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UN POINT DE VUE D’ÉCONOMISTE

Revue des Ingénieurs

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21/06/2022

Auteur : Matthieu GLACHANT (P 1996 Docteur)

 UN BREF HISTORIQUE

La rénovation énergétique a longtemps été perçue par les décideurs publics et la plupart des experts comme un moyen peu coûteux de réduire le carbone et les pollutions associées à la production et à la distribution d’énergie. Le consensus y voyait même un gisement d’investissements rentables pour les propriétaires de logements, les économies d’énergie dépassant le coût initial de l’opération. Cerise sur le gâteau, les gains environnementaux et la création d’emplois non délocalisables dans le secteur du bâtiment venaient conforter cette logique “gagnant-gagnant”. Initialement publiée en 2009, la courbe de McKinsey du coût de réduction des émissions de carbone illustre parfaitement cette vision en assignant des coûts négatifs à l’essentiel des actions relevant de l’efficacité énergétique.

Par leur réticence à investir, les propriétaires des logements ont rapidement montré qu’ils ne partageaient pas cet enthousiasme. D’où la mise en place précoce de subventions et de crédits d’impôt afin de les inciter à la rénovation. La TVA réduite pour les travaux de rénovation a ainsi été introduite en 1999, le crédit d’impôt CITE en 2005, les Certificats d’Economie d’Energie en 2006, les prêts ECO PTZ en 2009, etc.

Ce décalage entre les estimations optimistes de la rentabilité de la rénovation et la réticence des ménages à investir a donné naissance à la notion d’“energy efficiency gap”, définie précisément comme la différence entre le volume potentiel des investissements rentables et celui effectivement réalisé. Un gap visiblement large puisque le niveau des subventions n’a cessé de croître pour tenter de le combler sans que l’État n’arrive à tenir ses objectifs de rénovation. Le point extrême fut atteint en 2019 avec les offres de rénovation “à un euro” financées par le dispositif des Certificats d’économie d’énergie. Un taux de subvention à 100 % jusque-là inconnu dans le monde des subventions environnementales. En comparaison, le soutien public à l’achat de véhicules électriques neufs, pourtant déjà significatif, est plafonné à 27 % du prix. Les subventions ne suffisant toujours pas à déclencher le volume de rénovation visé, l’intervention publique s’est enrichie d’un nouvel instrument : l’obligation. La Loi Climat et Résilience adoptée en 2021 impose ainsi une rénovation des “passoires thermiques” à différentes échéances.

 

ESTIMER LES ÉCONOMIES D’ÉNERGIE RÉELLES

Cet historique invite à considérer une autre hypothèse. Et si les propriétaires avaient raison ? Les experts n’ont-ils pas surestimé les économies d’énergie à attendre d’une rénovation ? Dans une recherche récente, nous traitons avec Victor Kahn (P15 et DOCT P22) et François Lévêque (DOCT P82) cette question en adoptant une approche économétrique exploitant les données de l’enquête Maîtrise de l’Energie (Glachant et al. 2020). Cette enquête réalisée par TNS-SOFRES pour l’ADEME de 2000 à 2013 chaque année auprès d’un panel représentatif de 8 à 9 000 ménages fournit des informations détaillées sur leur facture énergétique et sur les travaux de rénovation énergétique éventuellement effectués au cours de l’année. Chaque ménage étant enquêté plusieurs années consécutives, une première méthode naïve d’estimation de l’impact des travaux consiste à comparer l’évolution de la facture énergétique des ménages réalisant les travaux avant et après rénovation avec la même évolution pour les ménages n’en réalisant pas. Plus conceptuellement, il s’agit de comparer un groupe traité avec un groupe de contrôle, le traitement s’identifiant ici à une rénovation énergétique. Les résultats de cette première analyse sont présentés dans le tableau ci-contre. Il montre que les deux catégories de ménages voient leur facture augmenter – signalant une inflation générale des prix de l’énergie pendant la période couverte par l’enquête – mais l’augmentation est plus faible chez les ménages rénovateurs.

 

La rénovation n’est pas un service homogène : elle recouvre un ensemble de solutions parmi lesquelles l’acheteur doit choisir celle qui correspond le mieux aux caractéristiques de son logement et à son usage. Or, sa compétence est très limitée. Il n’a, le plus souvent, jamais réalisé de rénovation.

Assimiler la différence de rythme d’augmentation des factures à un effet causal de la rénovation est toutefois abusif car le traitement n’est pas randomisé. La rénovation d’un logement n’est pas décidée de manière aléatoire par un expérimentateur extérieur, mais par son propriétaire. Les propriétaires rénovateurs “s’auto-sélectionnent” ainsi dans le groupe traité. Cette sélection peut biaiser les résultats.

Pour l’expliquer, prenons l’exemple hypothétique d’un ménage qui prévoit d’avoir un enfant dans un futur proche. Il anticipe donc une augmentation de ses besoins énergétiques puisque le bébé aura besoin d’une température intérieure plus élevée dans une chambre aujourd’hui inoccupée. Le ménage va alors rénover le logement pour limiter l’impact de l’augmentation de ses besoins sur ses dépenses énergétiques. Si la rénovation intervient peu avant l’arrivée du bébé, le calendrier le plus probable, la variation avant-après du tableau mesurera à la fois l’effet des travaux (qui diminuent la facture) et l’effet de la naissance (qui l’augmente) sans que l’on puisse mesurer le poids respectif des deux facteurs. Dans cet exemple, assimiler la différence avant-après au seul effet de la rénovation conduit à sous-estimer son impact.

 

Pour limiter ce type de biais, nous utilisons un modèle économétrique à effets fixes et variables instrumentales qui vise à identifier un effet “toutes choses égales par ailleurs”. Le lecteur intéressé par les détails de cette approche peut se référer à l’étude citée dans la bibliographie (Glachant et al., 2020). Pour notre discussion, retenons simplement ici que le modèle mesure l’effet des

Enquête TNS-SOFRES pour l’ADEME de 2000 à 2013

Note : La première ligne présente la moyenne de la différence entre le montant de la facture énergétique annuelle observée l’année t+1 et le montant observé l’année t-1 pour l’ensemble des ménages de l’échantillon réalisant des travaux de rénovation énergétique l’année t. La seconde présente

La même différence pour les ménages ne réalisant pas de rénovation les années t-1, t et t+1.

 Travaux en comparant des ménages réalisant des travaux avec des ménages n’effectuant pas de travaux ou des travaux d’un montant différent. Pour obtenir une estimation “toutes choses égales par ailleurs”, il compare des ménages observés la même année et résidant dans une même région, ce qui permet, par exemple, de contrôler l’effet de la météorologie sur la consommation énergétique, à taille de foyer identique, contrôlant ainsi pour l’effet d’une naissance décrit plus haut, ayant un revenu similaire, occupant un logement de même surface et utilisant le même vecteur énergétique pour se chauffer.

Les résultats sont décevants. Nous trouvons bien un effet statistiquement significatif des travaux sur la facture énergétique. Mais il reste très modeste: une diminution de 1 % pour 1 000 € de travaux, soit 14 € par an. Ce résultat, robuste par ailleurs, souffre toutefois d’une limite importante : les données utilisées décrivent des rénovations réalisées entre 2000 et 2013 et nous sommes en 2022. Il est donc légitime de s’interroger sur leur validité aujourd’hui. Malheureusement et il faut s’en étonner – il n’existe pas de données plus récentes combinant à la fois de l’information sur les travaux réalisés et sur l’évolution de la consommation d’énergie qui auraient ainsi permis de les actualiser. Si le résultat doit donc être pris avec précaution, il ne peut que susciter le scepticisme sur l’impact énergétique des rénovations. D’autant qu’il est cohérent avec les inquiétudes exprimées depuis quelques années sur les malfaçons en matière de rénovation et l’existence d’“éco-délinquants” dans le secteur. Il est également dans la ligne des résultats d’études économétriques étrangères utilisant des données plus récentes (par exemple, voir l’étude de Fowlie et al. 2018).

 

UN MARCHÉ DE LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE STRUCTURELLEMENT IMPARFAIT

Pour expliquer la faible qualité de la rénovation moyenne, il est nécessaire d’examiner les fondamentaux du marché de la rénovation énergétique. Sa caractéristique principale est la complexité du “bien” échangé. La rénovation n’est pas un service homogène. Elle recouvre un ensemble de solutions parmi lesquelles l’acheteur doit choisir celle qui correspond le mieux aux caractéristiques de son logement et à son usage. Or, sa compétence est très limitée. Il n’a, le plus souvent, jamais réalisé de rénovation. Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là. Une fois choisie la solution, il lui faut évaluer les différents prestataires en concurrence puis suivre les travaux pour vérifier que la réalisation est conforme aux règles de l’art.

Le déficit d’information de l’acheteur sur ce qu’il achète perturbe profondément le fonctionnement du marché. Dans l’article “The Market for Lemons: Quality Uncertainty and the Market Mechanism” qui lui valut le prix Nobel d’économie en 2001, George Akerlof décrit le mécanisme général qui conduit dans ces contextes le processus concurrentiel à évincer la “bonne” qualité du marché. Les acheteurs, conscients de l’hétérogénéité de la qualité des offres disponibles, ne peuvent les distinguer. En l’absence d’informations précises, ils prennent donc leur décision sur la base de leur perception de la qualité moyenne des produits offerts sur le marché – la réputation collective de la rénovation – éventuellement combinée au bouche à oreille fournissant des informations parcellaires sur tel ou tel artisan. Un prix plus élevé pourrait leur signaler un rénovateur plus efficace, la qualité étant en effet plus couteuse à produire. Sauf que ce prix peut parfaitement cacher une qualité médiocre. Ne va alors survivre sur le marché que la mauvaise qualité : du fait de son plus faible coût de production, ses fournisseurs sont en effet capables de proposer des prix plus bas. La concurrence aura ainsi sélectionné les prestations les plus médiocres.

Un cercle vicieux s’installe puisque la mauvaise qualité identifiée, en particulier, par son faible impact sur la consommation d’énergie – est découverte par l’acheteur une fois les travaux terminés, quand il reçoit sa facture énergétique. Les économistes parlent de bien d’expérience. Cette expérience négative va alors alimenter un bouche à oreille dégradant la réputation collective de la rénovation. Anticipant un résultat médiocre, les propriétaires de logements à rénover investiront moins. L’asymétrie d’information sur le marché de la rénovation conduit ainsi à des petits travaux, de basse qualité et peu onéreux. C’est, je crois, une représentation assez fidèle de la réalité, notamment la prévalence de rénovations par geste que l’on oppose aujourd’hui à la rénovation globale, plus efficace.

QUELLE INTERVENTION PUBLIQUE?

La politique publique menée jusque-là a sans doute exacerbé le problème. Subventionner la demande rend en effet l’acheteur moins attentif à la qualité de ce qui est réalisé. L’exemple des opérations “à un euro” illustre le mécanisme. À partir du moment où la rénovation est gratuite, la propension d’un acheteur à étudier les offres en concurrence, à surveiller les travaux au cours de leur réalisation et à poursuivre en justice en cas de malfaçons est réduite. Les obligations de rénovation qui viennent d’être adoptées risquent d’avoir le même effet. Les propriétaires bailleurs et vendeurs à qui vont s’appliquer ces nouvelles règles chercheront à respecter la loi au coût le plus faible possible avec un souci limité pour des économies d’énergie dont ils ne bénéficieront pas directement. De mon point de vue, l’intervention publique sur la demande doit aujourd’hui être complétée par une régulation vigoureuse de l’offre visant à réduire les effets de l’asymétrie d’information qui profite aux entreprises de rénovation les moins performantes. Historiquement, cette fonction a été assignée au label RGE qui certifie les entreprises avec une mention “Reconnu Garant de l’Environnement”. Dans la pratique, l’obtention de cette certification est quasiment obligatoire. Les clients d’une entreprise de rénovation ne peuvent en effet bénéficier d’une subvention ou d’une prime CEE qu’à la condition de faire réaliser les travaux par une entreprise certifiée. Cette universalité de la certification a de facto conduit à limiter les exigences permettant de l’obtenir. Qui dit faible exigence, dit d’ailleurs peu de non-respect des exigences du label. Dans un article du Monde paru en août 2022, Qualibat, l’organisme qui certifie 50 000 des 60 000 entreprises RGE, annonçait n’avoir retiré le label qu’à une cinquantaine d’entreprises. Soit 0,01 % de l’effectif total. Il est probable que des entreprises médiocres soient passées au travers des mailles du filet.

Rendre plus sévères les exigences du RGE en lui conservant sa vocation universelle, et donc son rôle de voiture-balai, mettre en place en parallèle un second label plus exigeant et donc plus sélectif permettant d’identifier parmi les offres disponibles sur le marché celles de haute qualité (donc susceptibles d’être payées plus chères), promouvoir l’implication d’un tiers expert indépendant dans les travaux rétablissant le déséquilibre informationnel entre le propriétaire et l’entreprise de rénovation, telles sont de mon point de vue les priorités du jour. L’État semble aujourd’hui décidé à s’engager dans cette voie, notamment en subventionnant l’accompagnement de la rénovation dans le cadre du dispositif Mon Accompagnateur Rénov’. Mais beaucoup reste à faire.

Le lecteur notera l’absence de référence à la rénovation globale, pourtant considérée aujourd’hui comme une réponse majeure au faible impact énergétique des rénovations par geste élémentaire (le changement ponctuel d’une chaudière, l’isolation des combles…). Il fait peu de doute qu’elle doit être favorisée. Reste que le niveau du coût de l’investissement et le coût non monétaire associé à la gêne occasionnée aux occupants par les travaux conduiront au maintien d’une part importante de petites opérations. Le point essentiel est que tout propriétaire réalisant une rénovation, globale ou pas, puisse être accompagné. 

 

BIBLIOGRAPHIE

  • George The Market for “Lemons”, Quarterly Journal of Economics, 1970 (https://bit.ly/Mines516-GA).
  • Le “Rénovation énergétique: la lutte contre les arnaques se renforce.” 11 aout 2020 (https://bit.ly/Mines516-LeMonde)
  • Meredith Fowlie, Michael Greenstone, Catherine Wolfram. Do Energy Efficiency Investments Deliver? Evidence from the Weatherization Assistance Program, 2018 (https://bit.ly/Mines516-WAP).
  • Matthieu Glachant, Victor Kahn, François Lévêque. “Une estimation économétrique de l’impact des travaux de rénovation énergétique sur la consommation d ’énergie et les émissions de carbonne”. 2020 (https://bit.ly/Mines516-M)
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