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PRÉVENIR LA CRISE GRÂCE À LA COMMUNICATION SUR LES RISQUES

Revue des Ingénieurs

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16/11/2020

Auteur : Hortense BLAZSIN (P 2014 Docteur)

“Nous sommes en guerre”, a déclaré Emmanuel Macron le 13 avril 2020, en annonçant la prolongation du confinement. Pour beaucoup de Français, cette déclaration a sonné creux. L’imaginaire de la guerre était peut-être adapté au vécu des personnels soignants, mais il était aux antipodes de celui d’une majorité de Français, contraints à rester chez eux.


La communication des pouvoirs publics dans le cadre de cette crise mérite au moins autant notre attention que sa gestion opérationnelle. Car il ne s’est pas agi simplement de s’assurer du bon respect d’une mesure comme le confinement qui, en plus d’être une consigne simple, peut être imposée au besoin par la contrainte. Il s’agit de rallier les citoyens au bien-fondé de cette décision. Cela est nécessaire pour préserver la confiance dans la capacité de décision des pouvoirs publics, condition indispensable pour que l’ensemble des mesures (et pas seulement les plus simples, ou les plus radicales) soient écoutées et respectées, et pour limiter les contestations futures.

Les grands principes de la communication de crise sont dans l’ensemble bien établis1. Mais la crise du Covid-19 a eu ceci de spécifique qu’à l’urgence, caractéristique de la crise, est venue se combiner une forte incertitude – non pas sur le déroulé des événements, là aussi inhérente à la crise, mais bien sur les éléments disponibles pour éclairer les décisions. C’est bien en effet l’absence de données fiables sur le comportement du virus (modes de transmission, létalité par segment de population, etc.) qui a fait craindre aux pouvoirs publics des effets dévastateurs et les ont poussés à déclarer le confinement. La question qui se pose n’est alors plus uniquement celle de communiquer dans l’urgence, mais aussi celle de communiquer sur le risque et l’incertitude. Il semble bien que la communication des pouvoirs publics en France – et d’ailleurs dans beaucoup d’autres pays – n’y soit pas parvenue. Si la sidération initiale face à une mesure aussi radicale que le confinement a conduit la population à globalement s’y soumettre, l’absence de communication sur les risques et l’incertitude est problématique à long terme. C’est d’autant plus regrettable que bien que l’approche soit encore peu connue en France, la communication sur les risques a déjà assez largement fait ses preuves, notamment dans les pays anglo-saxons, et pourrait inspirer une nouvelle dynamique dans notre pays.

À QUOI SERT LA COMMUNICATION SUR LES RISQUES ?

Comme son nom l’indique, la communi­cation sur les risques renvoie aux pro­grammes visant à communiquer sur des risques individuels et/ou collectifs (santé, environnement, sécurité, etc.). À un premier niveau, l’enjeu de la commu­nication sur les risques est de faire prendre aux individus la mesure du risque qu’ils encourent afin de leur per­mettre de prendre la meilleure décision possible. L’exercice est compliqué par le fait que les informations à communi­quer sont souvent complexes, et que la capacité d’évaluation des risques des individus est généralement impactée par différents biais cognitifs tels que l’aversion au risque, le biais de disponi­bilité, le biais de possession, etc.2

Le risque étant toujours une construc­tion, le fruit d’un processus d’évaluation qui repose sur un certain nombre d’hypothèses et de présupposés, communi­quer sur les risques ne peut en outre pas se résumer à communiquer un résultat. Il s’agit aussi d’expliciter les facteurs ayant conduit à ce résultat, dans une logique de transparence 'rai-sonnée”3 – faute de quoi l’évaluation du risque pourra être considérée comme arbitraire, et son bien-fondé mis en cause, surtout si elle s’avère avec le temps avoir été erronée.

La communication sur les risques est ainsi bien différente de la vision de la communication comme tentative d’influence d’un destinataire : il s’agit moins d’orienter, que d’éclairer la décision. Les destinataires peuvent avoir des niveaux de connaissance et des points de vue distincts sur une situation (des 'modèles mentaux” différents), mais ils sont considérés comme également légi­times. Cette posture conduit la commu­nication sur les risques à construire progressivement des relations de confiance entre les parties prenantes. Cette confiance constitue à son tour un capital qui contribue au respect par le plus grand nombre des décisions, au bon déroulement des processus de décision futurs, et à la prévention de la mise en accusation des décisions si elles entraînent des effets non désirés.

QUELS ENSEIGNEMENTS POUR LE COVID-19 ?

Force est de constater que la communi­cation dans le cadre du Covid-19, notamment en France, a été fort éloi­gnée de ces principes. On pense bien sûr aux prises de parole officielles d’Emmanuel Macron, cherchant à faire prendre la mesure de la gravité du moment, mais n’explicitant pas les tenants et aboutissants des mesures prises – confinement y compris. Le terme lui-même a d’ailleurs été laissé au Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe. On peut comprendre le choix : le président de la République fournit le cadre, la vision, et le Premier ministre fournit la déclinaison opérationnelle. Cependant, compte tenu de la rapidité avec laquelle la situation s’est dégra­dée, de l’absence d’informations dispo­nibles sur le virus, et de la nécessité de décider malgré le manque de faits éta­blis, cette répartition des rôles semble être tombée à plat. L’évolution des cotes de popularité respectives d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe4 atteste d’ailleurs du fait que les citoyens ont apprécié un discours factuel et transpa­rent, y compris sur les incertitudes. Plus largement, les pouvoirs publics auraient sans doute gagné à communi­quer davantage sur les connaissances disponibles – tout en rappelant leur caractère provisoire – mais aussi sur les hypothèses utilisées pour prendre les décisions – par exemple, expliquer la crainte d’une diffusion exponentielle du virus, donner les chiffres concrets sur les équipements et lits d’hôpitaux dis­ponibles et la projection des besoins, etc. De ce point de vue, la question des masques est emblématique : les revire­ments sur leur caractère obligatoire (ou non) pour freiner la contagion ont sou­vent donné le sentiment que les pou­voirs publics cachaient leur défaillance (en l’occurrence, l’absence de stocks) sous le couvert des recommandations scientifiques, elles-mêmes contradic­toires au cours du temps, et suscité une grande défiance de la part de l’opinion sur les tenants et aboutissants des décisions et recommandations publiques. Cette défiance s’est égale­ment fait ressentir récemment face à des décisions telles que la fermeture des bars et restaurants dans la région d’Aix-Marseille, considérée comme arbitraire.

Pourtant, à l’aide de techniques de com­munication aussi simples que des info­graphies, des comparaisons d’ordre de grandeur, des codes couleur (comme cela a été fait tardivement avec la carte de France vert / orange / rouge, pour expliquer la stratégie de déconfinement adoptée), tous ces sujets complexes peuvent être rendus digestes et com­préhensibles par le plus grand nombre. Le bénéfice d’une telle approche est multiple : elle limite le potentiel de contestation, ou a minima le ramène sur un terrain factuel, plutôt que de le lais­ser glisser vers des conflits de valeurs, voire des théories du complot ; elle réta­blit la validité du processus de décision et la confiance dans les décideurs ; enfin, elle confère à l’ensemble des par­ties prenantes une nouvelle légitimité, le sentiment d’être davantage considé­rées et respectées, contribuant ainsi à l’émergence d’un espace de débat public moins conflictuel, plus construc­tif. Le niveau de défiance des Français à l’égard des pouvoirs publics, malgré une performance globalement égale à ce qu’il se passe dans de nombreux pays, atteste de l’urgence de travailler dans cette direction et in fine de rendre à nouveau possibles la confiance et la légitimité des décisions publiques.

LA CRISE, ET APRÈS ?

Dans cette perspective, l’enjeu de la communication sur les risques dépasse très largement la communication autour d’une décision, d’un enjeu, d’une crise en particulier : elle est embléma­tique de la relation entre les décideurs et leurs parties prenantes. Réciproque­ment, elle contribue à structurer cette relation. Elle invite à se mettre d’accord non pas nécessairement sur les résul­tats d’une évaluation, les fruits d’une décision, mais a minima sur les faits et la procédure permettant d’y parvenir. À ce titre, elle offre un chemin vers une réalité commune, une légitimité retrou­vée, qui tend à disparaître de manière croissante sous les effets des intérêts particuliers supposés, “bulles” média­tiques, ancrages sociaux et autres ava­tars de la société dite de “post-vérité”, avec pour conséquence l’atomisation et la polarisation de la société qu’on constate aujourd’hui.

Cette réalité commune, la crise du Covid-195 semble avoir permis, tempo­rairement, de la retrouver. Le respect global du confinement semble en attes­ter. En ce sens, elle constitue une opportunité : elle nous rappelle qu’il n’y a pas de fatalité à l’atomisation de notre société, à la croissance de la défiance et de l’incapacité à s’écouter. Il serait ten­tant de croire qu’il s’agit là d’un nouveau départ, non simplement de l’effet de la sidération née de la violence du choc. Les dizaines de procès qui ont émergé dès le mois de mai à l’encontre des pou­voirs publics attestent cependant du fait que l’état de grâce n’était que tem­poraire. Pourtant, les problèmes aux­quels nous faisons face aujourd’hui en tant que société exigent de dépasser cette atomisation et cette défiance structurelles, et de (re)trouver le che­min d’une capacité de décision com­mune. Ces wicked problems que sont le réchauffement climatique, la gestion de la biodiversité ou donc les pandémies, pour n’en citer que quelques-uns, l’exigent. Il est fondamental d’aider les citoyens – mais aussi peut-être les déci­deurs – à comprendre, à accepter et à évaluer le risque, l’incertitude, qui sont depuis un certain temps déjà, et de manière croissante, intrinsèques à nos sociétés.

Alors, la communication sur les risques n’est sans doute pas le remède à tout. Mais la communication est devenue un aspect incontournable de tout grand projet, de toute décision publique, et sa qualité détermine non seulement le bon déroulement d’un projet mais aussi, donc, la capacité à déminer les crises futures. Du fait de leur capacité à expli­quer les aspects techniques et opéra­tionnels des situations, à délimiter les zones d’ombre et, d’une manière géné­rale, à démêler les situations complexes, les ingénieurs ont un rôle central à jouer. Ils sont indispensables pour éclai­rer la prise de décision, mais aussi, donc, pour contribuer à reconstruire cette relation si précieuse entre les décideurs et les publics et ainsi retrouver la voie d’une réalité commune.

 

1 par exemple Libaert, T. (2018), Communication de crise, Pearson.

2 Kahneman, D. (2005), Thinking, Fast and Slow, Penguin Group.

3 par exemple Löfstedt, R et Bouder, F. (2013) “New transparency policies. Risk Communications’ Doom ?” in Arvai, J. et River L. (Eds), Effective Risk Communi­cation, Routledge.

4 Préalablement au remaniement du gouvernement.

5 Dans sa phase aiguë, celle correspondant globale­ment à la période de confinement.

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