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UN ACTEUR MAJEUR DE L’ÉCOSYSTÈME AUTOMOBILE EUROPÉEN

Revue des Ingénieurs

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17/03/2022

Auteur : Philippe SIMON (P 1972 ICiv)

La vocation initiale de l’Espagne semblait être de représenter pour la France une base arrière de fabrication de modules et composants (comme la République Tchèque pour l’Allemagne). Mais l’industrie automobile espagnole est aujourd’hui un secteur “mature” dont la compétitivité globale rivalise objectivement avec celle des grands acteurs français et allemands.


L’usine Renault de Valladolid produit entre autres le Captur, l’un des best-sellers de la marque en France.

L’HISTORIQUE DU DÉVELOPPEMENT

Jusqu’au milieu des années 1970 l’Espagne ne pouvait pas se prévaloir d’une tradition automobile robuste, son dernier constructeur national, Pegaso (qui avait repris après la seconde guerre mondiale les actifs d’Hispano Suiza) ayant cessé toute production au milieu des années 1950. Cependant, cette même marque Pegaso continuait de désigner une activité significative de production de poids lourds (depuis 1946) et même de véhicules militaires, l’ensemble appartenant au groupe espagnol ENASA. Cette expertise cumulée valut à la marque et à ses gammes de véhicules d’être absorbée dans l’ensemble FIAT-IVECO en 1990 (dernier moteur espagnol original fabriqué en 1995).

En parallèle, le seul producteur national de véhicules particuliers, Seat, était historiquement une filiale de FIAT créée en 1950 à l’initiative du gouvernement espagnol. Elle passa dans le giron de VW/Seat en 1986, précisément dans le contexte de la montée en puissance des investissements locaux de constructeurs européens majeurs : PSA, VW, Ford, Renault. La motivation initiale de ces acteurs était naturellement la recherche de coûts de fabrication inférieurs à leurs coûts nationaux, à commencer par les charges salariales et sociales. Il s’agissait en outre de prendre des positions locales fortes afin de servir des marchés nationaux appelés à se développer rapidement à la faveur de l’intégration prévue de l’Espagne dans l’UE (1986).

De même, l’exigence de recours à une main d’œuvre immédiatement qualifiée orienta les choix géographiques des constructeurs vers le Nord-Ouest de l’Espagne, dont les provinces (Pays Basque, Navarre, Asturies, Galice) offraient une longue histoire d’activités minières et métallurgiques et une forte population ouvrière désireuse de “monter en gamme”.

Le résultat de cette stratégie s’observe aujourd’hui dans la localisation des principales usines : Vigo (Galice) et Saragosse (Aragon) pour Stellantis (PSA/Chrysler/Opel), Palencia et Valladolid (Castille/Leon) pour Renault, Pampelune (Navarre) et Martorell (Catalogne) pour VW/Seat. Deux sites font exception à cette logique, l’usine de Ford à Valence et l’usine de boîtes de vitesses de Renault à Séville.

Dans le cas spécifique de Renault, Valladolid (2 sites) produit le modèle “Captur” (petit SUV urbain) ainsi qu’un moteur diesel 1,5l diffusé dans toute l’Europe. Palencia produit le SUV Kadjar et la berline Mégane.

 

La montée en puissance de ce secteur automobile s’inscrivait dans la stratégie d’industrialisation globale du pays analysée dans l’article de François Glémet dans le présent dossier (page 20). Le résultat est impressionnant  car l’Espagne est aujourd’hui le 2nd producteur automobile européen en volume, derrière l’Allemagne et devant la France : elle a en effet produit 2,8 millions de véhicules en 2019 (chiffre réduit à 2,3 millions en 2020) et le secteur automobile représente environ 10 % du PIB espagnol. Stellantis y produit plus de 800 000 véhicules après la fusion de PSA (Vigo) et FCA (Figuerelas), Renault environ 400 000 véhicules (derrière la France et la Russie), VW Seat plus de 500 000 (grâce à une remarquable remontée de la marque Seat depuis 2010) et Ford environ 200 000. 

LES DÉTERMINANTS ESSENTIELS DE LA COMPÉTITIVITÉ ESPAGNOLE POUR L’INDUSTRIE AUTOMOBILE

L’Espagne propose des avantages géographiques particuliers en regard des contraintes logistiques de l’industrie automobile: elle dispose de nombreux ports en eau profonde tant sur la côte atlantique que méditerranéenne, ce qui facilite le transit de véhicules complets et de composants vers ou en provenance du Royaume-Uni et du bassin méditerranéen. Moins intuitivement, l’Espagne bénéficie de la présence d’un fort secteur de fabrication d’outillages dans le Nord du Portugal voisin. Ces outillages, spécifiques d’un module donné (ligne d’échappement, berceau moteur, GMV, amortisseurs…) sont aujourd’hui majoritairement construits en Chine mais l’existence d’une alternative portugaise crédible est bienvenue car la proximité logistique, la réduction et la fiabilisation des délais, et une plus grande flexibilité compensent effectivement le différentiel de prix pour des constructeurs désormais focalisés sur la réduction du délai de développement des nouveaux véhicules.

Par ailleurs la quasi-totalité des grands équipementiers de Rang 1 (qui livrent des systèmes complexes aux constructeurs intégrateurs et sont très impliqués dans les innovations technologiques) ont suivi leurs clients en Espagne et fondé des usines à proximité des sites d’assemblage des OEM (Original Equipment Manufacturer, Fabricant d’équipement d’origine) : Magna, Valeo, Faurecia, Robert Bosch, Continental, Reydel… De ce fait le “ratio de sourcing local”, recherché par tous les constructeurs pour sécuriser leurs approvisionnements, est quasi optimal en Espagne. 

LA REPRODUCTION D’UNE STRATÉGIE GAGNANTE: LA BASE ARRIÈRE MAROCAINE

Constamment préoccupés par la maîtrise de leurs coûts de production, les constructeurs français ont trouvé dans le Nord du Maroc l’opportunité de rejouer à partir des années 2010 le scénario espagnol des années 1985-90, soit une base de fabrications dotée de main d’œuvre raisonnablement qualifiée mais aux charges salariales nettement inférieures aux niveaux européens et une position logistique favorable pour importer composants et outillages et exporter les véhicules assemblés.

Renault a ouvert la voie en 2012 en inaugurant son usine de Tanger positionnée à proximité du complexe portuaire de Port TangerMéditerranée (“Tanger-Med”) sur le détroit de Gibraltar en face du port espagnol d’Algésiras. Ce complexe avait été inauguré dès 2007 et dimensionné pour traiter 1 million de véhicules par an. De fait l’usine Renault-Nissan de Tanger atteint une capacité de 340 000 véhicules par an et jusqu’à la pandémie de 2020 tournait à plein pour livrer Sandero et Express. En comparaison l’usine Stellantis (ex-PSA) de Kenitra située plus au Sud en direction de Rabat offre une capacité récemment doublée de 200 000 véhicules par an et a ouvert ses portes plus récemment, en 2019.

L’Espagne peut-elle souffrir de cette récente concurrence du Maroc? Du fait de sa maturité industrielle, et du positionnement plus haut de gamme de ses fabrications, il est plus probable qu’au contraire, l’Espagne bénéficie du développement du Maroc et surtout de sa base fournisseurs. Même si à court terme, la toute jeune base industrielle marocaine doit encore fortement se développer pour exporter, elle peut représenter dans quelques années une vraie opportunité de compétitivité pour l’Espagne sur des composants peu volumineux et à plus faible valeur ajoutée. Déjà, le Maroc s’est taillé une belle part de marché dans le secteur du câblage, où la part de main d’œuvre est très élevée, et les sites OEM espagnols s’y approvisionnent quasi exclusivement. 

L’ÉCOSYSTÈME NATIONAL DES ÉQUIPEMENTIERS ESPAGNOLS

Le secteur automobile espagnol présente une caractéristique plutôt surprenante pour un pays dont la production nationale jusqu’en 1978 ne dépassait pas 500 000 véhicules par an, tous sous marque étrangère (Seat, c’est-à-dire FIAT, puis Volkswagen après 1986) : la présence d’un solide réseau d’équipementiers de taille PME et ETI, souvent à capitaux familiaux, ayant souvent construit leur compétitivité et leur résilience dans des segments très concurrentiels, délaissés par les équipementiers européens majeurs. Cette caractéristique rapproche l’écosystème espagnol de ses homologues allemand et italien, et contraste avec la faiblesse du réseau de “petits fournisseurs” (Rang 2 et plus) en France. Quelques-uns de ces équipementiers ont par ailleurs réussi une croissance, notamment externe (rachat ou absorption de leurs concurrents directs plus vulnérables), qui fait d’eux des partenaires incontournables pour les constructeurs OEM sur certains domaines.

C’est le cas de Gestamp, spécialiste de l’emboutissage (métier dont les anciens acteurs européens par exemple ont pour beaucoup disparu) qui réalise aujourd’hui un CA annuel de 8 Mrds € environ, notamment par croissance externe (Edscha, TKP…). D’une société moyenne d’emboutissage dans les années 2000, Gestamp est devenu aujourd’hui un leader européen voire mondial de sa spécialité, implanté mondialement (avec par exemple 6 sites en France) et a aussi su évoluer vers des systèmes innovants pour répondre aux besoins d’allégement des châssis des constructeurs. Un autre exemple de réussite est Grupo Antolin, spécialiste de l’intérieur véhicule (panneaux de portes, pavillons, cockpits…) et des systèmes d’éclairage. Ce groupe atteint un CA de 5 Mrds € et a par exemple en 2015 acquis l’activité “intérieur véhicule” du Canadien Magna International

On peut enfin citer le groupe Basque Mondragon, qui a un modèle très original d’entreprise à modèle économique coopératif : fondé en 1941 par un prêtre, il est devenu sous le nom de MCC (essentiellement par croissance externe) un colosse diversifié de 12 Mrds € annuels (le 7e groupe industriel espagnol). Sa branche “industrie” (5,3 Mds €) est à la fois fabriquant de machines-outils et équipementier automobile de Rang 1 ou 2 tout en investissant massivement en R&D dans l’électronique, les énergies renouvelables et l’industrie 4.0 

LES LIMITES DU MODÈLE

Tout n’est naturellement pas rose dans le secteur automobile espagnol, à commencer par la haute sensibilité du marché national aux crises conjoncturelles (2008, 2012, pandémie en 2020). Bien que le niveau de vie des 47 millions d’Espagnols qualifie ce pays pour le groupe des 5 principaux marchés européens, l’amplitude de ses cycles conjoncturels est plus forte qu’en France par exemple.

De plus, même si la base industrielle constructeur et fournisseur est particulièrement développée en Espagne au titre de la production, peu de groupes mondiaux, que ce soit OEM ou Rang 1, y ont localisé une part significative de leur R&D. Par exemple, Renault dispose d’équipes ingénierie en Espagne pour accompagner le développement et l’industrialisation des nouveaux projets locaux (une partie du “D”), mais le cœur du développement et la recherche amont (le “R”) demeure dans les sites ingénierie corporate comme le Technocentre de Guyancourt.

Derrière ce rôle dévolu à l’écosystème espagnol d’un acteur majeur en fabrication, y compris dans des domaines à haute valeur ajoutée, mais sans la même force en ingénierie, il y a aujourd’hui une absence d’acteurs espagnols de tout premier plan, OEM ou équipementier, comme on peut retrouver en Allemagne, France ou en Italie, capables d’entrainer toute une filière.

Cette restriction n’enlève toutefois rien au constat d’une réussite stratégique probante, celle de la construction en 30 ans d’une filière industrielle nationale complète, aux structures de coûts performantes au sein de l’Union Européenne, et à la chaîne de valeur fortement intégrée. 

L’Espagne dispose d’un solide réseau d’équipementiers de taille PME et ETI, comme Gestamp. Ce spécialiste de l’emboutissage réalise un CA annuel de 8 Mrds€ et est aujourd’hui un leader européen voire mondial de sa spécialité.

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