LVMH a confié à sa filiale DFS la conception et la gestion du grand magasin Samaritaine Paris Pont-Neuf. Après 16 ans de travaux (et de procédures), ses portes ont enfin été ouvertes au public le 23 juin dernier.
Vous avez piloté le projet de la nouvelle Samaritaine depuis ses débuts, sous tous ses aspects. Pouvez-vous nous remettre en perspective les grands jalons de ce projet qui s’est étendu de 2005 à 2021?
C’est effectivement un projet qui a demandé beaucoup de persévérance et des convictions très fortes sur la vision de ce que nous voulions réaliser. La Samaritaine a dû fermer ses portes en 2005 pour des raisons de sécurité. Les pavés de verre de la grande verrière et la structure en métal qui les soutenait ne répondaient plus aux normes de sécurité incendie.
2005 à 2010 a été une période assez longue mais indispensable à la maturation du projet cible. L’ensemble des bâtiments concernés pose des problèmes complexes en termes de séparation et d’accès pour répondre aux contraintes de sécurité, d’incendie… Elle s’est traduite par la définition et la remise du permis de construire. 2010-2015 est une période marquée par un long combat juridique pour lancer et faire aboutir les procédures administratives. Nous avons dû faire face à un premier recours en annulation, puis une confirmation de cette annulation en cours d’appel, avec enfin la Cour de cassation qui a validé le permis en juillet 2015. C’est à partir de là que les travaux ont pu réellement commencer.
2015-2020 a vu l’avancement de travaux très complexes, sollicitant des compétences parfois disparues qu’il a fallu recréer, notamment pour restaurer la structure Eiffel et une fresque monumentale au 5e étage sous la verrière. Le chantier a compté parfois plus de 800 ouvriers en même temps sur le site, avec plus d’une centaine d’ingénieurs et d’architectes !
2020-2021 : nous devions ouvrir en mai 2020, avec les effectifs formés et embauchés… mais la crise Covid nous a conduits à ouvrir la nouvelle Samaritaine en juin 2021, avec le bonheur de voir les clients investir en nombre ce bâtiment extraordinaire.
Le nouvel ensemble reprend les implantations du premier grand magasin la Samaritaine, achevé par les époux Cognac Jay en 1928, après avoir créé l’entreprise en 1870. Cette Samaritaine a une image très forte dans la littérature et dans notre culture collective. Pourquoi ?
C’est sans doute lié à un ensemble de facteurs : son architecture, son emplacement au cœur de Paris, sa taille, sa communication emblématique. Progressivement, par acquisition de nouveaux bâtiments, La Samaritaine devient le grand magasin parisien le plus important en surface de vente avec ses 70 000 m2, devançant les Galeries Lafayette et le Printemps. Son slogan publicitaire, inventé dans les années 1960, est resté dans la mémoire collective : “On trouve tout à La Samaritaine”. Dans les années 1920-1930, les grands magasins de La Samaritaine, c’est 8 000 collaborateurs et 15 000 paquets envoyés dans toute la France par jour. C’est l’Amazon de l’époque ! C’est aussi une ville dans la ville, avec une crèche qui accueille les bébés du personnel et une gigantesque cantine surnommée “Le Ventre de Paris” qui nourrit les employés midi et soir.
Le nouvel ensemble est lui aussi une petite ville avec, au-delà du grand magasin, un hôtel de 72 chambres, une crèche de 80 berceaux, 97 logements sociaux et des bureaux, plus de 1 500 collaborateurs de DFS et autres salariés du magasin employés par les différentes marques et les 12 restaurants.
Photos: Laurent Dugas
Vous avez évoqué l’architecture et la complexité des implantations. Quels sont les principaux défis techniques que cette nouvelle Samaritaine a dû relever ?
L’ensemble s’est constitué sur plusieurs années avec des styles et des architectes différents. Sur la Seine vous avez la façade emblématique Art déco de l’architecte Henri Sauvage. Derrière, vous avez le cœur du grand magasin Art nouveau dessiné par Frantz Jourdain. Notre volonté a été dès l’origine de conserver l’ensemble des caractéristiques architecturales de ces bâtiments. Cela a été le travail de deux architectes japonais, Segima et Nichizawa, prix Pritzker (l’équivalent du prix Nobel en architecture), qui ont repensé l’ensemble de la structure des bâtiments et dessiné le nouveau bâtiment et la nouvelle façade en verre rue de Rivoli. Pour une partie du bâtiment de Frantz Jourdain (bâtiment Jourdain plateau), les façades ont été conservées alors même que les structures ont été complètement reconstruites, y compris les fondations qui vont jusqu’au troisième sous-sol.
Mais le défi majeur, unique, a été la restauration des 2 atriums et de la grande verrière du bâtiment Art nouveau. Les fondateurs voulaient un magasin éclairé au maximum par la lumière du jour, avec cette grande verrière et les pavés de verre laissant passer cette lumière aux étages inférieurs. Nous avons absolument voulu garder cet éclairage naturel. Nous avons restauré toute la structure Eiffel telle qu’elle était à l’origine. Avec un processus complexe de dépose, de répartition des éléments auprès d’artisans forgerons dans toute la France. Les éléments restaurés ont été renvoyés et remontés sur place. Nous n’avons rien laissé de côté : tous les éléments décoratifs, volutes et corbeaux sont comme à l’origine !
Pour les verrières nous avons fait appel à Saint-Gobain pour ses verres électro-chromes qui permettent d’optimiser l’apport de lumière, de réduire l’éblouissement et la consommation d’énergie et de maximiser le rendu des couleurs, grâce à des algorithmes qui pilotent une tension électrique au sein du vitrage. Juste retour pour Saint-Gobain qui était fournisseur du premier magasin.
Et nous nous sommes imposé d’être exemplaires dans le respect des normes européennes et US sur tous les plans : environnement, sécurité et incendie en particulier, ainsi que l’accès pour tous.
C’est une réelle prouesse technique dans un tel bâtiment historique, et nous avions l’opportunité de le faire dans le cadre d’une reconstruction complète.
Ce projet a posé des défis énormes mais il a toujours été guidé par la volonté de proposer une expérience client extrêmement française, dans tous ces choix et c’est une distinction que tous nos clients, français et internationaux souhaitent.
Interview réalisée par Laurent Dugas (E82), juin 2021
ÉLÉONORE DE BOYSSON, présidente Europe & Moyen-Orient de DFS, pôle Retail de LVMH.
Éléonore de Boysson a rejoint DFS en 2013 en tant que présidente Europe & Moyen-Orient, basée à Paris. Sa mission : construire et développer les activités de DFS en Europe et au Moyen-Orient. Dans ce rôle, elle a entièrement réinventé avec succès le concept de grand magasin de centre-ville. Elle a ainsi conçu et gère depuis octobre 2016 le Fondaco dei Tedeschi à Venise, et le grand magasin de la Samaritaine à Paris depuis juin 2021.
Éléonore est administratrice et membre du conseil de surveillance de Parfums Christian Dior, ainsi que membre du Conseil Stratégique pour l’Attractivité et l’Emploi de l’Île-de-France, auprès de Valérie Pécresse. Diplômée d’HEC Paris, elle débute au BCG en 1989 avant de rejoindre Disneyland Paris. En 1999, elle rejoint Louis Vuitton Malletier dont elle est devenue membre du Comité Exécutif en 2000.
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