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LE 4.0 AU SECOURS DES USINES POUR GÉRER LA CRISE DU COVID-19

Revue des Ingénieurs

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16/11/2020

Auteur : Julien LEGRAND (P 2012 ICiv)

Si les métiers “intellectuels” ont pu continuer à travailler à distance grâce à la transformation digitale de leurs outils, ceux plus “manuels” ont dû réduire leur activité pour rester en sécurité. L’Industrie 4.0 a contribué cependant à la continuité de l’activité dans les usines: l’exemple de Saint-Gobain.


Derrière le 4.0 se cache la convergence de différentes technologies visant une meilleure collecte, circulation et exploi­tation des données de l’usine : “edge devices” ou digitalisation des formu­laires papier pour récolter la donnée, data warehouses pour son stockage et sa mise à disposition à l’ensemble de l’usine, algorithmes d’intelligence artifi­cielle pour sa valorisation, menant soit à de nouvelles formes d’automatisme, soit à de la recommandation intelli­gente d’actions sur le terrain. Au-delà des technologies, le 4.0 recouvre égale­ment des évolutions managériales importantes1, par exemple le passage à “l’Agile”2.

Chez Saint-Gobain, l’utilisation des solutions 4.0 pour répondre à la crise a été une somme d’initiatives simultané­ment locales et centrales, sur lesquelles je propose de prendre un peu de recul à l’occasion de cet article. Si l’on découpe la crise que nous traversons en 3 temps, un premier de “réaction” de court terme, un second d’“adaptation” de moyen terme et un troisième de “transforma­tion” à long terme, on peut distinguer pour chacun d’entre eux une réponse spécifique du 4.0.

À COURT TERME, LA “RÉACTION” : REPENSER LE TRAVAIL DANS L’URGENCE

Début 2020, certaines usines s’arrêtent, d’autres réduisent fortement leur pro­duction. Les fonctions supports et toutes les personnes qui ne sont pas absolument essentielles au fonctionne­ment de l’usine sont priées de rester chez elles.

Immédiatement, il fallait avant tout mettre en sécurité les personnes essen­tielles sur leurs lieux de travail. Dans les premières semaines de l’épidémie, les masques sont réservés aux hôpitaux, il faut donc trouver une alternative. Nos usines équipées d’imprimante 3D ont pu l’identifier rapidement : en manufac­turant localement des visières de protection. L’imprimante 3D, dont l’usage était jusqu’à aujourd’hui centré sur la production de pièces de rechange tem­poraires, s’est retrouvée pièce maî­tresse de la réaction de nos usines à court terme.

Il a fallu ensuite repenser la relation col bleu / col blanc. Les ingénieurs se retrouvent à devoir piloter leur usine à distance sans accès direct à l’appareil de production et, sur le terrain, les opé­rateurs se retrouvent avec peu d’accès aux ingénieurs qui d’habitude les aident à résoudre leurs problèmes les plus épi­neux. Les nombreux échanges télépho­niques n’aident que partiellement. Les usines qui s’en sortent le mieux sont alors celles disposant déjà d’un accès à distance aux données de production et de qualité de l’usine. A minima via la supervision des machines, permettant au moins de voir chez soi ce que l’opérateur voit sur les interfaces machines. Au mieux grâce aux données de pro­duction et de qualité stockées en quasi-temps réel dans le data warehouse, auquel les ingénieurs peuvent accéder à distance et analyser simplement grâce à leurs outils de “data visualization”, permettant à l’ingénieur de com­prendre en profondeur les causes premières du problème remonté par l’opérateur.

Les solutions 4.0 peuvent améliorer nos prises de décisions – alimentées par les données produites à tout instant par l’usine – et permettent de nouvelles automatisations (par exemple avec la mise en place d’un cobot).

À MOYEN TERME, L’“ADAPTATION” : RÉORGANISER LE TRAVAIL POUR UNE PÉRIODE D’ENTRE-DEUX

Si le pilotage à distance s’est révélé utile et nécessaire à l’occasion de la crise, il a également mis en lumière des limites à la collecte de certaines données. Beau­coup de routines opérationnelles restent basées sur du papier, dont les principaux éléments sont ensuite au mieux copiés dans un outil de reporting digital (MES ou ERP), au pire dans une feuille Excel. Dans les deux cas, l’information rapportée est partielle, difficile à extraire et souvent peu fiable. En parallèle s’est posée la question des risques sanitaires liés à l’échange de feuilles entre personnes : ne serait-il pas plus sûr de fournir à chacun un smartphone, nettoyé en début de poste, afin qu’il y fasse toutes ses opérations ? Cer­taines de nos usines en sont profondé­ment convaincues et ont décidé d’accélérer massivement la digitalisation de leurs processus. Au niveau cen­tral, nous les accompagnons à l’aide d’un “App Store” interne et d’un centre de développement dédié à ces nou­velles applications d’usine.

Il a fallu ensuite développer de nou­velles routines d’échanges entre local et central, afin de poursuivre, par exemple, les programmes d’excellence opération­nelle, nos travaux de R&D en usine ou les inspections d’infrastructures cri­tiques. Nos collègues russes ont par exemple mené à bien un audit industriel à l’aide d’un smartphone équipé de caméra grand angle, stabilisé à l’aide d’une courte perche à selfie et manipulé par la personne qui aurait localement guidé les équipes centrales respon­sables de l’audit. Celles-ci avaient accès au flux vidéo en direct via Microsoft Teams, et pouvaient lui demander de se rapprocher de tel ou tel équipement. Si l’image n’était pas suffisamment nette en direct, la vidéo était stockée et par­tagée après coup en haute résolution. Ce type d’installation “frugale” l’a emporté sur des lunettes de réalité aug­mentée, aujourd’hui encore trop volu­mineuses ou difficiles à manipuler. Enfin, les usines ont continué à investir dans la sécurité de leurs employés de manières diverses : ici par des capteurs de température à l’entrée des usines, là par des capteurs de respect des dis­tances sociales, ailleurs par des outils digitaux de planification de la présence sur site.

À LONG TERME, LA“TRANSFORMATION”: SE PRÉPARER POUR LE MONDE D’APRÈS

Si le monde post-Covid reste difficile à prédire tant les inconnues sont nom­breuses, il semble aujourd’hui que deux attentes se dégagent du débat public : d’une part accélérer la transition écolo­gique à l’occasion de la relance écono­mique, souhaitée par deux-tiers des Français selon un récent sondage Ipsos3 et d’autre part renforcer le tissu indus­triel français et européen afin d’en aug­menter la résilience, aspiration partagée par une majorité de français selon un sondage Elabe4.

Saint-Gobain a depuis longtemps inté­gré le besoin d’accélérer sa transition écologique. Le groupe s’est récemment donné l’objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, un objectif ambitieux vu son empreinte indus­trielle. Atteindre cet objectif nécessite des évolutions profondes de nos pro­cessus et de nos produits, depuis les matières premières jusqu’à leur distri­bution. L’Industrie 4.0 vient apporter sa pierre à l’édifice, notamment en permet­tant un meilleur contrôle des procédés, ainsi que la réduction de nos déchets et de notre consommation énergétique. Nos usines les plus automatisées cherchent par exemple aujourd’hui à développer des systèmes experts intel­ligents, grâce à de l’apprentissage sur la base de grands volumes de données de processus produites par nos infrastruc­tures. Ces systèmes contrôleraient le processus mieux qu’un opérateur, là où les précédentes générations de sys­tèmes experts ne faisaient que recopier les actions d’un excellent opérateur. En parallèle de ces automatisations, on expose de l’information plus pertinente sur les consommations énergétiques, par exemple comparant la consomma­tion actuelle vs la plus basse pour un produit donné dans des conditions don­nées, que l’on peut présenter aux ingé­nieurs pour instruire de nouveaux projets, mais également aux opérateurs pour qu’ils puissent adapter le pilotage des équipements dont ils ont la charge. Le renforcement du tissu industriel français dépasse évidemment Saint-Gobain. Cela n’empêche pas quelques observations depuis notre fenêtre. En particulier, une réindustrialisation ne semble possible qu’à au moins deux conditions : améliorer notre compétiti­vité, i.e. investir dans les technologies 4.0, et attirer les nouveaux talents sachant s’en servir.

Les solutions 4.0 peuvent améliorer nos prises de décisions, alimentées par les données produites à tout instant par l’usine, accélérant ainsi sa capacité à apprendre d’elle-même pour s’améliorer en continu. Elles permettent égale­ment de nouvelles automatisations, libérant du temps pour des activités à plus haute valeur ajoutée. Par exemple, la mise en place d’un cobot répétant des analyses d’échantillons de nos produits nous a permis de réduire la sur-qualité tout en libérant du temps d’opérateur désormais utilisable à mieux piloter la stabilité du processus.

Attirer les talents nécessite de donner envie d’industrie, en réinventer un ima­ginaire. Le 4.0 vient redonner un souffle de modernité à l’usine : d’un lieu vieillis­sant dans lequel la transformation digi­tale des deux dernières décennies avait bien du mal à se faire une place, elle se retrouve revisitée de fond en comble par l’exposition et l’exploitation de ses données. Elle devient une nouvelle frontière digitale dont l’exploration pro­met d’être passionnante. Elle ramène au réel des compétences aujourd’hui sou­vent trop dédiées au virtuel, par exemple les data scientists. Et elle écrit un nouveau futur possible pour nos ter­ritoires industriels que ces profils fuyaient pour les grandes métropoles mondiales.

CONCLUSION

La transformation 4.0 est une des solu­tions à la crise que nous traversons. À court terme, car elle facilite le pilotage à distance de nos outils industriels. À moyen terme, car elle permet la conti­nuité des opérations de nos usines. À long terme, car elle vient répondre à deux enjeux de la société post-Covid : transition écologique et réindustrialisation. À l’heure où les entreprises redoublent d’investissements dans la transformation digitale de leurs activi­tés de cols blancs, ne paraîtrait-il pas sensé de faire de même pour les cols bleus ? 

 

1 Voir à ce sujet “Organisation et compétences dans l’usine du futur : vers un design du travail ?” par Fran­çois Pellerin & Marie-Laure Cahier

2 Organisation de type holistique et humaniste basée essentiellement sur la motivation rationnelle des res­sources humaines

3 Baromètre IPSOS “Covid-19 and climate change – How do the public view the two crises ?”, 24 Avril 2020 : “deux-tiers [...] des Français estiment que dans la phase de reprise le gouvernement doit mettre en place de manière prioritaire des actions pour lutter contre le changement climatique.”

4 ELABE, “Les Français, le pouvoir local & l’Europe face à la crise”, 6 Mai 2020 : “La grande majorité des Français juge utile et souhaitable que la France se donne les moyens de produire tout ce dont elle a besoin sur son territoire [...]”

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