FRANÇOIS ROUSSEAU (CM 06) Directeur général de Mines Nancy
Auteur : Jean BENASSAYA (N 2020 ICiv)
Quelles ont été les évolutions majeures sous votre Direction ? Quels sont vos principaux chantiers pour les mois à venir ?
Je parierais que, dans quelques décennies, on retiendra avant tout de cette période une évolution administrative qui a changé l’avenir de l’Ecole : l’augmentation des droits de scolarité. En 2016, le budget était structurellement déficitaire, notre “niveau de vie” était trop élevé par rapport aux ressources.
En deux ans, j’ai dû procéder à une coupe de 20 % dans les dépenses, y compris avec des arbitrages sur la pédagogie. L’augmentation des droits d’inscription a été un énorme ballon d’oxygène qui a permis de retrouver une dynamique de projets et de développer l’École dans de nouvelles dimensions. Effectivement, la période qui a suivi a été riche, et en voici deux exemples :
D’abord le Projet Urbanloop. Mines Nancy a joué un rôle déterminant dans le décollage d’Urbanloop au sein du Groupe INP, contribuant de trois façons : au travers de la Fondation qui a participé au financement de la construction de capsules et d’un événement majeur (le record du monde, voir photo pages suivantes), au travers de la mise à disposition à plein temps d’un ingénieur, Laurent Payre, sur le projet, et grâce à mon réseau. J’ai pu convaincre Anne Lauvergeon (CM82) de soutenir le projet, et avec Jean-Philippe Mangeot, le CEO d’Urbanloop, nous avons réussi à inscrire le “record du monde” à l’agenda du ministre des Transports. Aujourd’hui, Urbanloop est une belle entreprise, qui vole de ses propres ailes.
Le TechLab, dont l’essor véritable date de 2020, avec l’acquisition d’un robot quadrupède autonome. Jusqu’alors, le
TechLab offrait, au sein d’une formation très théorique, la possibilité de se frotter au concret. Un nombre marginal d’élèves s’y impliquaient. Or nous voulons que nos élèves ne vivent pas uniquement dans le monde des idées, mais
qu’ils aient aussi l’expérience du passage au monde sensible, et ce sur les technologies les plus récentes, pour être des vecteurs d’innovations lorsqu’ils seront diplômés. Le développement du TechLab a permis de doper la collaboration avec les entreprises, avec des projets plus ambitieux, un encadrement important et du matériel à la pointe. Au lieu de faire travailler les élèves sur des projets purement pédagogiques reconduits chaque année, nous nous sommes mis à appréhender des problématiques réelles, pour des partenaires nous finançant, avec une progression assurée malgré le passage d’une promo à une autre. En recrutant des ingénieurs à temps plein, nous avons pu assurer une qualité de rendu et une capitalisation des connaissances. En outre, le TechLab est un instrument d’attractivité. Ses équipements, ses projets, ses succès et sa visibilité sont des arguments de la promotion de l’École.
Sur la formation nous avons lancé divers projets, par exemple :
L’ouverture d’une section germanophone, une façon de nous différencier des autres écoles généralistes. Cette section est ouverte aux étudiants de la Formation Ingénieur Civil des Mines (FICM), qui sont a priori français, et vise à les rendre bilingues et capables de travailler en Allemagne en sortie d’Ecole. Tous les stages et les échanges se font dans un pays germanophone.
La volonté de s’internationaliser : nous avons mis en place deux parcours entièrement en anglais, uniquement pour les échanges, avec l’ambition de transformer
ces parcours en parcours diplômants (masters), et nous avons ouvert des cours de français intensif pendant l’été pour les élèves étrangers qui nous rejoignent.
La mise en place d’une formation continue courte sur les métiers du souterrain, en capitalisant sur les atouts et spécificités du territoire : implantation de l’ANDRA (l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), du laboratoire Géoressources et de l’ENSG-Géomatique (l’École nationale dessciences géographiques). Mines Nancy, école généraliste, est particulièrement bien placée pour se positionner sur l’apport des nouvelles technologies dans ces métiers.
La gestion de la crise Covid a été une expérience marquante et très particulière. Nous avons tenu à être à la hauteur de nos engagements envers les étudiants, et nous avons réussi, grâce à une mobilisation forte des enseignants et du directeur de la formation. Nous nous sommes également préoccupés de la situation matérielle et psychologique de nos étudiants.
En quoi les enseignements sont-ils amenés à évoluer ? Comment intègrent-ils la responsabilité sociale et environnementale de
l’ingénieur ?
À mon arrivée à l’École, les élèves de deuxième année suivaient presque tous le “parcours Artem”, projet s’étalant sur toute la deuxième année, en commun avec l’ICN Business School et l’ENSAD Nancy, respectivement la business school et l’école d’art avec qui nous partageons le campus Artem. Ces projets visaient à diversifier les compétences des élèves et à les faire travailler avec des profils variés. Il existait juste une dérogation pour les élèves souhaitant faire de la recherche, qui pouvaient suivre des projets de recherche tout au long de leur deuxième année. Il m’a paru nécessaire de créer le même type de parcours pour les élèves tournés vers l’entrepreneuriat ou souhaitant acquérir une “expérience industrielle”. Chaque année, quelques élèves sont motivés pour s’essayer à la création d’entreprise, voire créent leur entreprise en cours d’année
En 2019, nous nous sommes posé la question de l’adéquation de la formation d’ingénieur avec le monde qui nous entoure. Nous avons voulu intégrer deux choses : la science des données, aujourd’hui omniprésentes et incontournables, et la transition environnementale.
Avant d’arriver à l’école, je travaillais à la direction de la Protection de l’environnement. Dans tous les dossiers que j’ai étudiés, j’avais l’impression que les enjeux environnementaux passaient après les enjeux sociaux et économiques. Mines Nancy ne veut plus diplômer d’ingénieurs qui n’auraient pas été sensibilisés aux grands enjeux environnementaux ou qui n’auraient pas les bases indispensables pour faire bon usage des leviers qu’ils auront à leur disposition lorsqu’ils seront en fonction.
Dans cet esprit, nous avons créé la cellule qui s’appelle aujourd’hui “transition sociétale et environnementale” (TSE) en déchargeant deux enseignants, qui ont été rejoints par des personnels administratifs, des élèves, et même des Alumni, pour faire évoluer la pédagogie, participer aux réseaux nationaux et être en veille sur ce qu’il se passe dans les grandes écoles, et faire évoluer notre école.
La pédagogie a évolué, avec l’organisation de conférences en première année, l’ouverture en deuxième année de quatre master class sur quatre sujets incontournables : la biodiversité, les substances dans les milieux, le dérèglement climatique et les interfaces entre sujets sociétaux et environnementaux.
Nous avons également décidé d’organiser chaque année la Fresque du climat pour les élèves de première année. Dans la foulée, nous nous sommes intéressés à la responsabilité sociétale, celle de Mines Nancy, et celle de ses futurs diplômés. Inspirés par la démarche TSE, nous avons initié une dynamique similaire pour les questions d’égalité, de diversité et d’inclusion (EDI). Une cellule EDI a été créée, elle mène des actions de sensibilisation, de formation, d’accompagnement, de réflexion sur notre organisation, etc.
Comment résonne le discours des “bifurqueurs” d’AgroParisTech” à l’école ?
C’était l’objet de mon discours, en octobre 2022, lors de la remise des diplômes de la promotion 2019. Du point de vue de la prise de conscience environnementale, nous avons largement progressé, et en peu de temps ! En revanche, je ne me retrouve pas dans le discours des élèves d’AgroParisTech, et la mobilisation reste un échec si elle aboutit à détourner les jeunes du métier
d’ingénieur ou à les faire douter du rôle essentiel de l’ingénieur dans la société. Si tous les ingénieurs désertent, le quotidien
de l’Humanité sera-t-il vraiment meilleur ? Il ne faut pas substituer au positivisme un rejet de la technologie. Le rapport de l’agence internationale de l’énergie le souligne : pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, la moitié des leviers sont de nature technologique ! Par ailleurs, rejeter la faute sur les générations précédentes, c’est oublier leur contexte, les défis auxquels
ils ont dû faire face.
L’ingénieur a un rôle important à jouer, c’est lui qui va choisir les paramètres à prendre en compte et ceux à négliger, c’est lui qui devra convaincre son management, et c’est aussi lui qui devra éclairer le débat public dans sa dimension technique et accompagner le changement.
Sur quelle logique l’École construit-elle ses réseaux ? Avec quels objectifs ? Quelle place pour le triptyque historique Paris – Saint-Étienne – Nancy ?
Les différents réseaux auxquels Mines Nancy participe ne sont pas comparables. Pour les élèves, le réseau le plus
important est Intermines, qui propose un espace de collaboration efficace entre les trois “mines historiques”. Les Alumni des trois écoles en tirent un sentiment d’appartenance à une même famille. Dans cet esprit, Intermines Allemagne a contribué au développement de la section germanophone.
Le Collegium LINP [NDLR ou Lorraine INP, regroupe 11 grandes écoles d’ingénieurs publiques et une classe préparatoire intégrée, “La prépa des INP”, au sein de l’Université de Lorraine] joue avant tout un rôle de répartition des moyens financiers et humains entre les différentes écoles d’ingénieurs de l’Université de Lorraine. C’est une institution peu visible pour les élèves, qui ne génère pas de sentiment d’appartenance.
Artem est une alliance pédagogique, mais avec l’installation des trois écoles sur un même campus, c’est aussi une identité géographique et une véritable proximité a pu se développer entre certains élèves.
L’Institut Mines Telecom (IMT) est aujourd’hui un établissement à part entière. La création d’un établissement (en 2018) a de fait mis de la distance avec Mines Nancy, composante interne de l’Université de Lorraine. Mais cela reste le réseau national de l’École, au sein duquel nous échangeons et collaborons sur des sujets transverses ou thématiques.
Comment l’école favorise-t-elle la diversité dans les admissions et le recrutement des élèves ?
Je suis convaincu que les principaux leviers en faveur de la diversité se jouent bien en amont de l’admission en école, sans doute dès l’école primaire. L’école est à ce titre impliquée dans plusieurs chantiers à différents niveaux : avec les Cordées de la réussite, où des élèves viennent en aide à des collégiens et des lycéens ; dans le cadre de “La main à la pâte”, pour dispenser des enseignements à des élèves de primaire ; au sein de l’association “Elles bougent”, qui visent à sensibiliser les
jeunes filles aux carrières scientifiques et techniques.
Mines Nancy agit également au niveau de son recrutement en diversifiant les voies d’accès depuis plusieurs années : admissions sur titre, prépa des INP, classes préparatoires universitaires, etc.
Quelle place pour le doctorat ?
10 % d’élèves ingénieurs poursuivent en thèse. C’est un niveau satisfaisant et Mines Nancy n’a pas vocation à orienter massivement les étudiants vers un doctorat. De la même façon qu’un double diplôme à SciencesPo ou qu’un échange à la TU Munich, faire un doctorat est cependant une manière intéressante de se différencier, et c’est très pertinent pour ceux qui veulent poursuivre une carrière scientifique.
Notre devoir en tant qu’école est de permettre à nos élèves d’effectuer leur doctorat dans les meilleurs laboratoires possibles, sur le sujet qui les intéresse et dans le monde entier.
Vous participez aux réunions du Conseil d’administration Mines Nancy Alumni. Quelle est votre perception de son fonctionnement ? Quelles sont vos attentes vis-à-vis de l’Association ?
Les Alumni nous accompagnent dans le développement de certains projets : “Un jour, Un mineur, Un Alumni” par exemple, qui permet à des élèves de suivre un Alumni dans son emploi pendant une journée [NDLR : lire pages suivantes] ; la mise en place de la section germanophone, à laquelle les Alumni établis en Allemagne ou dans les pays germanophones ont beaucoup contribué ; ou encore le projet de partenariat tripartite avec le consulat du Kazakhstan. Ils nous accompagnent de façon très volontaire, avec un travail en synergie qu’on retrouve également dans l’organisation des événements. J’en profite pour rappeler que nous entretenons des liens très forts avec la Fondation Mines Nancy, présidée par Christophe Couturier (N84), qui joue
un rôle capital. Elle a levé entre 200 000 et 300 000 euros tous les ans depuis quelques années, notamment dirigés vers les aides financières aux élèves, ou pour l’international. La fondation a fourni des leviers déterminants pour le développement du Techlab et les projets européens.
Quel rôle la Revue peut-elle avoir vis-à-vis de l’Ecole ?
La Revue est un ouvrage de grande qualité. De temps en temps, les écoles pourraient alimenter la Revue sur des sujets stratégiques sur lesquels elles possèdent une expertise particulière. Par exemple, Mines Nancy a développé une compréhension transverse des métaux stratégiques, au coeur de l’actualité. La Revue pourrait solliciter les écoles pour obtenir du contenu de qualité, et ce faisant les écoles renforceraient leur visibilité sur leur domaine d’excellence.
Quelles sont les valeurs clés de l’École ?
La devise de l’école est : “Ici c’est déjà demain”. Ce n’est pas qu’une affirmation, mais l’affichage d’une ambition : offrir aux élèves une scolarité les aidant à se préparer aux défis du futur à l’aide de conférenciers visionnaires et de matériel de pointe, mais aussi en les armant pour être des acteurs de la transition écologique et sociétale.
Je n’aime pas le mot “excellence”, tout le monde le met partout. Mais nous avons une réelle ambition de fournir à nos élèves une formation de qualité.
Anticiper, préparer les élèves à l’avenir, offrir une formation individualisée et de qualité, fonctionner à taille humaine, telles sont des valeurs clés de l’École
.
Un message aux Alumni ?
Je suis vraiment reconnaissant envers les Alumni qui, depuis mon arrivée, ont toujours été mobilisés pour soutenir l’École, notamment au travers de la Fondation. Dans mon investissement professionnel, je recherche un engagement qui a du sens. À Mines Nancy, c’est principalement en pensant aux élèves que je le trouve : quelle motivation de contribuer à la formation de jeunes gens méritants et brillants, amenés à jouer un rôle important dans la société de demain !
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