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LE DESIGN DU TRAVAIL POUR UNE TRANSFORMATION 4.0 RÉUSSIE

Revue des Ingénieurs

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04/02/2021

Auteur : François Pellerin

La réussite de la transformation numérique dans l’industrie passe par l’association étroite des salariés au projet. Il y a un double enjeu : intégrer leur savoir pour définir un process numérique optimisé, et faciliter l’appropriation en les faisant participer au choix des technologies.


Le design du travail consiste à associer les opérateurs à la définition de leur propre travail : dès la définition du produit et le choix des technologies de fabrication, puis dans la gamme, la mise au point des standards, et enfin le poste de travail.

UNE DÉMARCHE ANTI-TAYLORIENNE RADICALE

Au cours de la première moitié du 20e siècle, le taylorisme s’installe en France. Dans ce modèle organisationnel, le travail dans les usines est découpé en tâches. C’est la dimension horizontale de l’Organisation Scientifique du Travail (OST). Elle est largement remise en cause aujourd’hui dans les processus industriels, avec la réapparition de séquences entières de travail confiées à un seul opérateur.
Ensuite, il y a une séparation nette entre ceux qui conçoivent le travail (le bureau d’études et les méthodes) et ceux qui le réalisent. Frederick W. Taylor écrivait ainsi : “Toute forme de travail cérébral devrait être éliminée de l’atelier et recentrée au sein du département conception et planification”. Il y a une séparation complète entre ceux qui pensent et ceux qui font. C’est la dimension verticale de l’OST.

Ce modèle organisationnel est particulièrement bien adapté à une population au niveau d’éducation faible. Un siècle plus tard, le niveau d’éducation de la population a considérablement augmenté. Le taylorisme se fissure. Les opérateurs sont de plus en plus souvent associés à l’amélioration continue des processus de travail. Le mantra du Lean – “C’est celui qui fait qui sait” – est en opposition complète avec la conception taylorienne du travail. Pourtant, le travail continue le plus souvent à être conçu par des personnes qui ne le réalisent pas.

ASSOCIER LES OPÉRATEURS

Parler de design du travail1 déplace la notion de client. Le client du processus de définition du travail, ce n’est pas uniquement le client final, mais aussi celui qui réalise le travail. On change alors de regard sur la contribution de l’opérateur : il cesse d’être une simple utilité concourant au processus productif et devient une ressource clé pour la réalisation du produit.

En pratique, le design du travail consiste à associer les opérateurs à la définition de leur propre travail : dès la définition du produit et le choix des technologies de fabrication, puis dans la gamme, la mise au point des standards, et enfin le poste de travail. Concrètement, il est réalisé par une équipe transverse qui comprend le bureau d’études, les méthodes, l’ergonome et la maintenance, constituée autour d’un ou plusieurs opérateurs. Associer les opérateurs à la définition de leur travail permet d’être plus efficace : non seulement on intègre leur savoir dans le process, mais on leur facilite de plus l’appropriation des technologies.

Par exemple, SEW Usocome a déployé une démarche originale2. En résumé, une équipe pluridisciplinaire est réunie pendant 3 jours pour concevoir les nouvelles lignes de fabrication. Elle est constituée d’experts (Lean, méthodes, qualité et maintenance) réunis autour d’un ou plusieurs opérateurs. Le travail démarre par la collecte des objectifs de tous, la réalisation d’une VSM3 cible, puis il se poursuit par un travail d’optimisation du processus et il s’achève par la réalisation d’une maquette 2D puis 3D de la future ligne.

L’objectif de l’ouvrage1 est d’identifier des pratiques émergentes d’organisation du travail et de gestion des compétences dans les usines qui modernisent avec succès leur outil de production. Ouvrage disponible en ligne (http://bit.ly/Mines511-1) ou aux Presses des Mines.

DESIGN DU TRAVAIL ET NUMÉRIQUE

Aujourd’hui, une nouvelle menace pèse sur le travail dans le contexte du déploiement de l’usine du futur : que les outils numériques soient conçus, réalisés, standardisés et déployés par les “sachants” numériques, en ne tenant pas compte du savoir-faire des opérateurs de production, et qu’il soit de plus en plus difficile pour l’opérateur d’apporter sa pierre à travers l’amélioration continue. Dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre qualifiée, il peut être en effet tentant d’utiliser le système numérique pour assister totalement l’opérateur au point qu’il devienne une simple main guidée par la réalité augmentée.

Il relève de la responsabilité des dirigeants d’entreprises de s’assurer que les tâches gagnent en valeur ajoutée pour les opérateurs qui les réalisent. Autrement dit, les paramètres à prendre en compte dans la définition d’une opération de travail ne sont pas seulement l’efficience et la productivité immédiates. Il faut aussi y introduire la capacité pour l’opérateur d’y apporter sa contribution, dès sa définition. L’enjeu est à la fois la motivation des salariés, l’attractivité de l’industrie, mais aussi l’efficience et la productivité de moyen-long terme.

Renault Trucks (filiale française de Volvo Group), qui utilise la réalité augmentée pour assister les opérateurs de contrôle, travaille ainsi sur l’adaptation du système numérique au niveau de compétences de l’opérateur4. Chez SORI5 qui fabrique des équipements d’atelier en tôlerie fine, un jumeau numérique permet de programmer les cellules robotisées sans avoir à taper une ligne de code. Cela permet à des personnes qui n’ont pas même un CAP de tenir ces postes.

Le point clé du futur de nos usines ce n’est pas la technologie, ce sont d’abord les aspects humains de la transformation, du point de vue collectif (organisation) et du point de vue individuel (Gestion des compétences, des potentiels et formations). La technologie s’achète, pas les femmes et les hommes pour la mettre en oeuvre. Au-delà de la performance de l’usine, il s’agit aussi de l’image que renvoie l’industrie au grand public. Pour rendre les métiers industriels attractifs, commençons par transformer nos organisations en redonnant du pouvoir d’agir aux salariés.

 

FRANÇOIS PELLERIN, chercheur associé, Chaire “Futurs de l’Industrie et du Travail”, MINES ParisTech francois.pellerin@mines-paristech.org 

 

1. François Pellerin, Marie-Laure Cahier, Organisation et compétences dans l’usine du futur - vers un design du travail ? Chaire FIT2, La Fabrique de
l’industrie, Paris : Presses des Mines, 2019. http://bit.ly/Mines511-1
2. SEW Usocome : une démarche originale de conception des lignes de fabrication. Sur https://medium.com/@fpellerin : http://bit.ly/Mines511-2
3. Value stream mapping (VSM), ou “Cartographie des chaînes de valeur” en français, est une méthode de lean manufacturing de cartographie d’un processus. http://bit.ly/Mines511-3
4. “Volvo Group industrialise l’utilisation de la réalité augmentée dans ses usines avec PTC” Article de l’Usine digitale http://bit.ly/Mines511-4
5. SORI, une PME révélatrice des tendances dans l’usine du futur. Sur https://medium.com/@fpellerin : http://bit.ly/Mines511-5

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