Auteur : Julien Couaillier - Délégué Général de l’Uppia1, Président d’UniAgro
Depuis son invention en 1795, la conserve a répondu aux défis de plusieurs générations: sécurité sanitaire, praticité, qualité nutritionnelle, accessibilité… Aujourd’hui, alors que la conserve est perçue comme un produit banal, elle représente pourtant une partie des solutions pour répondre aux attentes sociétales.
Nicolas Appert remporte un prix pour son invention
et en publie en 1810 le “code source”, sans déposer de brevet.
Depuis son industrialisation il y a plus de 200 ans, la conserve a révolutionné notre alimentation. À la fois contenant, contenu et procédé de transformation des aliments – l’appertisation –, cette géniale invention française a su évoluer, se démocratiser, se réinventer, pour être toujours adaptée à son époque. Mais avouons-le : la conserve en métal ou en verre ne fait pas rêver. On pourrait même dire que pour certains, la conserve est un symbole de l’alimentation dite “industrielle”. À la suite des différents scandales sanitaires de ces vingt dernières années, la défiance des consommateurs est inversement proportionnelle à leur connaissance des procédés de fabrication et de transformation des aliments. Dans l’imaginaire collectif, la conserve semble ne pas pouvoir rivaliser avec le local, le bio, le frais, perçus comme plus naturels, plus savoureux, plus riches en nutriments ou encore meilleurs pour la santé. Pourtant, les aliments en conserve peuvent être locaux, bio et sont récoltés ou pêchés au meilleur de la saison, puis mis en boîte en quelques heures pour préserver le maximum de nutriments. Cette technologie de transformation reste ultrasimple et accessible à tous. Que ce soit dans sa cuisine ou dans une conserverie qui fabrique 400 conserves par seconde, le procédé reste le même depuis l’invention de l’appertisation : un aliment frais ou une recette cuisinée enfermé hermétiquement dans un contenant, puis cuit à plus de 100 °C pendant plusieurs minutes, et ce sans conservateur.
UN PEU D’HISTOIRE
La conservation à température ambiante des denrées alimentaires périssables a toujours représenté un défi pour l’Homme.
Hier comme aujourd’hui, c’est une question de survie. Nos aïeux utilisaient différentes méthodes : le fumage, le séchage, le salage ou encore la conservation des aliments dans l’huile, le vinaigre, la graisse, en saumure et à l’alcool, et cela altérait beaucoup le goût. Alors que la conservation par le froid s’est popularisée dans tous les foyers au cours du 20e siècle (réfrigérateur ou congélateur), une méthode de conservation sans énergie a traversé plus de deux siècles et se révèle toujours efficace : l’appertisation.
Nicolas Appert, confiseur et cuisinier originaire de Châlons-en-Champagne, invente ce procédé de conservation des aliments par l’usage de la chaleur en 1795. Il révolutionne alors l’alimentation sans connaître les raisons de son invention. C’est 50 ans plus tard, avec les découvertes de Pasteur sur la microbiologie, que l’appertisation a pu être expliquée scientifiquement : la cuisson à plus de 100 °C des aliments détruit ou inactive tous les micro-organismes et enzymes susceptibles d’altérer l’aliment ou de le rendre impropre à la consommation. Grâce à cette invention, les armées françaises vont assurer leur ravitaillement. Le scorbut des marins est même éradiqué grâce aux vitamines contenues dans les conserves. Appert remporte un prix pour son invention et publie en 1810 le “code source” dans un ouvrage intitulé L’Art de conserver pendant plusieurs années toutes les substances animales et végétales. Persuadé de l’importance de sa trouvaille, Nicolas Appert n’a néanmoins pas souhaité la breveter. Il préféra au contraire encourager sa diffusion, conscient des progrès qu’elle pourrait engendrer. Appert lance sa conserverie industrielle à Nantes en 1824 avec des contenants en verre, mais les Anglais développent rapidement le procédé d’appertisation en utilisant des boîtes métalliques. Et c’est le début du développement de la conserve dans le monde entier².
LES DÉFIS DE LA FILIÈRE CONSERVE AU 21E SIÈCLE
Avec l’inflation (+10,5 % en septembre 2022 selon l’OCDE), les crises sanitaire, écologique et énergétique, les Français ont changé leurs habitudes alimentaires. Alors que les expressions “changement climatique”, “souveraineté alimentaire” ou encore “sobriété énergétique” sont de plus en plus présentes dans l’opinion publique et interrogent la manière dont nos sociétés doivent s’organiser, la conserve montre qu’elle est toujours une valeur sûre adaptée à notre époque, confrontée à cet enchevêtrement de crises. Des éléments confortés par les dernières études de l’Uppia montrant le retour du fait-maison, la recherche d’aliments accessibles et sains et la quête de réponses aux enjeux environnementaux et de durabilité.
LA CONSERVE, UN SYSTÈME ALIMENTAIRE DURABLE
Un système alimentaire durable (SAD) est un réseau de collaboration territorial qui intègre la production, la transformation, la distribution et la consommation de produits alimentaires ainsi que la gestion des matières résiduelles, dans le but d’accroître la santé environnementale, économique et sociale de la collectivité. Il comprend les acteurs, les activités et les infrastructures soutenant la sécurité alimentaire d’une population et repose sur une gouvernance alimentaire territoriale3 . En plus d’être un procédé de transformation alimentaire simple, un emballage et un aliment, la conserve est un véritable système alimentaire durable qui préserve des recettes régionales ainsi que le patrimoine immatériel alimentaire de nos territoires. Après avoir nourri les plus grands explorateurs au 19e et 20e siècle, la conserve réconforte Thomas Pesquet dans la Station Spatiale Internationale avec des recettes du chef Thierry Marx4 . “Qu’elle soit domestique ou manufacturée, la conserve relève du patrimoine. Par la magie de la mise en boîte ou en bocal, c’est toute une culture qui se trouve conservée et protégée : un terroir et un paysage, une histoire et des traditions, des savoir-faire parfois ancestraux, des plats ou des aliments de pays.”5
LA CONSERVE, UN BEL EXEMPLE D’ÉCONOMIE CIRCULAIRE
L’une des préoccupations sociétales majeures est la gestion des déchets avec l’impératif de concevoir des solutions s’inscrivant dans une logique d’économie circulaire. Aujourd’hui, la conserve fait tellement partie de notre quotidien que ses apports dans ce domaine sont méconnus. La conserve présente l’énorme avantage d’avoir un emballage en verre ou en métal qui est recyclable à l’infini, du moment qu’il est bien trié. L’acier des boîtes de conserve peut être recyclé continuellement en un nouvel acier, quel que soit le nombre de cycles, sans aucune détérioration de ses qualités techniques.
ET DEMAIN ?
La filière conserve pourrait être un accélérateur de la transition alimentaire. Elle revêt d’ailleurs un caractère stratégique grâce au stockage à température ambiante des aliments qu’elle produit. Et la conserve continue de se réinventer. Citons par exemple OpenVac, solution qui utilise la technologie du vide profond appliquée à la conserve. Brevetée il y a 20 ans par le français Jean Laroche, elle revisite la conserve en promettant des ouvertures encore plus faciles et une nouvelle génération d’aliments appertisés. Une récente innovation comme Fermalab concentre la technologie de l’appertisé dans des conteneurs maritimes de vingt pieds. Un des scénarios de nos futurs alimentaires pourrait être le maillage de tout le territoire avec ce type de lieux de transformation, à portée de main, pour restaurer la confiance en cette industrie de la filière conserve et continuer de la faire progresser.
1- L’Union interprofessionnelle pour la Promotion des Industries de la conserve Appertisée est une association créée en 1989 qui rassemble l’ensemble de la filière conserve française : producteurs de métal, fabricants d’emballages métalliques, conserveurs. L’Uppia informe collectivement sur ce qu’est la conserve.
2- Jean-Pierre Williot, La conserve en boîte métallique : d’un conditionnement alimentaire novateur à l’essor d’une filière industrielle, in C. DAZORD (dir.), Conservation vs Conserverie, Menu Fretin, 2022, pp. 25-38
3- Vivre en Ville, d’après FCM, 2010, GIEC, 2014
4- Des plats gastronomiques en conserve pour Thomas Pesquet – https://bit.ly/Mines518-TP
5- Éric Birlouez, Entre placard et assiette, quel imaginaire de consommation des produits en conserve ?, 2020, pp. 6- chiffres Kantar 2022
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