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DISCERNER POUR DÉCIDER DANS L’INCERTITUDE

Revue des Ingénieurs

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17/11/2020

Auteur : Sylvie-Nuria NOGUER (P 1997 MSPE)

Si décider est une pratique quotidienne au bureau comme à la maison, les occasions de prendre du recul pour se questionner sur son processus de décision sont plus rares. Une analyse réflexive s’avère pourtant indispensable pour cultiver son discernement et mieux décider, particulièrement dans des situations complexes et incertaines.


LES DÉFIS DE LA DÉCISION

Pensez à une décision délicate que vous avez prise au cours des derniers mois. Qu’est-ce qui a rendu cette décision difficile ? Souvent la complexité des enjeux, l’urgence de la situation, le nombre de parties prenantes et la diversité de leurs points de vue sont autant de facteurs qui augmentent le niveau de difficulté d’une décision. À cela s’ajoutent l’incertitude et les conséquences durables ou irréversibles qui peuvent faire d’un choix un véritable casse-tête.

Les défis de la décision sont également liés à notre état d’esprit en tant que décideur. Les biais cognitifs, mis en évidence par Daniel Kahneman et Amos Tversky depuis les années 70, affectent notre raisonnement et ont un impact sur notre capacité à faire les bons choix. Face à l’incertitude ou en situation de crise, ces biais sont encore plus susceptibles d’affecter la qualité de notre jugement. Sans compter notre état émotionnel qui lui aussi peut être exacerbé face à l’incertitude et à l’importance des enjeux de la décision.

DISTINGUER INTUITION ET IMPULSION

La crise met le décideur devant une situation inédite par définition. Dans ce cas, quelle part accorder à l’intuition ? L’intuition se manifeste comme une pensée ou une sensation immédiate. Si certaines cultures organisationnelles valorisent une prise de décision rapide – on dira de quelqu’un qu’il est bon décideur parce qu’il tranche vite – la rapidité n’est pas toujours le gage d’une bonne décision. Elle peut même être contre-productive dans des situations complexes où notre vision de la situation est partielle et où nous manquons d’expertise. D’autant que ce que nous appelons intuition cache parfois une préférence dictée par l’émotion plus que par la sagesse. Face à la complexité, il convient donc de mettre ses idées à l’épreuve des faits en s’entourant de l’expertise nécessaire et en écoutant les perspectives des parties prenantes. Une prise de recul et une écoute intérieure seront également nécessaires pour reconnaître et gérer ses mouvements émotionnels et décider avec sérénité.

CONNAÎTRE SON SYSTÈME

Une des premières clés est d’analyser la situation de façon systémique et discerner ce qui dépend de soi et ce qui ne dépend pas de soi. De quoi êtes-vous redevable? Sur quoi pouvez-vous agir ? Décider en temps de crise demande au décideur d’exercer une vigilance à deux niveaux :

  • connaître son système et son écosystème : il s’agit d’identifier les parties prenantes et leurs besoins, leurs ressources et modes de fonctionnement, tout en suivant les relations d’interdépendance. Quand la décision doit-elle être prise au plus tard ? Il s’agit également de clarifier les échéances et le niveau d’intégration des parties prenantes à la décision.
  • suivre les paramètres vitaux et détecter les signaux faibles pour distinguer le niveau de criticité de la situa- Quels sont les enjeux? S’agit-il d’une défaillance à corriger, d’une alerte rouge nécessitant une action immédiate ou d’une opportunité à saisir ?

PLACER L’ESSENTIEL AU CŒUR DE LA DÉCISION

Avant de peser le pour et le contre de la première idée qui vient à l’esprit, il s’agit de mettre l’essentiel avant l’important en clarifiant sa finalité. Au-delà des résultats attendus ou de l’objectif, qu’est-ce qui est essentiel dans cette situation, pour vous et pour les parties prenantes? À quoi voulez-vous contribuer ultimement? Lorsque le commandant Chesley Sullenberger (Sully), pilote du vol 1549 US Airways entreprend un amerrissage d’urgence sur la rivière Hudson le 15 janvier 2009, sa finalité est claire, comme il l’explique dans une entrevue quelques années plus tard1 : “Je voulais sauver des vies, et si cela voulait dire mettre à l’eau un avion de 60 millions de dollars, alors c’était ce qu’il y avait à faire.” 

ÉLARGIR LE CHAMP DES POSSIBLES

“On n’a pas le choix !” Dans l’urgence, le piège de la solution unique nous tend les bras. Pourtant, un temps de recul est nécessaire pour explorer différentes options face à une situation complexe ou hors normes. Pour générer des options qui “sortent de la boîte ”, le décideur pourra s’appuyer sur l’intelligence collective. C’est par exemple la mission confiée à la Convention Citoyenne pour le climat qui a rendu ses conclusions le 21 juin 2020. Ce temps de recul est utile même en situation extrême : il a fallu quelques dizaines de secondes au commandant Sully pour évaluer les deux options proposées par la tour de contrôle – retourner à l’aéroport de La Guardia ou dévier vers celui de Teterboro – et en générer une troisième qu’il a jugée préférable au regard de sa finalité.

VISER UNE DÉCISION OPTIMALE

Au-delà des résultats à court terme, la pertinence et la qualité d’une décision sont liées à ses conséquences au regard de la finalité recherchée.

Dans une situation complexe, une décision optimale sera celle qui tend vers un optimum de satisfaction en cohérence avec la finalité, en maximisant les conséquences positives, tout en réduisant au minimum les conséquences négatives pour le décideur et pour les parties prenantes de la situation. Une décision sous-optimale correspondra à un choix qui, dans les mêmes circonstances, aurait pu aboutir à un résultat plus satisfaisant par une meilleure combinaison des possibilités.

En conclusion, il y a trois niveaux de réflexion lors d’une prise de décision.

  • l’objet : ce sur quoi on décide (le Quoi) ;
  • la finalité : ce à quoi on aspire à travers cette destination (le Pour Quoi) ;
  • le processus : comment on décide (le Comment).

Discerner pour mieux décider nécessite de se questionner sur ces trois dimensions de la décision. Le schéma ci-dessous propose les étapes clés de ce processus.

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