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QUAND, SI CE N’EST MAINTENANT ?

Revue des Ingénieurs

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17/11/2020

Auteur : John HAZAN (P 1994 ICiv)

Comment une pandémie mondiale a révélé des façons de travailler et des comportements qui ont toujours été en nous.


De nombreuses entreprises sont confrontées depuis quelque temps à plusieurs défis autour de la quête de sens, la recherche de simplicité pour retrouver la mentalité de leur fondateur qui s’est perdue dans les méandres de leur complexité organisationnelle, et autour de l’engagement de leurs collaborateurs alors que les millenials et les “génération Z” représenteront plus de la moitié de ces derniers d’ici 5 ans à peine.

La crise du Covid-19, par son ampleur et ses spécificités, a chamboulé leur agenda. Mais elle a aussi servi leur cause en faisant émerger ou accélérer de nouveaux modes opératoires et des comportements qui n’arrivaient pas à “imprimer” jusqu’ici dans les organisations.

Cette pandémie est unique. On parle de la “crise du grand confinement”, en référence à la “grande dépression” de 1929. Les changements de réalité auxquels le leadership et les managers des entre-

prises ont été confrontés ont été extrêmement soudains. Ces mutations les ont obligé à revisiter en profondeur, du jour au lendemain, leur posture managériale et la façon dont ils étaient amenés à travailler avec leurs équipes.

LES ENTREPRISES ET LEURS LEADERS FACE À TROIS INJONCTIONS CONTRADICTOIRES

La première, c’est une contradiction des temps: extrême court terme contre moyen et long terme.

Il leur fallait préserver les “bijoux de famille”, d’un point de vue financier et d’un point de vue humain avec des collaborateurs souvent en état de choc et de sidération extrême, et “en même temps” travailler sur la préparation de l’après, avec une phase de réamorçage qui est arrivée finalement relativement vite et qui a été suivie de près par une phase de prise de recul sur les leçons que cette crise a permis de dresser.

La deuxième contradiction, c’est une contradiction des intentions : réduction de coûts contre accroisse- ment de leur proposition de valeur. Les défaillances vont radicalement augmenter au cours de l’année 2020. Les entreprises de la plupart des secteurs d’activité ont été et sont encore impactées par la crise. Cela les pousse à vouloir mettre en œuvre des programmes de réduction de coûts à échéance rapide. “En même temps”, plus important que la refonte de leur structure de coûts, elles doivent réfléchir sur la pertinence de leurs propositions de valeur. Ce sont les entreprises qui réussiront à positionner leurs produits et leurs services comme fondamentaux pour leurs clients et non comme des dépenses discrétionnaires qui sortiront gagnantes.

La dernière contradiction, c’est une contradiction des parties prenantes: actionnaires, clients, collaborateurs, communautés locales.

Bien sûr, les grands groupes doivent rendre des comptes à leurs actionnaires. Mais dans l’urgence du moment, plus que jamais, ce sont les clients de l’entreprise, mais aussi et surtout leurs collaboratrices et collaborateurs et leur rôle sociétal qui ont la plupart du temps primé. Les actionnaires ensuite. Les leaders de plusieurs grands groupes se sont clairement positionnés avec des actions symboliques et fortes en cohérence avec leur Raison d’être. 

LE RESSENTI DES EMPLOYÉS DURANT LE CONFINEMENT

Une enquête réalisée par Bain & Company auprès de 953 collaborateurs dans les pays d’Europe, aux États-Unis et en Chine entre le 28 avril et le 20 mai a confirmé ce qu’on intuitait au fil des échanges avec dirigeants de grands groupes.

Malgré des conditions de travail particulièrement difficiles imposées par la pandémie, illustrées par la mise en place soudaine de télétravail selon des modalités loin d’être idéales et par l’utilisation extensive de mécanismes d’activité partielle, le niveau d’engagement des collaborateurs (tel que mesuré par le Net Promoter System pour les collaborateurs) a dans son ensemble été bon pendant le confinement. Il s’est même renforcé par rapport à la situation d’avant crise : il a été en augmentation pour 31 % des répondants et stable pour plus de 60 % d’entre eux.

On a souvent la critique facile vis-à-vis des entreprises. Portées par leurs leaders et leurs managers, elles ont été incontestablement à la hauteur de ce choc. Une très grande partie des collaborateurs qui ont répondu à l’enquête se déclare fière de la façon dont leur entreprise a géré le confinement.

  • 3 collaborateurs sur 4 se déclarent satisfaits des mesures mises en place par leur entreprise pour soutenir leurs collaborateurs (priorité à la sécurité sanitaire, télétravail généralisé, activité partielle pour préserver l’emploi),
  • 3 sur 4 se déclarent fiers des mesures mises en place pour assister leurs clients,
  • 2 sur 3 sont fiers des mesures prises par leur employeur pour supporter les communautés.

La crise du Covid-19 a révélé les bonnes pratiques qui étaient pour la plupart déjà au sein des entreprises, mais trop souvent oubliées :

  • La moitié des répondants de l’étude met en avant une meilleure priorisation des objectifs, et une plus grande propension à travailler en approche transverse en dehors des structures organisationnelles,
  • Un tiers des répondants met en avant une attention accrue à la collaboration avec les clients et des mécanismes de feedback plus fréquents entre managers et

LES QUATRE DIMENSIONS SUR LESQUELLES LEADERS ET MANAGERS ONT AGI

Le sentiment d’urgence a servi de déclencheur pour que les équipes de direction et les managers se remettent profondément en question sur 4 grandes dimensions. 

Une posture réinventée

Tous les grands groupes ont des procédures de gestion de risques, et des plans d’action prédéfinis extrêmement détaillés pour y faire face. Cette crise n’entre dans aucune case. Elle a nécessité de travailler autant sur le “quoi” que sur le “comment”.

Un leader d’un grand groupe partageait récemment ce constat que tout au long de la crise, il n’était plus pour ses équipes qu’une image derrière un écran d’ordinateur. Il lui a fallu passer du super manager décisionnaire de tout dans les tous premiers jours de la crise à un leader fortement délégatif capitalisant sur quelques fondamentaux: clarté, humilité, honnêteté et empathie.

Une refonte des routines d’équipes

Le concept de management positif n’est pas nouveau. Il a pris ici tout son sens. Alors que les équipes devaient réinventer leur espace de travail à domicile, les managers devaient remettre à plat les routines d’équipe et valoriser la solidarité et l’entre-aide. Cela passait par la nécessaire définition de nouveaux rituels d’équipe à la discrétion de chaque manager. 

Cette crise a en outre révélé le télétravail. Alors c’est vrai, tout n’a pas été idéal, et souvent télétravail a rimé avec multi-tâches pour les parents de jeunes enfants, ou avec solitude pour celles et ceux restés isolés dans des studios de

20 m2. Dans les faits, le bilan du télétravail a été neutre en termes de productivité. Autant de managers constatent une amélioration qu’une dégradation. Au-delà de ce bilan chiffré, la pandémie a servi d’accélérateur à la mise en œuvre en temps très court de cette modalité pas si nouvelle de travailler. On a gagné 10 ans dans la crédibilisation du télétravail ! Il se pré- sente aujourd’hui (enfin !) comme une alternative crédible au travail sur site dans de très nombreux métiers.

Une re-légitimation des managers de proximité, maillon essentiel de la préservation du lien social

Le confinement n’a pas été vécu de manière uniforme. Entre parents d’enfants en bas âge, personnes fragiles et isolées ou profils à risques par rapport à la maladie, les situations particulières étaient nombreuses. Le rôle des managers de proximité a été d’autant plus important qu’ils étaient les seuls à être à même d’identifier les conditions particulières de chacun des membres de leur équipe, et de suivre individuelle- ment chacun pour s’assurer de son bien-être au travail.

Une communication fréquente avec des messages simples

Dans une crise qui génère peur et anxiété, le niveau de réceptivité des collaborateurs aux messages est réduit de 80 %. Sur une heure d’échanges, leur attention est limitée à moins de 12 minutes et trois messages... Fort de ce constat, la communication locale a pris le pas sur la communication institutionnelle, pour relayer les témoignages terrains des personnels qui reprenaient le travail et expliquaient de façon simple les modalités pratiques des nouvelles règles d’hygiène préconisées.

LA PÉRENNISATION DES ENSEIGNEMENTS IMMÉDIATS DE LA CRISE DU COVID-19

Le confinement est source d’enseignements pour les entreprises. Houellebecq disait récemment que le monde post-Covid serait le même que celui d’avant, en pire… Pour le faire mentir, il faudra identifier ce qui a changé dans les modes de fonctionnement des entreprises et intégrer ces enseignements dans les façons de travailler de l’après crise. Avec un objectif : éviter la tendance naturelle du retour en arrière. Pour cela, il est proposé sept champs de questionnement. 

  1. Le premier champ porte sur la Raison d’être. C’est un sujet “à la mode” depuis quelques années mais qui avant la crise souffrait d’un manque d’incarnation. Trop souvent vécu comme un exercice de marque employeur et pas assez comme une boussole susceptible de définir le cap à très long terme que l’entreprise doit suivre. Cette crise a été un formidable révélateur de Comment assurer que les actions déployées à tous les niveaux des entreprises lors du confinement servent d’ancrage durable pour la Raison d’être ?
  1. Comment adapter les structures et les processus de décision pour pro- longer bien au-delà de la crise l’efficacité observée au cours du confinement et la capacité à prioriser les initiatives et les projets ?
  1. Quels sont les principaux meetings qui ont été simplifiés ou supprimés? Quelles activités ont été dépriorisées dans chaque fonction et dans chaque métier ? Lesquelles parmi elles ne doivent pas être réinstallées dans le futur, pour rendre efficaces et efficients les systèmes de management de l’entreprise en régime “permanent”?
  1. L’agilité et l’adaptabilité dont ont fait preuve les leaders peuvent survivre à la crise et irriguer la culture et le modèle de leadership à tous les niveaux de Quels sont les moments de vérité clés sur les- quels il faudra porter une attention particulière pour éviter de succomber au syndrome de retour en arrière tant redouté? 
  1. Des métiers sont apparus critiques et certains talents se sont révélés pendant cette période. Comment adapter les pratiques en matière de ressources humaines pour dynamiquement réallouer ces talents sur les métiers les plus critiques de l’entreprise ?
  1. Projets digitaux et SI riment trop souvent avec dépassement de délais, coûts excessifs et conduite du changement insuffisante. En quelques semaines, des bonds quantiques ont été opérés dans la digitalisation des façons de travailler et la mise en place de nouveaux outils permettant la collaboration à Comment pré- server cet état d’esprit et cette agilité enfin éprouvée, au-delà de la crise ?
  1. Le dernier champ de questionnement porte sur les processus de bout-en- bout. Quelles étapes ont été supprimées ou drastiquement simplifiées ? Peuvent-ils être maintenus en l’état en régime permanent post crise ? 

Les entreprises sont désormais à un point d’inflexion. La plupart reviendront à des schémas et comportements familiers et souvent bureaucratiques quelques semaines à peine après la fin de cette crise. D’autres, en plus petit nombre, profiteront du moment pour “recharger” leurs modes de fonctionne- ment et ressortir plus fortes. Ce sont celles dans lesquelles managers et dirigeants se seront intentionnellement mobilisés, via leurs actions et leurs comportements, afin d’empêcher la “mémoire organisationnelle” de reprendre le dessus. Il est encore temps d’agir pour faire partie de cette deuxième catégorie, mais plus l’attente sera longue plus il sera difficile de ne pas revenir aux habitudes tant décriées de complexité qui prévalaient trop souvent avant la crise…

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