Auteur : Philippe SIMON (P 1972 ICiv)
Un ancien président de la République française avait, il y a quelques années, passablement choqué une partie de son opinion publique en affirmant “qu’à l’aube du XXIe siècle, le continent africain n’était pas encore entré dans l’Histoire”. Si le propos était rude envers les populations concernées, avait-il pour autant tort au regard des faits ? Soixante années après l’indépendance de la quasi-totalité des pays africains, leur niveau de développement économique et leur capacité à assurer l’alimentation, la santé, l’approvisionnement énergétique et l’éducation de leurs citoyens restent bien en deçà des besoins constatés et des attentes légitimes de ces derniers. Le continent fait face à une croissance démographique géométrique sinon exponentielle, et la plupart des gouvernements sont incapables d’offrir à leurs jeunes générations des perspectives décentes de progrès, d’emploi et de niveau de vie à l’intérieur de leurs frontières. Le paradoxe est que ce continent est vaste, mais que sa population est concentrée dans quelques métropoles, que ses
richesses naturelles (minières, énergétiques) sont colossales, mais profitent encore rarement aux nationaux puisque la majorité des revenus des pays concernés provient précisément de l’exportation de telles matières premières, et que le niveau d’instabilité politique et sociale, voire de sécurité basique, dans certains pays, peut dissuader les investisseurs occidentaux de financer des projets industriels financièrement attractifs et surtout essentiels pour déclencher enfin le décollage économique des pays d’accueil.
Il ne sera pas question ici d’aborder des analyses géopolitiques trop souvent ressassées et dont la conclusion est invariablement la question de Lénine dans la Russie de 1905 :
“Que faire” ? Nous nous intéresserons dans ce dossier aux facteurs clés de succès “objectifs” de la croissance économique du continent, lequel présente déjà quelques marchés
de consommation majeurs au regard de leur population, de leurs ressources propres, et de leur maturité économique : l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Égypte, l’Algérie par exemple. Et de fait, ces facteurs clés de succès, critiques pour l’industrialisation de nations majoritairement agricoles ou au mieux tributaires d’une rente pétrolière, minière ou agroalimentaire, sont bien connus de tout ingénieur et concernent les infrastructures :
- présent obsolescents, nombre de pays se sont déjà engagés dans une forme de transition numérique (importance de la téléphonie mobile) apte, par un cercle vertueux, à diffuser
dans les populations les méthodes modernes de paiement qui nous sont familières, par exemple dans le contexte de l’adoption de monnaies électroniques par les banques centrales. Les témoignages et les analyses d’experts que nous avons recueillis pour ce dossier vous proposent donc, pour l’essentiel de ces infrastructures, un état des lieux, une analyse des opportunités, des projets déjà en cours, programmés ou en quête de financements, de leurs retombées économiques et sociales attendues, sans omettre l’indispensable analyse des risques correspondants. Jean-Michel Huet et Marouane Znagui, de chez BearingPoint, font ainsi le point sur l’émergence des monnaies électroniques de banques centrales (“CBDC” ou “Central Bank Digital Currencies”) et démontre leur potentiel d’inclusion financière pour des populations entières, y compris rurales et enclavées
En liaison directe avec la question monétaire, Tamim El Zein, associé chez Seedstars Africa Ventures, analyse les nouveaux outils de financement qui permettent de soutenir l’émergence et la croissance des startups à travers le continent malgré l’hétérogénéité des situations nationales. En contraste, Claude Motongane dresse un état des lieux sans concession des infrastructures télécom et informatiques du Cameroun, acteur économique majeur de l’Afrique équatoriale, et décrit les besoins prioritaires d’investissements et de formation nécessaires à l’adoption de vecteurs de progrès tels que les CBDC mentionnées plus haut. Énergétiques et sanitaires, tant pour les populations que pour les futures unités de production.
• Télécommunications et systèmes d’information, afin de connecter les acteurs locaux à leurs partenaires extérieurs,à leurs investisseurs et à leurs clients.
• Voies de communication (terrestres, fluviales, aériennes) afin de désenclaver des territoires candidats à l’investissement industriel et de faciliter les échanges internes (songeons
au différentiel de croissance entre la Chine et l’Inde au cours des 10 dernières années, aisément explicable par la comparaison des réseaux routiers, ferroviaires et aériens
des deux états/continents…).
• Financières et bancaires afin de sécuriser les investissements et de solvabiliser les marchés nationaux.
Le continent africain est en particulier doté d’avantages compétitifs sérieux en matière d’énergies renouvelables : solaire naturellement, hydroélectrique dans certains pays – tels la RDC grâce au fleuve Congo ou l’Égypte avec le Nil –, éoliens dans d’autres (ce qui peut surprendre). Par ailleurs, les infrastructures de télécommunication et le système bancaire “classique” étant depuis longtemps sous-performants et à Alfazazi Dourfaye (P95), expert des énergies renouvelables, propose des voies réalistes de développement des énergies hydroélectrique, solaire et éolienne, pour libérer l’Afrique subsaharienne de la précarité énergétique et soutenir les initiatives entrepreneuriales les plus modestes. L’interview de Valérie Levkov, directrice Afrique et Moyen-Orient chez EDF, complète et illustre sa démonstration par le détail des projets en cours à travers le continent, dans l’objectif avoué de répondre aux besoins futurs par une électricité décarbonée. Mieux encore, le témoignage de Pol Jestin, jeune ingénieur installé depuis peu en Namibie, confirme la réalité du potentiel éolien dans ce pays vaste et peu peuplé du Sud-Ouest africain et détaille les facteurs clés de succès des plus récents projets. L’Afrique du Sud, étant donné sa maturité économique, la taille de son marché intérieur et son ouverture vers les investisseurs occidentaux, méritait clairement une analyse spécifique : c’est l’objet de l’exposé d’Étienne Giros, président du CIAN (Association des entreprises françaises en Afrique), qui lui aussi aborde franchement tant les avantages compétitifs indéniables de ce pays que les sérieux risques politiques et sociétaux qui lui sont propres, 30 ans après la fin de l’apartheid. Les deux derniers témoignages relèvent plus de l’aventure humaine que de l’ingénierie financière ou énergétique : “L’angle des jeunes promotions” nous offre un témoignage original et convaincant, celui de deux jeunes camarades Mineurs qui ont accompli un raid à moto à travers l’Afrique de l’Ouest et ainsi pu dialoguer au quotidien avec les habitants de village de Mauritanie, du Sénégal, de Guinée… de tous âges et de toutes conditions. Michel Sousselier, docteur en Pharmacie, est le fondateur (en 1997), de l’ONG Missions Pharmaceutiques Humanitaires (MPH) active à travers l’Afrique pour précisément construire des infrastructures sanitaires pérennes dans des zones rurales souvent oubliées des autorités centrales. Il nous rapporte deux aventures, l’une un succès au Bénin, l’autre un échec en RDC, et analyse finement les facteurs clés de l’un comme de l’autre, le degré de stabilité politique et l’engagement d’intégrité des responsables locaux n’étant pas les moindres. Nous nous sommes efforcés pour construire ce dossier d’éviter tout jugement de valeur a priori, toute condescendance mal venue comme tout optimisme béat : l’Afrique doit dès à présent “entrer dans l’Histoire”, les défis à relever pour ce faire sont nombreux, mais avec l’indispensable dose de réalisme c’est tout de même un message d’espoir que délivrent nos témoins. Bonne lecture, et n’oubliez pas la part de rêve qui demeure indissociable de ce continent malgré les vicissitudes des temps… ▲
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