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LES ENJEUX DE LA PRODUCTION ALIMENTAIRE LOCALE

Revue des Ingénieurs

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24/02/2023

Auteur : Bastien DEBRAS (P 2011 ICiv)

 “Local is the new bio” : le local est en train de remplacer le bio ! Cependant, être agriculteur d’un côté et transformer pour vendre en circuit court ou local sont deux métiers différents. Une solution: installer des micro-usines à la ferme. Explications.


 Après des années de croissance, le secteur de l’alimentation biologique connaît sa première année de recul dans les achats alimentaires des Français en 2021. A contrario, les ventes de produits locaux ont augmenté de 6 % en grandes et moyennes surfaces (GMS) entre juin 2020 et mai 2021 selon l’IRi1. Si les produits locaux ne pèsent que 2,2 % des achats en GMS, les circuits courts, difficiles à quantifier précisément, représentent 5 à 15 % des achats alimentaires des Français. Cela reste toutefois faible quand l’alimentation locale a été la principale source d’alimentation pendant des siècles

LOCAL ET CIRCUIT COURT

Avant d’aller plus loin, la question se pose de préciser ce que signifient “local” et “circuit court”. Le deuxième a une définition simple : il s’agit d’un circuit comportant au maximum un intermédiaire entre le producteur et le consommateur, sans notion de distance. Pour le “local”, les choses se compliquent, car tous les acteurs choisissent leurs propres critères pour mettre en avant leurs produits et leurs choix. Dans l’étude de l’IRi citée, il s’agit d’une échelle régionale. Pour Biocoop par exemple, c’est une distance inférieure à 150 km entre le producteur et le point de vente. Du côté des industriels, le marketing associé à “local” signifie souvent “fabriqué en France”

Le critère de distance nous paraît le plus approprié, 150 km étant la limite haute de ce qui est généralement considéré. Local ou circuit court, la demande consommateur augmente, et ces produits ont de vrais avantages pour les agriculteurs. Tout d’abord en recréant du lien entre ces deux populations, quand un vrai fossé s’est creusé – la population agricole est passée de 1,6 million à environ 400000 entre 1982 et 2019 –, rendant les réalités agricoles souvent inconnues des citadins. En permettant également aux agriculteurs de reprendre le contrôle sur la finalité de leur production, alors qu’aujourd’hui pour la majorité des agriculteurs, que ce soit laitier, céréalier ou autre, la production est vendue à une entreprise (coopérative, industriel…) et noyée dans la masse. Enfin, transformer la production à la ferme permet d’y créer plus de valeur, d’y créer de l’emploi et d’améliorer la rentabilité. Comme le dit Jérôme Huguet, fermier du réseau “J’achète fermier!”, dans le podcast “Sur le Champ”, “les yaourts, c’est une petite part de notre production, mais ça nous rend fiers” (voir photo ci-dessous).

UNE NOUVELLE VISION DE LA FERME ET DU RÔLE DU FERMIER

La logique principale de ces 50 dernières années a été d’agrandir et industrialiser les fermes pour augmenter les revenus. Cela entraîne la création de grandes fermes avec peu de salariés, compliquées à céder lors du départ en retraite. La tendance actuelle est plutôt de se diversifier et d’augmenter le revenu sans augmenter la surface. En transformant à la ferme, en reprenant le contrôle d’une partie des ventes, les fermes sont capables de créer de la valeur, de l’emploi et d’améliorer leur résilience. Créer plus de valeur, c’est aussi rendre les fermes plus attractives, dans un contexte où l’agriculture peine à recruter des jeunes. Cependant, être agriculteur et transformer pour vendre en circuit court ou local sont deux métiers différents. Par exemple, pour vendre du lait en bouteille (hors lait cru), un éleveur laitier doit investir dans un atelier de transformation, mettre en bouteille dans des conditions sanitaires validées par l’administration vétérinaire, trouver assez de clients pour rentabiliser, gérer les stocks… Et tout cela en plus de son métier d’éleveur. Cela demande des investissements financiers, de nouvelles compétences, du temps, et comporte des risques forts pour des fermes qui souvent ne dégagent pas des revenus importants.

UNE SOLUTION CLÉ EN MAIN, LA MICRO-USINE À LA FERME

Nous avons créé RESAN pour accélérer le déploiement des produits fermiers et locaux, en accompagnant les agriculteurs. En installant une micro-usine, 

notre modèle “d’industry as a service” permet de créer des ateliers de transformation opérationnels en 3-4 mois, et de réduire les risques portés par les agriculteurs, notamment par le côté réversible de l’industrie en container. Avec la micro-usine, nous faisons le choix de pouvoir rapporter de la valeur à un maximum d’agriculteurs, plutôt que d’installer des complexes plus importants sur quelques fermes. En générant un réseau d’agriculteurs partenaires sur tout le territoire, nous permettons aux petits commerces locaux ainsi qu’aux clients nationaux de référencer des produits fermiers, locaux, de qualité dans tous leurs points de vente. Proposer une offre “multi-locale”, c’est passer d’un modèle centralisé de massification, d’une usine qui réalise des effets d’échelle importants pour fournir toute l’Europe, à un modèle décentralisé composé de nombreuses micro-usines implantées dans les territoires. Le modèle de transformation à la ferme n’est pas le seul : de nombreuses petites coopératives, petits industriels se développent, transformant la production de quelques dizaines d’agriculteurs locaux. Tout en restant artisanal, local, ce fonctionnement permet de bénéficier d’un premier effet d’échelle ; mais en même temps, se rajoute un flux logistique pour le transport de la production agricole avant transformation. 

 

UN CHALLENGE POUR LES INGÉNIEURS

Le développement de l’offre alimentaire fermière et locale est aussi un enjeu stratégique, encouragé par les pouvoirs publics. Avec France Relance, ce sont plusieurs centaines de millions d’euros qui ont été distribués à du développement de projets industriels alimentaires dans les territoires. Par ailleurs, la loi EGAlim2 oblige depuis 2021 les collectivités à s’approvisionner à 50 % en produits de qualité, dont fermiers, et celles-ci sont de plus en plus nombreuses à mettre en place des “Projets Alimentaires Territoriaux” dont l’objectif est de relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires. La crise sanitaire récente a montré les risques de nos chaînes logistiques longues, et l’importance de recréer de la souveraineté agricole et alimentaire localement. Vouloir déployer une offre locale sur tout le territoire, c’est aussi répondre à des challenges d’ingénieur, dans de nombreux domaines. Abordés ci-dessus, le dimensionnement de la taille des usines et l’équilibre économique associé sont clés. Le choix de la micro-usine à la ferme permet un déploiement plus rapide, et les petits volumes à écouler renforcent le côté local ; mais cela a un impact sur le prix, le nombre d’usines à gérer et la gestion de la qualité associée. L’innovation et la R&D amènent aussi de nombreux défis, avec la recherche de process pouvant être réalisés dans des micro-usines, à coût acceptable, intéressant pour les agriculteurs, et ne nécessitant pas une formation trop complexe pour pouvoir être déployés en nombre.

LE DÉFI LOGISTIQUE

Le défi majeur est la distribution. Si les chaînes logistiques sont bien optimisées pour desservir de grandes plateformes, notamment pour la GMS, le transport de produits en local est souvent complexe et très coûteux. Pour un producteur isolé sur son territoire, parcourir des kilomètres en camionnette pour livrer quelques kilos de yaourts ou de légumes à beaucoup de petits clients représente vite une charge importante ; et souvent, les producteurs se retrouvent à ne pas compter leurs heures dans le prix de leurs produits pour gagner des clients. Des initiatives se développent, comme La Charrette3 qui organise des co-livraisons entre agriculteurs et met en lien producteurs et transporteurs, ou Promus qui souhaitait créer des mini plateformes logistiques en container dans les zones rurales. La logistique locale reste tout de même le frein majeur au développement des circuits courts.

LE MODÈLE ÉCONOMIQUE

Le local n’est cependant pas suffisant en lui-même. L’agriculteur à l’origine de RESAN et président aujourd’hui, André Bonnard, a mis des années pour que la laiterie sur sa ferme soit rentable. Après avoir failli arrêter en 2017, il a stabilisé son activité, mais beaucoup d’agriculteurs n’y arrivent pas. Du côté start-up,
Agricool, qui a levé 35 millions d’euros depuis 2015 pour développer une offre de fraise et salade produits en container, au maximum à 20 km du lieu de vente, n’a jamais réussi à trouver son marché et a été racheté 50 K€ cette année. Au sein d’une offre alimentaire vaste, majoritairement proposée à très faible prix par les industriels et appuyée par une forte présence marketing et commerciale, les initiatives locales restent très diffuses, moins bon marché et peinent souvent à se démarquer.

EN CONCLUSION

Il est important de benchmarker et d’apprendre des autres secteurs d’activité, comme le bio ou les autres. Pour pousser la comparaison initiale, avec le plafonnement de la demande en produits bio, des agriculteurs voient leur production déclassée. Ainsi, les éleveurs bio de la coopérative Sodiaal, plus grosse coopérative laitière française forte de 20000 éleveurs, ont vu pendant un an 10 % de leur lait bio payé au prix du lait conventionnel à cause du manque de débouchés. Le local et les circuits courts sont par essence des sommes d’initiatives individuelles, difficiles à réguler. Dans le contexte économique actuel, avec le retour d’une partie de la population vers le prix comme premier critère de choix, si la croissance de l’offre n’est pas tirée par la demande, il y a un risque à moyen terme d’arriver à une saturation de l’offre et à des pertes chez des petits producteurs. La demande pour ces produits est cependant encore en forte croissance, et ils ont de beaux jours devant eux.

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