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L’AGILE AU SERVICE DE L'INDUSTRIE 4.0

Revue des Ingénieurs

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04/02/2021

Auteur : Mario LE GLATIN (P 2018 Docteur)

L’Agile, agile, agilité, flexibilité, adaptation, etc. Autant de buzzwords venant de l’univers du développement informatique et envahissant aujourd’hui l’univers industriel. Derrière ceux-ci se cachent cependant des besoins bien réels qui apparaissent notamment à l’occasion du déploiement de l’Industrie 4.0. Quels sont-ils ? En quoi l’Agile peut-il être un accélérateur de l’Industrie 4.0 ?

Moteur d’hélicoptère redéveloppé avec 30 % des pièces en fabrication additive (impression 3D) en 18 mois, dont des pièces tournantes. ©Safran https://bit.ly/Mines511-11


Prenons un peu de recul d’abord. Historiquement, l’Agile fait référence à un lot de méthodes (Scrum, Extreme Programming…) issues du vécu de développeurs et de chefs de projet qui souhaitaient mettre au point des solutions logicielles accompagnant l’émergence du World Wide Web… alors que personne ne savait exactement ce qui pouvait en être attendu. Il s’agit donc d’un mode de fonctionnement (voire un état d’esprit1) “adaptatif” visant à pallier l’incertitude du besoin final par une approche incrémentale, itérative et fortement cadencée.

On s’y donne de nombreux points de rendez-vous : le client, les utilisateurs, l’équipe de développement ainsi que les autres parties prenantes clés se rencontrent très régulièrement tout au long du projet autour d’une version fonctionnelle (éventuellement minimale2) du produit. On évite ainsi à qui que ce soit (le client, l’équipe de développement…) d’émettre implicitement des hypothèses non partagées sur les fonctionnalités attendues, tout le monde s’alignant sur la liste et la priorisation de celles-ci à chacun de ces points d’étape. La transparence est au coeur de la démarche. On réduit ainsi le risque d’insatisfaction de l’utilisateur final et du client, tout en assurant une juste adéquation de l’effort de développement au besoin final. L’Industrie 4.0, qui explore les nouveaux usages possibles de la donnée industrielle, est riche de ce type de projets aux besoins difficiles à cerner en phase initiale. L’Agile peut donc apparaître particulièrement adapté à accompagner son déploiement.

LES PROMESSES DE L’AGILE EN ENVIRONNEMENT INDUSTRIEL

L’Agile chez Safran est aujourd’hui naturellement présent dans ses activités de développement logiciel applicatif et, dans une certaine mesure, embarqué. Les compétences nécessaires à l’Agile ont été en particulier cultivées dans nos Usines Logicielles (Software Factories) qui développent des outils informatiques pour l’ensemble des activités du groupe.

Il n’est cependant pas confiné au seul monde de l’informatique et du développement logiciel, mais s’inscrit bien dans la réalité de nos métiers d’ingénierie. À la frontière, on citera notamment des outils comme le Product Innovation and Lifecycle Management (PILM), qui nécessitent l’élaboration de modèles de données alliant abstraction informatique, usages et contraintes de métiers d’ingénieurs. Les PILMs doivent être fortement reconfigurables pour s’adapter aux développements des produits et procédés, ce qui rend difficile sinon impossible la planification et la spécification détaillée ex ante de l’ensemble des fonctions que l’outil devra remplir. L’Agile devient alors incontournable pour faire évoluer continuellement ces outils.

Notre coeur de métier enfin s’intéresse de plus en plus près à la méthode afin de résoudre les difficultés rencontrées dans toute gestion de projet : effets tunnel, reprises coûteuses, difficultés d’alignement entre différentes parties prenantes… Si toutes les activités de Safran ne sont pas encore convaincues, certaines testent la démarche. Quelques dizaines de pilotes “Agile” sur des développements de produit et de Recherche & Technologie ont été lancés. À travers l’Agile, nos directions techniques recherchent non seulement une meilleure gestion des risques techniques et projet, mais aussi une collaboration entre les métiers plus valorisante pour leurs expertises, permettant d’en exploiter au mieux le potentiel.

Une réussite frappante a été le développement d’un moteur d’hélicoptère dans un temps record d’intégration et d’essai, notamment permis par la fabrication additive (impression 3D) facilitant le prototypage rapide de certaines pièces au cours des sprints de développement. En effet, les itérations cadencées (sprints) nécessaires au mode de pilotage projet nécessitent la réalisation de plusieurs cycles de validation/vérification, permettant la réduction d’incertitudes liées à la nouveauté du procédé de fabrication et aux performances du moteur.

DES FACTEURS DE SUCCÈS À ÉTUDIER DE PRÈS

Il apparaît aujourd’hui que l’Agile, dans certains cas, permet de mieux répondre aux besoins clients tout en pilotant de près les risques de dérapage de budget. Et cela tout en réduisant fortement la durée de développement des prototypes successifs, jusqu’à une stabilisation de la définition du produit. De notre expérience ressortent quelques facteurs de succès à prendre en compte. Si les besoins finaux sont difficiles à définir, l’Agile pilote toujours les développements sur la base de fonctions. En début de projet, un travail de scénarisation des usages espérés peut aider à les lister. Ensuite, à chaque itération et sur la base d’une maquette fonctionnelle — pouvant être aussi simple qu’une maquette graphique cliquable ! —, la liste de fonctions évolue en fonction des retours des différentes parties prenantes du projet. Ce mode de fonctionnement par itération est primordial à la réussite de projets en mode Agile.

Par la suite, la liste des fonctions pouvant évoluer entre deux itérations (sprint), il est essentiel de pouvoir piloter les ressources, humaines et financières, en adéquation. Il faudra donc veiller à ne pas sacrifier ces deux dimensions à l’agilité : d’une part les exigences et performances du mode opératoire et d’autre part une organisation en phases.

Enfin, l’Agile peut faire appel à de nouveaux critères de performance : par exemple la vélocité, qui est la capacité d’une équipe à satisfaire pendant un sprint donné un nombre convenu d’objectifs évalués sur une même échelle de valeurs. Après quelques sprints, il sera alors possible de mettre ce critère en adéquation avec une estimation de l’atteinte d’objectifs à moyen ou long terme.

Un point d’attention cependant : l’Agile ne réduit pas nécessairement le temps total de développement d’une solution. À nombre donné de fonctions, nous n’avons pas pu montrer, chez Safran, qu’un projet Agile était plus court qu’un projet en cycle en V par exemple. L’Agile a par ailleurs une temporalité différente du cycle en V : il vise à faire évoluer continuellement son objet (voir schéma page suivante).

Le moteur d’hélicoptère a été ainsi partiellement redéveloppé en 18 mois, pour prendre en compte la maturation des procédés de fabrication additive. Dans d’autres pilotes, on constate quelques réductions de délais d’au plus 30 %, qui sont en réalité le reflet d’un pilotage de la valeur plus efficace au cours du développement : moins de reprises effectuées grâce au pilotage rapproché des incertitudes et la transparence instruite entre parties prenantes.

UNE PROMESSE MANAGÉRIALE ET UN MOYEN DE RENOUVELLEMENT CULTUREL

L’Agile est aujourd’hui chargé de promesses pour un secteur qui cherche à se réinventer pour adresser ses défis contemporains, à la fois technologiques et écologiques. Au-delà de son apport méthodologique, il s’agit également d’un état d’esprit enthousiasmant pour l’organisation. Il offre une plus grande autonomie aux équipes, facilite la coopération entre métiers, dynamise les développements avec une approche par sprint et redonne du sens au travail des équipes en les faisant interagir très fréquemment avec les utilisateurs finaux.

Il permet également à Safran de mieux travailler avec ses partenaires extérieurs. Notre contribution au projet Hyperloop en est un témoin pour Safran Landing Systems3. Ce projet de recherche industrielle, open source et collaboratif, proposé par Elon Musk, a attiré Safran pour le développement de nouvelles technologies de train d’atterrissage utilisées en dehors des phases de lévitation magnétique. Ce sont des projets pouvant être perçus comme anecdotiques au même titre que diverses expérimentations spécifiques dans nos activités “traditionnelles” de développement de produit et de R&T. En réalité, ce sont des atouts majeurs propres à l’élaboration d’un nouveau cadre de travail conjoint avec les activités de l’Ingénierie 4.0. Cette démarche, composante de la Transformation Digitale, vise à fluidifier et synchroniser les échanges entre les spécialistes, modéliser numériquement dans chaque spécialité, et bâtir le jumeau numérique du produit unissant ses modèles et données.
En bref, l’Agile a encore de beaux jours devant lui chez Safran !

MARIO LE GLATIN (DOCT. P18), initiative Ingénierie 4.0, Groupe Safran mario.leglatin@mines-paris.org 

 

1. Le “Manifeste Agile” de 2001 décrit bien un état d’esprit, gouverné par des valeurs et des principes devant induire certaines attitudes et certains comportements. À ce titre, une légère et récente reformulation du Guide Scrum réinsiste sur le cadre de travail de cette méthode fondatrice du Manifeste : sur scrum.org – http://bit.ly/Mines511-13
2. Concept de Minimum Viable Product : la logique est d’avoir une version du produit cherchant à obtenir le plus de retours de potentiels clients avec le moins d’effort possible. La notion a été popularisée par le Lean Startup d’Eric Ries et le développement de la clientèle de Steve Blank.
3. Des stages sont à pourvoir sur le site carrières de Safran pour travailler sur Hyperloop – http://bit.ly/Mines511-12

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