Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

EXPÉRIENCES DE BÂTIMENTS PASSIFS OU À ÉNERGIE POSITIVE

Revue des Ingénieurs

-

22/06/2022

Auteur : PASCAL GONTIER

 


J’ai créé mon agence d’architecture à la fin des années 90, avec la volonté de m’impliquer activement dans la transition écologique émergente, et la conviction qu’elle ne peut se résumer à de simples dispositions techniques, normatives et architecturalement neutres. Depuis sa création, la démarche de mon agence est ainsi portée par l’idée que les défis environnementaux sont tels qu’ils demandent des réponses innovantes et créatives, et sont ainsi de nature à susciter un renouvellement  architectural profond.

Les quatre bâtiments présentés ici sont quelques-uns des jalons de cette démarche qui est par nature évolutive.

 17 LOGEMENTS PASSIFS PASSAGE FRÉQUEL

L’opération de 17 logements passage Fréquel, réalisée pour le bailleur social SIEMP, est la première opération parisienne de logements collectifs passifs. Nous avons réalisé ce bâtiment à la suite d’un concours que nous avons gagné en 2006, avec un projet ambitieux dont les ambitions énergétiques, basées sur le standard allemand Passivhaus, allaient bien au-delà des prescriptions du programme.

Le projet est situé dans un tissu urbain dense, sur un terrain essentiellement orienté nord, et la façade sud du projet est en vis-à-vis proche avec des bâtiments hauts. Cette situation urbaine peu favorable avait conduit le maître  d’ouvrage à demander que le bâtiment se contente de répondre aux prescriptions du label THPE de l’époque. En proposant de réaliser un bâtiment passif, j’avais souhaité démontrer que l’objectif de consommations annuelles de chauffage de 15kW h/m², était atteignable, quel que soit le contexte urbain. J’avais également souhaité aller à l’encontre de la doxa bioclimatique en vigueur en France à l’époque, qui voulait qu’un bâtiment passif soit nécessairement orienté au sud, et qu’il se devait d’être hyper compact, doté de noyaux de distribution aveugles et de fenêtres chichement dimensionnées.

Nous avons donc fractionné le programme en deux bâtiments distincts, et avons ainsi créé une courette “parisienne”, afin de ménager les jours de souffrances du bâtiment voisin, et d’apporter un maximum de lumière dans les logements et les parties communes. Ce parti-pris nous a permis de créer des logements qui sont tous multi-orientés, ainsi que des studios traversants. La cage d’escalier et les paliers d’étages bénéficient de lumière naturelle ainsi que de vues sur l’extérieur. Enfin les fenêtres sont à triple vitrage, également réparties entre les différentes façades et ont une surface de 30 % supérieure à celle qui était demandée dans le programme.

Pour arriver à combiner performances énergétiques, multi-orientation des logements et générosité de l’éclairage naturel, nous avons mis en œuvre l’ensemble de la panoplie technique des bâtiments passifs : forte isolation par l’extérieur, chasse impitoyable aux ponts thermiques, étanchéité maîtrisée, loggias, et coursives portées par une structure autonome. Ainsi, l’expression du bâtiment passe plus par ses détails architectoniques que par une gestuelle formelle.

Ce bâtiment a permis de montrer que les bâtiments passifs pouvaient s’accommoder de situations urbaines denses et complexes, et qu’ainsi, une ville constituée de bâtiments énergétiquement performants ne ressemblait pas nécessairement à une ville homogène et héliotropique.

Il a également permis de réaliser que les consommations de ventilation, du fait du double flux, étaient supérieures, en énergie primaire, aux consommations de chauffage. Aussi, nous avons continué, et nous continuons à réaliser des bâtiments passifs, à l’instar des 41 logements Passivhaus que nous avons livrés à Gonesse en 2012, mais travaillons également sur des modèles de ventilation alternatifs, qui permettent de réduire les consommations du couple chauffage-ventilation.

Par ailleurs, le bilan carbone que nous avions effectué nous a fait prendre conscience du fait que les émissions de carbone durant la phase de construction représentaient l’équivalent des émissions durant 60 années d’exploitation du bâtiment. Les bâtiments qui ont suivi ont été conçus avec le souci de minimiser l’énergie grise et de réduire l’impact carbone des matériaux mis en œuvre.

 

LE BÂTIMENT DUÉE-PIXÉRÉCOURT

Le bâtiment Duée-Pixérécourt, Paris 20e, qui a été réalisé pour la RIVP et livré en 2013, s’inscrit dans un environnement bâti très fortement hétérogène, caractérisé par une juxtaposition d’événements architecturaux contrastés, construits à différentes époques, et qui présentent une grande diversité d’échelles, de formes et de matériaux. La parcelle est une longue bande mono-orientée qui longe un passage étroit et pentu.

Le projet se compose de trois entités indépendantes, construites en structure bois, disposées le long du passage et organisées autour de trois cours ouvertes. Cette configuration, qui reprend un type relativement courant dans les rues avoisinantes, permet de donner une certaine intimité aux logements, et surtout de leur assurer un bon niveau de confort lumineux ainsi que des orientations de vues multiples. L’ensoleillement des logements a par ailleurs été optimisé grâce à des fenêtres à triple vitrage qui sont encore plus généreuses que celles du projet Fréquel. Pour aller au-delà des ambitions énergétiques du standard Passivhaus, le dispositif de ventilation des logements a été dédoublé. Le bâtiment est en effet doté d’une ventilation mécanique double flux à récupération d’énergie qui n’est utilisée qu’en période de chauffage. Hors de la saison de chauffage, cette ventilation est coupée et remplacée par une ventilation naturelle qui est assurée par une simple ouverture des volets disposés en façade derrière des grilles persiennes. L’ouverture des volets d’air s’effectue manuellement lors de l’arrêt de la ventilation mécanique double flux, qui est signalée dans chaque appartement par un voyant lumineux situé dans la cuisine.

Des conduits d’extraction naturelle de l’air sont disposés dans les pièces humides et peuvent être actionnés par une simple ouverture de volets.

Le dédoublement du dispositif de ventilation a permis de diviser par deux les consommations électriques de ventilation et d’assurer le renouvellement d’air dans les logements durant la moitié de l’année.

 

LE BÂTIMENT MAX WEBER

Le bâtiment Max Weber est implanté dans l’enceinte de l’Université de Paris Nanterre, vaste campus dont les différents bâtiments en béton et en métal sont autant de témoignages de l’architecture universitaire française construite à partir des années 60.

Le programme établi par l’Université de Paris Nanterre comprenait le regroupement en un même lieu des différents laboratoires de recherche en Sciences Sociales et Humaines. À partir de ce programme architectural, assimilable à celui d’un bâtiment de bureaux, la maîtrise d’ouvrage demandait un bâtiment de prestige capable de valoriser l’image des laboratoires de sciences, de favoriser les échanges entre les chercheurs, et de donner à la recherche une identité forte et une attractivité auprès des chercheurs étrangers.

L’ambition environnementale forte qui a présidé à la conception du bâtiment nous a conduits à réinterroger en profondeur la nature même des espaces de bureaux offerts aux chercheurs, et proposer des pistes architecturales nouvelles. Les immeubles de bureaux sont en effet trop souvent des produits ultra-standardisés, qui ne parviennent à trouver leur identité que dans une surenchère formelle au niveau des façades et de la décoration. Le bâtiment Max Weber a été conçu de façon à éviter, grâce à une ambition environnementale forte, une telle banalisation des espaces de travail. Il s’agit en effet d’un bâtiment totalement atypique, entièrement en bois, passif mais doté d’une ventilation naturelle hiver comme été. Les faux plafonds et la climatisation ont été bannis des bureaux, ainsi que la ventilation mécanique contrôlée. Contrairement aux usages répandus, la structure en bois visible marque fortement les espaces intérieurs et leur donne un caractère singulier et chaleureux.

Les couloirs et les cages d’escalier sont éclairés par la lumière naturelle et bénéficient de vues sur l’extérieur. L’intégration des réseaux a fait l’objet d’une organisation spatiale spécifique de la structure et des différents réseaux. Pour ce faire, les plafonds en bois massif s’interrompent régulièrement, et ménagent ainsi des cavités destinées à accueillir les différents réseaux électriques et les luminaires.

Si l’enveloppe du bâtiment est de type “Passif”, le bâtiment s’écarte toutefois fortement de ce modèle par son système de ventilation naturelle assistée et contrôlée, qui permet d’éviter les consommations de ventilation mécanique doubles flux habituelles.

Ce dispositif de ventilation qui a fait l’objet d’études et de recherches très poussées dès la phase esquisse, constitue une première pour un immeuble de bureaux en France. Il se manifeste en toiture par vingt-cinq cheminées sculpturales en aluminium de trois mètres quatre-vingts de haut.

56 LOGEMENTS COLLECTIFS PESSAC

Le projet de construction de 56 logements collectifs Pessac est un projet expérimental initié en 2015. Il a été conçu entièrement à partir d’un cahier des charges précis que nous avons établi afin de répondre à une ambition environnementale particulièrement forte, portée par le bailleur social Aquitanis.

Nous avons ainsi proposé de réaliser un ensemble de bâtiments pouvant culminer jusqu’à 10 étages, entièrement en structure bois, y compris cages d’escalier et d’ascenseurs, isolé en paille et doté d’un dispositif de ventilation naturelle assistée et contrôlée. Il s’agissait d’un objectif ambitieux que nous n’étions pas totalement sûrs de pouvoir atteindre.

Nous avons donc élaboré le projet selon une méthodologie particulière, adaptée à ces enjeux. Habituellement, les études de formes et de fonctions sont réalisées avant les études techniques. L’architecte dessine puis l’ingénieur calcule. Ici, nous avons revu totalement les processus de conception. La forme du projet a résulté d’une conception paramétrique comprenant des études multicritères de la volumétrie des bâtiments, de la structure, de l’organisation spatiale, et des systèmes aérauliques.

Nous avons ainsi conçu plusieurs propositions volumétriques à partir desquelles différentes simulations ont été réalisées afin de tester leur capacité à répondre aux exigences du cahier des charges que nous nous étions fixés. Il est vite apparu que, pour des raisons d’insertion dans le site, la meilleure solution consistait à créer un ensemble composé de deux plots de deux hauteurs différentes :

quatre niveaux pour le premier, dix niveaux pour le second. À partir de ce principe volumétrique, nous avons réalisé différentes versions que nous avons comparées afin d’être en mesure de répondre à deux questions :

Est-il possible d’assurer un renouvellement de l’air au moyen d’une ventilation naturelle assistée, capable de répondre aux exigences des logements durant l’ensemble de l’année, avec un ensemble bâti comportant un épannelage dont le niveau le plus bas est R+5 et le niveau le plus haut est R+9 ?

Existe-t-il une volumétrie capable d’optimiser cette ventilation et d’éviter l’assistance mécanique, quelle que soit la saison et quelles que soient la direction et la force du vent? Une version s’est révélée plus performante que les autres, tant du point de vue de l’insertion urbaine que de celui de l’efficacité de la ventilation. Dans cette version, les deux bâtiments étaient de forme hexagonale et comportaient des toitures plissées à quatre pentes. Le caractère aérodynamique de cette forme était particulièrement bien adapté au site car elle permettait de réduire l’impact visuel des deux bâtiments vis-à-vis des bâtiments voisins. Elle permettait par ailleurs de réduire de façon significative les effets de pression négative sur les façades du bâtiment le plus bas en cas de vent défavorable. Dans cette version, les simulations aérauliques ont permis de démontrer qu’il était possible de se passer totalement d’assistance mécanique, et d’assurer le renouvellement de l’air par une ventilation naturelle sans assistance mécanique.

Ces études nous ont permis de démontrer que, l’efficacité du système de gestion environnementale n’est pas une simple affaire de dispositifs techniques, mais qu’elle relève en premier lieu de la justesse d’une conception architecturale, nourrie par une réflexion technique.

Le bâtiment n’a malheureusement pas pu être réalisé, mais sa conception nous a permis de développer de nouvelles manières de concevoir qui nous servent aujourd’hui pour nos projets actuels et futurs.

 Nous pouvons aujourd’hui considérer que, si les consommations de chauffage dans les bâtiments neufs peuvent encore être améliorées, elles ne constituent plus l’enjeu énergétique principal. La succession des réglementations thermiques et énergétiques a en effet permis d’améliorer considérablement le niveau général de la production bâtie. La nouvelle réglementation énergétique (RE 2020), témoigne de cette évolution puisqu’elle porte désormais sur des problématiques beaucoup plus vastes liées à la décarbonation générale du bâtiment.

Les améliorations sont donc à chercher au niveau des autres postes de consommation et notamment des postes de ventilation et de climatisation. La réalisation de bâtiments capables de s’adapter aux évolutions climatiques sans recours ou avec un recours minime à l’air conditionné est ainsi devenue un sujet central qui est encore insuffisamment pris en compte.

Par ailleurs, la réduction des émissions de CO2 liées à la phase de construction et à la transformation des bâtiments est devenue un sujet central. Si l’utilisation du bois et des matériaux bio et géosourcés apporte une première partie de la réponse, d’autres évolutions sont à espérer. De ce point de vue, la réalisation de bâtiments évolutifs et réversibles est devenue un enjeu essentiel.

J'aime
66 vues Visites
Partager sur

Commentaires0

Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.

Articles suggérés

Revue des Ingénieurs

AFRIQUE :

photo de profil d'un membre

Intermines

18 décembre

Revue des Ingénieurs

AFRIQUE :

photo de profil d'un membre

Intermines

18 décembre

Revue des Ingénieurs

L'urgence climatique

photo de profil d'un membre

Intermines

14 novembre