la demande vient s’ajouter l’imprécision des modèles de projections. Même l’Afrique du Sud, avec une puissance installée de 58 GW et un taux d’accès quasi-total, n’arrive plus à couvrir ses besoins depuis une quinzaine d’années et fait face à une pénurie d’électricité dont le point culminant a été atteint en janvier 2023 avec des coupures d’électricité variant de 3 à 11 heures/jour.
Comme l’Afrique du Sud, la majeure partie des pays de l’Afrique subsaharienne tirent encore 80% de leur électricité de centrales thermiques alimentées par des produits fossiles avec un parc vieillissant et des rendements dégradés. L’abondance de combustibles fossiles et de sources renouvelables dans de nombreux pays du continent signifie que les décideurs politiques ont le choix entre investir dans de nouvelles infrastructures ou continuer à utiliser les centrales thermiques existantes. Mais pour un mix énergétique diversifié et durable, il est plus important que jamais de garantir que les énergies renouvelables jouent un rôle aussi important que possible.
En 2018, à peine 20% de l’électricité produite en Afrique était issue de sources renouvelables ce qui est très faible par rapport aux potentiels identifiés et quantifiés à ce jour. Les prévisions démographiques devraient conduire à un doublement de la demande en électricité d’ici à 2050, la réponse à cette demande devrait passer, d’une part, par une politique de soutien au développement des énergies renouvelables afin d’éviter des catastrophes écologiques et d’autre part, par l’installation d’un réseau fortement interconnecté pour une meilleure distribution de l’électricité entre les zones productrices et celles de consommation.
Face aux besoins grandissants en électricité et aux enjeux de lutte contre le réchauffement climatique, il est essentiel que le développement du secteur électrique africain se fasse de manière durable en s’appuyant sur le solaire, l’hydroélectricité voire l’éolien et la géothermie. La répartition des énergies renouvelables est inégalement faite sur le continent entre les zones dotées de potentiel hydroélectrique et celles dotées de potentiel solaire d’une part, et d’autre part les zones dépourvues de ressources renouvelables suffisantes pour couvrir leurs besoins.
ff |
UN POTENTIEL D’ÉNERGIE RENOUVELABLE INEXPLOITÉ
En effet, l’Afrique subsaharienne, en particulier l’Afrique de l’Ouest, est dotée d’un potentiel de production d’électricité renouvelable avec une capacité théorique de 60 millions de TWh par année d’énergie solaire. Or, en 2019, selon les statistiques de l’Agence internationale de l’énergie, la production d’électricité par système photovoltaïque et solaire thermodynamique ne représentait que 10,1 TWh pour une consommation totale de 856,1 TWh. Selon la même agence, 60% des surfaces de premier choix pour la production d’énergie solaire se situent en Afrique subsaharienne. Pourtant, seul 1% de la puissance globale solaire installée se trouve sur le continent africain (1 185 GW installés en 2022 dont 12,64 GW en l’Afrique) Quant à l’hydroélectricité, elle ne représentait que 141,4 TWh, dont 9,1 TWh pour les barrages d’Inga I (351 MW) et Inga II (1 424 MW) en République Démocratique du Congo (RDC).
Neuf projets hydroélectriques, avec une capacité potentielle de plus de 50 GW, ont été identifiés dans le cadre du Programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA) de l’Union africaine. Ceux-ci incluent la série des barrages Inga dont la capacité potentielle est estimée à 40000 MW; ce qui équivaut à deux fois la production du barrage des Trois Gorges en Chine, la plus grande centrale hydroélectrique au monde. Dans le cadre de l’intégration des réseaux électriques, l’Afrique du Sud s’est engagée à acheter plus de la moitié de la production d’électricité du futur barrage Grand Inga dont la concession a été accordée de gré à gré à la société Australienne Fortescue Metals Group qui va y investir 80 milliards de dollars. Cette concession demeure fortement controversée, car la loi exige de passer par un appel d’offres conformément aux procédures de passation des marchés publics. Par ailleurs, le financement du projet n’est pas bouclé et les présidents sud-africain et congolais ont appelé les dirigeants du monde à investir dans le projet d’électrification du barrage de Grand Inga (photo), lors du sommet pour un nouveau pacte financier mondial organisé à Paris, en juin 2023.
Le but du barrage est de produire non seulement de l’électricité pour le Congo, mais d’exporter une partie de la production au nord comme au sud. En plus de l’Afrique du Sud, il est prévu que l’électricité soit transportée vers le Nigeria qui est connecté au réseau West African Power Pool, lequel regroupe les 15 états de la CEDEAO.
La liaison entre les pays africains par le biais de la transmission électrique longue distance, processus déjà en cours de préparation et visant la construction de 16500 km de lignes interconnectées, permettra de transporter de l’énergie générée à partir de ressources renouvelables abondantes, principalement de l’énergie hydroélectrique vers les zones de demande (voir Figure 4).
À terme, la RDC pourrait donc jouer un rôle majeur dans la lutte contre la précarité électrique de l’Afrique, car elle dispose d’un important potentiel hydroélectrique estimé à plus de 100000 MW. On estime que la mise en valeur de ce potentiel permettrait de produire jusqu’à 774 TWh, ce qui placerait la RDC en troisième position après la Chine et la Russie dont les productions potentielles d’énergie hydroélectrique sont estimées respectivement à 1320 et 1096 TWh. Cependant, certains observateurs remettent en cause les projets Inga à cause de leur coût jugé très élevé et de leur impact écologique ; car des milliers d’hectares de forêt seraient immergés, ce qui nuirait grandement à la biodiversité et aux écosystèmes locaux. Toutefois, on juge que les dégâts liés au développement du projet seraient très largement moindres que les bénéfices dont pourrait en tirer une grande partie de l’Afrique subsaharienne.
LE TEMPS POUR LES DÉCISIONS
L’Afrique dispose d’un potentiel d’énergies renouvelables pour éliminer la précarité énergétique, apporter de l’électricité et des opportunités de développement aux villages ruraux qui n’en ont jamais bénéficié et stimuler la croissance industrielle et les services dans les métropoles. Le moment est venu de s’attaquer aux problèmes de production d’énergie propre en quantité suffisante pour soutenir les économies naissantes et de fiabiliser les réseaux de distribution pour atteindre les villages les plus reculés.
Mais, la résolution du problème de la fiabilité de l’accès à l’électricité ne peut pas se faire avec les méthodes conventionnelles, celles qui consistent à produire à partir de grandes centrales et à transporter l’électricité vers les consommateurs situés à plusieurs dizaines voire centaines de kilomètres à un coût exorbitant: compter environ 12000 US $ par km.
Pourtant certaines solutions technologiques faciles à mettre en œuvre existent, mais elles nécessitent un environnement favorable, avec des politiques, une réglementation, une gouvernance et un accès aux marchés financiers appropriés. C’est le cas des mini-réseaux solaires décentralisés qui présentent les avantages suivants:
• La réduction des coûts grâce à la suppression des lignes de transport Haute Tension ;
• La réduction des pertes de transport (environ 8 à 15%);
• La meilleure couverture du réseau grâce à la taille et au coût des ouvrages;
• La rapidité du déploiement.
Quant au cadre réglementaire, sa clarté est essentielle pour favoriser l’attractivité du marché, et doit impérativement inclure les points suivants: l’élaboration de stratégies d’électrification ; la fixation d’une tarification adaptée ; et la mise en place de soutiens financiers et fiscaux.
La mise en place de ces solutions est nécessaire pour que les prévisions de Charles Robertson deviennent une réalité. ▲
Alfazazi DOURFAYE
Ingénieur de l’École des Mines d’Alès et docteur de Mines Paris - PSL, Alfazazi Dourfaye a passé 27 années dans l’industrie parapétrolière et a occupé différents postes de responsabilités scientifiques et techniques à Varel International (Houston, Texas). En 2020, il fonde la société Gounti Yena Énergies, spécialisée dans le déploiement de systèmes intelligents de production et de stockage d’électricité sur batterie pour le marché africain. En 2023, il cofonde Kalyosphere SAS, un développeur de projets de géothermique profonde à usage électrique.
Commentaires0
Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.
Articles suggérés