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UN MARCHÉ EN CONSTRUCTION

Revue des Ingénieurs

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21/06/2022

Auteur : Philippe PELLETIER (E 1990 ICiv)

 

La rénovation des bâtiments n’est pas encore bien inscrite dans la tradition de notre société, principalement guidée par deux tendances: laisser le bâtiment tel quel et se contenter de lui apporter des aménagements modestes, ou bien démolir et reconstruire. Et pourtant, la protection de notre environnement et l’évolution de la société conduisent à chambouler cette alternative : la démolition devient progressivement l’exception, tellement elle libère de carbone et fabrique d’encombrants déchets du bâtiment, et l’exigence d’économie d’énergie et d’adaptation des locaux aux besoins d’aujourd’hui, en matière de vieillissement des habitants ou de nouveaux modes de travail, impose une véritable rénovation du bâti. C’est ce chemin en construction qui est ici esquissé.

 

LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE À L’ŒUVRE

 

Côté énergie, l’enjeu s’est rapidement imposé: si l’on avait en effet décidé de ne pas toucher à l’existant, se contentant d’améliorer la performance énergétique des constructions neuves, le plan aurait dû se développer sur un siècle sachant que le taux de renouvellement du parc est légèrement supérieur à 1 % par an. Or le temps imparti, à l’horizon 2050, oblige à forcer le pas en traitant les bâtiments existants.

Pour réussir cette action, le plan adopté par la France s’inscrit dans la durée et met l’accent sur l’impérieux besoin de susciter l’adhésion de la société, c’est à-dire son appropriation par le plus grand nombre de façon à susciter ensuite le passage à l’acte.

Le plan met ainsi en œuvre un accompagnement des ménages: les plus fragiles sont puissamment aidés, et l’ensemble des ménages se voit proposer information et conseil jusqu’à la prise de décision.

Du côté du parc tertiaire public et privé, le législateur a en 2010 ajouté un défi au plan initial : celui d’une obligation de rénovation, projetée dans le temps long.

Dans ce contexte, la mobilisation des maîtres d’ouvrage et des utilisateurs des immeubles existants, locataires, occupants, mais aussi, dans le champ tertiaire, clientèle des commerces et public accédant aux administrations, est déterminante. On en mesure la difficulté qui tient à la fois à l’hétérogénéité des acteurs, à leur solvabilité si contrastée, à la diversité des bâtiments, comme à la disparité des leviers qui peuvent déclencher l’action de rénovation énergétique.

 

Les acteurs

Chacun comprend aisément combien la recherche de l’adhésion des propriétaires et occupants va largement dépendre des personnes concernées. Parler à un ménage âgé, qui habite une maison énergivore située en milieu rural et qui peine à remplir avant l’hiver la cuve à fuel parce qu’il vit avec les minima sociaux, tenter de convaincre le maire d’un village où les bâtiments publics se résument à la mairie, l’école et le logement de l’instituteur, l’église, la salle polyvalente et peut-être un foyer accueillant la cantine des enfants ou le club des anciens, s’adresser aux dirigeants d’une société foncière française propriétaire de centres commerciaux, discuter avec le représentant d’un fonds de pension américain, investisseur d’immeubles de bureaux en Europe : évidemment autant de langages distincts et de leviers différents qui doivent cependant servir un même dessein, celui d’engager la rénovation énergétique des bâtiments existants.

 

Les bâtiments

La diversité est la règle, qui a conduit à fixer avec raison des objectifs d’évolution moyenne de performance énergétique. Personne n’imagine que les solutions seront les mêmes pour économiser l’énergie dans tous ces bâtiments : ici on jouera sur le comportement des utilisateurs, là on mettra l’accent sur le pilotage des consommations et la maintenance des installations ; là encore, ce 

sont le toit à isoler, les menuiseries à remplacer, le système de chauffage à changer.

Et puis, l’objectif de performance varie suivant le bâti, sa localisation géographique, son époque de construction ou son usage: s’il est raisonnable d’envisager de ramener des logements collectifs à un niveau de consommation énergétique de l’ordre de 50 kWh/m²/an, dit BBC-exploitation, il ne l’est pas pour une galerie commerciale très consommatrice d’énergie ou un monument historique impossible à rénover. Et du côté des logements, il n’y a pas grand-chose en commun sur le plan énergétique entre une maison paysanne de tradition, un pavillon d’avant la crise pétrolière de 1973, un ensemble de logements sociaux ou un immeuble haussmannien.

 

Les leviers

Là encore, la variété des approches est impressionnante. Si pour la plupart des ménages, la maîtrise du montant des charges de chauffage constitue la préoccupation première — et pour les quatre millions de ménages en situation de précarité énergétique, c’est d’urgence sociale qu’il faut parler —, il en va différemment pour d’autres acteurs : un bailleur social peut trouver dans la rénovation énergétique de son parc le moyen de répondre à l’attente des locataires de retrouver un peu de pouvoir d’achat; un grand bailleur privé y puisera un argument concurrentiel vis-à-vis de sa clientèle ; dans le parc tertiaire, la responsabilité sociale des entreprises guide de plus en plus celles-ci à n’installer leurs équipes que dans des locaux d’exploitation répondant à des critères de faible empreinte environnementale et souvent labellisés. Et tous ceux qui reçoivent le public peuvent ériger la sobriété environnementale de leurs locaux d’accueil en critère distinctif de leur administration ou de leur entreprise.

Et puis il y a les enjeux de valeur : progressivement, ils s’installent dans le paysage français, alors qu’ils sont déjà largement opérants dans d’autres pays où la question environnementale a acquis plus de maturité, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, aux USA ou dans les pays nordiques d’Europe. Dès à présent, une maison énergivore située en France dans une zone dite non tendue, celle où l’acquéreur peut choisir d’acheter telle ou telle maison, a une valeur sensiblement moindre qu’un logement sobre en énergie. De premières enquêtes, réalisées par le notariat, révèlent une nette tendance en ce sens. Si les immeubles tertiaires ne sont pas encore clairement distingués par ce qu’on désigne déjà sous le vocable de “valeur verte”, faute d’une offre suffisante de bâtiments très performants, les investisseurs savent que le mouvement est inéluctable et qu’il va s’accélérer à l’initiative des entreprises locataires : celles-ci vont devenir exigeantes sous l’emprise de leurs engagements de développement durable ou relatifs à leur responsabilité sociétale.

 

Déjà même, certains investisseurs internationaux analysent que des enjeux de non-valeur sont à l’œuvre : si le modèle économique de l’investisseur repose sur la titrisation des loyers, qui permet d’en faire une valeur circulante, la condition est que le flux des loyers soit certain en raison de la qualité de signature (triple A) de l’entreprise locataire ; que devient alors le modèle si de telles entreprises se désintéressent d’immeubles ne répondant plus aux standards de performance attendus?

En somme, la nécessaire rénovation sur le plan énergétique des logements et locaux d’activité, qu’il faut accélérer dans notre pays, se caractérise par l’extrême diversité de la société et des bâtiments concernés, comme des ressorts qui peuvent déclencher l’action.


LA RÉNOVATION GLOBALE À CONSTRUIRE

Le chemin qui s’ouvre désormais dépasse le champ énergétique, puisqu’il intéresse l’acte de rénover le bâti dans sa plénitude : il concerne pour l’essentiel son adaptation aux nouveaux usages, ce qui suppose à la fois de stimuler la demande et de renforcer l’offre.

 La demande

Pour faire atteindre à l’offre de services l’ampleur souhaitable, deux pistes méritent d’être explorées qui, l’une et l’autre, portent un élargissement de l’acte de rénover, d’abord dans sa thématique, ensuite dans son champ géographique.

Sur le terrain thématique, l’efficacité commande de s’ouvrir à une approche élargie de l’acte de rénover, en y embarquant systématiquement la performance énergétique. Deux exemples éclaireront le propos : la rénovation nécessaire des locaux tertiaires n’est plus seulement énergétique, car elle doit prendre en compte les changements d’usage, la transformation des espaces communs, la moindre utilité des parkings à voitures, etc. Ces questions sont devenues structurantes de la bonne marche de l’entreprise, elles traduisent le surgissement de nouvelles formes de travail, plus collectives, plus à distance ; bref, l’ajustement des espaces de travail aux nouvelles pratiques est devenu déterminant, et il serait bienvenu de marier ces préoccupations avec nos objectifs énergétiques et environnementaux.

En matière résidentielle, d’autres transformations s’imposent, l’adaptation du logement au vieillissement et au handicap, mais aussi aux évolutions du groupe familial, au besoin croissant de travailler à domicile : il devient ainsi pertinent de cultiver une approche large de la rénovation requise des logements, qui permette de mener de pair l’adaptation du logement à ses nouveaux usages et la recherche de sa sobriété énergétique.

Sur le terrain géographique, c’est une rupture qu’il faut initier : cessons de raisonner au logement et au bâtiment, et changeons de maille d’intervention en privilégiant des programmes de rénovation d’un îlot, d’un quartier, d’une centralité, d’un lotissement. L’idée est de favoriser des actions groupées, contractualisées entre la collectivité territoriale et l’État, qui développeront leur efficacité en embarquant le plus grand nombre des bâtis à rénover, tous usages confondus,

en jouant sur la triple unité de lieu, de temps et d’action, qui en assure le succès : au moins deux programmes l’ont montré, les opérations programmées d’amélioration de l’habitat (Opah), comme le dispositif “action cœur de ville” qui se déploie actuellement dans 222 villes moyennes volontaires. Et l’on devine que l’action proposée intéressera de grands acteurs du bâtiment qui en l’état sont demeurées à l’écart des rénovations entreprises, considérées comme trop unitaires pour les mobiliser ; les promoteurs et les grands du BTP notamment. Voilà donc des pistes de progrès qui sont de nature à encourager la demande.

 

L’offre

Deux autres voies, sans doute moins immédiates, seraient de nature à renforcer l’attractivité de l’offre : elles intéressent le financement des opérations et les garanties offertes aux maîtres d’ouvrage.

 

En matière de financement

La question est celle de la mobilisation des réseaux bancaires pour financer la rénovation des logements. On peut en effet penser que viendra le moment où le niveau des aides directes et subventions s’amenuisera, obligeant à en concentrer la destination vers les ménages les plus précaires. Se posera alors avec acuité la question de l’accès au financement bancaire de la rénovation des logements. Les Allemands ont réglé le sujet en confiant la distribution des financements à une banque dédiée à cet effet, la Kfw. Telle n’est pas l’approche française, le seul établissement spécialisé dans les financements immobiliers, le Crédit foncier, ayant été dilué au sein du groupe BPCE. Il faut donc se tourner vers les grands réseaux bancaires français, au premier chef les réseaux mutualistes, et constater la faible appétence actuelle de leur part à faire vivre ce marché. Au point même que, il y a quelques années, les pouvoirs publics ont modifié le Code monétaire et financier en ouvrant une brèche dans le monopole bancaire qui fait dorénavant une place aux sociétés de tiers financement portées par de grandes collectivités territoriales, en pratique quelques régions qui ont saisi cette opportunité face à la démobilisation des banques. Il n’est pas lieu de reprocher aux réseaux bancaires leur absence d’intérêt pour ces financements qui vont à rebours des évolutions du secteur bancaire, invité à préserver ses fonds propres, à industrialiser ses prêts, là où le financement de la rénovation justifierait un traitement davantage sur-mesure… Il s’agit toutefois de réfléchir aux conditions possibles d’un engagement bancaire au service de cette activité, et trois pistes peuvent sans doute être explorées : une instruction des demandes de prêts qui serait opérée par des mandataires agréés, avant que la banque ne soit invitée à jouer son rôle de dispensateur de crédit ; une concentration de la mobilisation bancaire sur les prêts collectifs, consentis aux copropriétés prises en la personne de leur syndic agissant comme représentant des copropriétaires, le financement étant attaché aux lots à rénover ; enfin, une généralisation des rénovations à l’occasion des mutations immobilières qui, en 2021, concernaient 1,2 million de logements : ne peut-on, avec l’appui des agents immobiliers, des courtiers et des notaires, favoriser la distribution de prêts acquisition-amélioration, contribuant ainsi à ce que l’acquisition du logement devienne le temps privilégié de sa rénovation ? Ce sont là des pistes qui méritent d’être approfondies.

La question des garanties

Le sujet exprime le besoin de sécuriser, par la contractualisation d’obligations de résultat, les clients, acquéreurs de prestations de service immobilier. Il faut en effet que l’industrie immobilière, de l’amont industriel à l’aval de la gestion et l’entretien, gagne ses lettres de noblesse en devenant une branche industrielle sûre, comme l’est par exemple devenue l’industrie automobile qui sait offrir des garanties de service après-vente et rappeler des centaines de milliers de véhicules pour contrôle et remplacement. Il est temps que notre industrie du bâtiment et de l’immobilier prenne la juste mesure des attentes sociétales encore insatisfaites, celles d’un service rendu par l’ensemble de la chaîne, en temps et heure, qui produise la prestation attendue et en garantisse la bonne fin. À la clé, figurent non seulement la satisfaction de la clientèle, et donc sa croissance, mais aussi l’attractivité d’un secteur économique majeur qui, en raison de sa performance accrue, favoriserait le développement des filières de formation professionnelle et, par voie de conséquence, la reconnaissance par la société des professions considérées. En somme, il faut œuvrer à ce que ceux qui détiennent “l’intelligence de la main” occupent dans notre société la place qui devrait être la leur.

Les transformations immobilières ici évoquées, que provoque le besoin de rénover, constituent une formidable occasion pour permettre à l’industrie immobilière de réussir cette mue qu’espère notre société. 

 

 

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