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LA RÉNOVATION ÉNERGETIQUE DE L’HÔTEL DE VENDÔME

Revue des Ingénieurs

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22/06/2022

Auteur : Catherine LAGNEAU (P 2004 ICM)

Le vaste programme de rénovation engagé en 2021 et soutenu par le plan de relance a pour ambition un gain de 36 % de performance énergétique. Une collaboration inédite avec une start-up issue de ses laboratoires permettra de la mesurer réellement avant et après les travaux et, comme toujours, de confronter la théorie avec la pratique.

L’École des Mines de Paris a pour mission de former des scientifiques et cadres de demain capables de dominer les grandes mutations technologiques pour les mettre au service des grands enjeux contemporains, dont en particulier aujourd’hui le défi climatique. À la fois scientifique et manager, l’ingénieur des Mines, depuis le XIXe siècle, est un scientifique de haut niveau, qui assume la responsabilité de son action. Le modèle pédagogique de l’école est depuis toujours mû par la maxime qui figure au fronton de son porche : “théorie et pratique”.

 L’ancrage théorique de la pédagogie se manifeste aujourd’hui par le niveau d’excellence scientifique des enseignants-chercheurs de l’École, regroupés au sein de l’université PSL (Paris Sciences et Lettres), en prise avec les grandes transitions industrielles, écologiques, numériques et sociales et au faîte de la connaissance scientifique. Depuis sa création en 1783, l’École a enseigné un art des mines éclairé et responsable autour de cours scientifiques mais aussi des questions de compétitivité et des enjeux sociaux et de sécurité des travailleurs. En 1885, ces enseignements évoluent sous l’influence de Frédéric Le Play, Ingénieur des Mines et pionnier de la sociologie française et de l’économie sociale. Après 1890 et la naissance du modèle d’école généraliste, s’ancrent les sciences humaines et sociales qui s’appuient aujourd’hui sur des laboratoires d’humanités à la renommée mondiale qui sont si particuliers à l’École des Mines de Paris.

L’ancrage pratique de l’enseignement se fonde depuis l’origine de l’école sur des voyages d’études, par lesquels passait l’apprentissage de l’art des mines, dans le monde entier, dont les rapports constituent une richesse de la bibliothèque de l’École ; et, aujourd’hui, aussi, sur des stages pratiques, notamment à l’étranger. Surtout, dès la fin du XIXe siècle naît le concept de laboratoire d’abord comme outil d’enseignement mais aussi de progrès des connaissances. “Les nouveaux laboratoires […] rapprochent constamment les élèves les uns des autres, beaucoup plus que les salles de dessin et les laboratoires de chimie, qui existaient seuls autrefois, et où chaque élève travaillait isolément pour son propre compte. Les nouveaux laboratoires de mécanique, de physique, d’électricité, de chimie industrielle et de métallurgie comportent tous en effet des appareils complexes, souvent très volumineux, dont le fonctionnement doit être étudié par un groupe d’élèves travaillant ensemble. Ils apprennent ainsi en même temps, et sans s’en douter, à bien se connaître, à apprécier leurs qualités réciproques, à découvrir chez leurs voisins, qu’ils soient riches ou pauvres, des valeurs qu’ils ne soupçonnaient pas. Il se crée ainsi des amitiés solides et durables entre élèves appartenant aux classes les plus distantes de la société.”1 Aujourd’hui les laboratoires sont principalement dédiés aux activités de recherche mais, à travers notamment la généralisation des semestres recherche depuis la réforme du cycle ingénieur en 2019, ils continuent de constituer des lieux essentiels de l’enseignement pratique. Plus qu’un principe d’apprentissage, l’enseignement des sciences et des techniques propre à l’École des Mines de Paris est donc aussi le ciment de l’identité quasi familiale des Mineurs.

 HISTOIRE ARCHITECTURALE DU SITE PARISIEN

L’implantation de l’École des Mines de Paris sur cinq sites reflète la pluralité de son enseignement et de son rayonnement. Ses laboratoires expérimentaux sont installés en proximité avec l’écosystème scientifique et industriel sur lequel elle appuie son développement, notamment à Paris-Saclay et Sophia Antipolis. Situé sur le cardo maximus de Paris, l’hôtel de Vendôme constitue son site principal, principalement dédié à l’enseignement et berceau de ses laboratoires d’humanités. Il s’agit d’un patrimoine d’exception situé entre le jardin du Luxembourg et le boulevard Saint-Michel, qui occupe une position centrale dans l’Université PSL.

Inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, l’actuel site parisien de l’École des Mines a cependant beaucoup évolué depuis ses origines : il est le fruit de multiples évolutions architecturales, qui, depuis son installation, accompagnent les évolutions pédagogiques de l’école. Les bâtiments datent pour la plupart de plus de deux siècles, avec des extensions réalisées à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle puis dans l’entre-deuxguerres.

L’emprise parcellaire du premier hôtel et de son jardin, alors pleinement étendue vers l’ouest sur l’actuel jardin du Luxembourg, s’est profondément transformée et réduite après la vente de plusieurs hectares à l’administration du Sénat en 1807 et plus tard, par la construction du boulevard Saint-Michel sur l’ancienne rue d’Enfer en 1860.

 Le premier hôtel, vraisemblablement construit en 1706, par l’architecte Jean-Baptiste Alexandre Le Blond (en rouge sur la figure 2, ce qu’il en reste) fut d’abord propriété du Chanoine de NotreDame, Antoine de la Porte. Puis il fut successivement occupé par la Duchesse d’Estrée en 1712 et par Monsieur de Lesseville, comte de Charbonnière, jusqu’à la location en 1714 de Marie-Anne de Bourbon, duchesse de Vendôme, qui donna son nom à l’actuel bâtiment. C’est elle qui le fait agrandir pour occuper une demeure à la hauteur de son rang (en bleu et orange, l’extension en 1715, qui constitue l’état jusqu’en 1850). Après sa mort, le Duc de Chaulnes occupa les lieux, suivi de plusieurs grandes familles. En 1815, l’École des Mines y prend ses quartiers pour débuter les premiers cours un an plus tard. “Les modifications apportées depuis l’installation de l’École des Mines dans l’hôtel ont été motivées tout d’abord par la nécessité d’agrandir les bâtiments devenus trop exigus pour le nombre de ses élèves”1. L’hôtel fut ainsi largement modifié et agrandi par les architectes François-Alexandre Duquesney (en 1850, en vert) puis Théodore Henri Vallez (en 1860, en jaune) au XIXe siècle. En 1860, l’élargissement de la rue d’Enfer, pour former le boulevard Saint-Michel, réduit considérablement la surface du site à l’est, obligeant la destruction d’une partie des ailes construites par Duquesney.

L’architecte Vallez a pour projet d’étendre l’école par des extensions au nord comme au sud, formant dès lors une composition architecturale centrée sur l’hôtel de Vendôme. Cette composition symétrique encore en place aujourd’hui sur le boulevard n’a pas totalement vu le jour, puisque le projet s’est construit au nord, alors qu’au sud n’a été édifiée que la façade sur le boulevard.

“Les autres modifications apportées depuis 1860 aux installations primitives de l’École ont été nécessitées par les améliorations successives des laboratoires et des collections qu’il fallait tenir au courant des progrès accomplis dans les sciences et l’industrie : ces aménagements font ainsi partie intégrante de l’enseignement de notre École.1 C’est ainsi que des constructions complémentaires ou réhabilitations d’ampleur ont été réalisées au XXe siècle (en magenta):

  • agrandissement du laboratoire de mécanique par “l’installation de moteurs et de pompes au rez-dechaussée, dans une construction provisoire en bois, en bordure du boulevard Saint-Michel”1 dès 1911-1912, remplacée en 1916-1918 par un “bâtiment de pierre, surélevé d’un étage formant une grande salle d’exercices pratiques pour la minéralogie et la géologie” entre 1916-1920, qui deviendra plus tard une cafeteria ;

 

  • utilisation de la cour centrale du bâtiment Luxembourg pour créer un laboratoire de chimie entre 1937 et 1939 sur les plans de l’architecte Vaugeois, “suivant un programme et des directives générales” du directeur de l’époque, Leprince-Ringuet et avec “des aménagements techniques selon les indications du Professeur Jolibois, directeur du laboratoire”2. Une partie était destinée aux élèves, l’autre aux professeurs et à leurs assistants. Ce réaménagement a été conduit dans le cadre d’uncréation de la salle de lecture de la bibliothèque en 1936, conçue comme modulaire : “cette salle très spacieuse,munie de tables de travail facilement démontables, peut servir de lieu de réunion pour plusieurs centaines de personnes, et répond ainsi à un besoin que ne pouvaient satisfaire ni les collections ni les salles de cours à matériel fixe”1 ;vaste plan de transformations sur demande du gouvernement du Front Populaire qui avait alors décidé de lancer une opération semblable à l’actuel plan de relance à travers des travaux réalisés pour les établissements publics. C’est ce laboratoire qui fut utilisé par les Allemands entre 1940 et 1944 pour le développement de photographies aériennes. Ils avaient alors obscurci le plafond translucide ce qui mécontenta le professeur Jolibois. Le laboratoire sera lui-même remplacé par l’amphithéâtre Poincaré (L108-L118) en 1987
  • remplacement de verrières en 1970 pour créer deux amphithéâtres, Charpak et Schlumberger (ce dernier ayant été rénové en 2018-2019),
  • puis en 1972, création du laboratoire de mécatronique au pied du bâtiment Saint-Jacques.

     

  • Le site est donc pétri par deux siècles d’histoire de l’École des Mines de Paris, s’ajustant à la fois à sa taille et à l’évolution de son modèle pédagogique original. Si l’École des Mines a souhaité conserver cet écrin originel, malgré les vastes mouvements de départ des grandes écoles vers Paris Saclay et le développement de ses autres sites plus  adaptés aux laboratoires scientifiques contemporains, c’est aussi pour que les élèves soient dépositaires de ce long héritage, et qu’ils imaginent le futur, innovent et entreprennent, sans oublier leurs racines communes et le respect des savoirs et pratiques des anciens.

    Cependant, le boulevard Saint-Michel s’éteint quand commencent les murs de l’hôtel Vendôme. Site confidentiel, fermé sur lui-même, dégradé, peu adapté aux enseignements d’aujourd’hui, il nécessite un investissement impératif et crucial de rénovation pour incarner dans sa chair de pierre les enjeux auxquels l’école prépare ses étudiants, notamment environnementaux, numériques et sociaux et refléter son appartenance à une université de rang mondial.

     LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE DU SITE

    La rénovation énergétique du site parisien de l’École des Mines de Paris s’inscrit dans le cadre d’un projet plus large, appelé projet “Grand quartz” dont l’ambition est à la fois de réhabiliter le site et valoriser le patrimoine, de repenser et optimiser l’usage des bâtiments existants mais aussi d’agrandir le site et de l’ouvrir sur la ville et le jardin du Luxembourg.

    Soutenue par le plan de relance engagé en 2020 destiné à la rénovation énergétique des bâtiments publics, cette première étape de rénovation se concentre sur un programme de rénovation énergétique ambitieux de ses bâtiments afin de les inscrire dans la trajectoire de rénovation tertiaire à horizon 2030 (-40 % par rapport à 2010).

    Les consommations énergétiques de référence du site sont (année 2019) de 1 316 MWh/an pour le chauffage CPCU (réseau de chaleur de la métropole parisienne), et 797 MWh/an pour l’électricité. Soit, pour un site d’environ 14000 m² de surface utile brute, une consommation de référence de 151 kWh/m²/an. Par usage en énergie finale, 62 % correspondent au chauffage, 13 % à l’usage informatique (serveurs, bureautique et équipements spécifiques), 12 % à l’éclairage, 8 % à la ventilation et aux pompes, 4 % à la climatisation et production de froid industriel, 1 % à la production d’eau chaude sanitaire. En comparant la consommation moyenne en énergie finale des bâtiments du même type en France (Source OID – Baromètre 2020), les bâtiments montrent une surconsommation de 5 % et de 60 % par rapport à la valeur seuil 2030 du dispositif Éco Énergie Tertiaire. 

      Les parois historiques n’ont pas fait l’objet de modifications depuis leur date de construction. Elles sont constituées de pierre de taille, sans isolation, conférant au bâtiment une forte inertie, avec cependant une résistance thermique faible. Le pourcentage d’ouverture des façades est d’environ 35 %, avec des verrières et fenêtres très détériorées en simple vitrage, amenant des besoins de chauffage très élevés. L’enveloppe thermique des parties ajoutées au XXe siècle est encore plus dégradée et très peu efficace (verrières en simple vitrage, isolation quasi inexistante) : ce sont de véritables passoires énergétiques.

     Les équipements techniques sont vétustes et n’ont pas été conçus dans un objectif d’efficacité énergétique, d’autant plus que la régulation du chauffage est quasi inexistante ; son amélioration permettra des gains énergétiques et de confort importants.

    La totalité des façades étant classée à l’inventaire des monuments historiques, une isolation par l’extérieur n’est cependant pas envisageable ; celle par l’intérieur limitée avec le risque de modifier l’équilibre hygrothermique des parois : la façade opaque n’est cependant pas le point le plus faible de l’enveloppe grâce à son épaisseur importante. Les verrières et fenêtres sont trois fois moins performantes que les fenêtres aux standards actuels. Les pertes les plus élevées sont dues aux parties vitrées et à la toiture.

    Compte tenu des caractéristiques du bâtiment précitées, le projet de rénovation énergétique du site se concentre essentiellement sur le changement des menuiseries et vitrages ((4) sur le schéma du projet, ci-dessous 687 ouvrants, vitrages et verrières sont concernés) avec l’installation de double vitrage pour l’ensemble des bureaux. Il concerne aussi la rénovation des parties les moins performantes énergétiquement c’est-à-dire paradoxalement les plus récentes (amphithéâtre Poincaré L108-L118 (1), laboratoire mécatronique (3)). L’espace vitré qui conduit à l’amphithéâtre, sous la salle de lecture de la bibliothèque (2), sera également rénové et deviendra un espace d’accueil et de circulation avec une ouverture vers le jardin et un ascenseur qui rendra, près d’un siècle après sa construction, la salle de lecture enfin accessible aux personnes à mobilité réduite.

     Dans la continuité des réfections historiques, ce projet accompagne la stratégie de développement de l’école et l’évolution de son modèle pédagogique: croissance des promotions, modularité des enseignements appuyés sur des exercices pratiques, réinvention du rôle de l’école dans la cité et ouverture à la société. Ainsi, l’aménagement du nouvel amphithéâtre (image 4) avec des gradins rétractables dans deux espaces qui pourront être utilisés ensemble ou indépendamment permettra-t-il à la fois d’accueillir la totalité d’une promotion mais aussi des conférences ouvertes au public ou colloques de recherche, permettant l’accueil, dans des espaces contigus, de séminaires et de collations, installations de posters ou séances de travail collaboratives par exemple. La reconstruction du laboratoire d’électronique et le creusement d’un étage en sous-sol permettront d’avoir des espaces d’enseignements dédiés aux projets et travaux pratiques, qui viendront compléter les espaces “fablab” dédiés à la fabrication rapide de prototypes qui ont été aménagés en 2021 et début 2022 (notamment dans l’ancien laboratoire de mécanique appelé “salles moteurs” qui accueillait jusqu’en 2021 un enseignement mythique dédié au montage et démontage des moteurs, devenu obsolète). Ainsi le site continue à se transformer à l’image des nécessités pratiques de l’enseignement.

 

  

 PERFORMANCE ÉNERGÉTIQUE

Sur l’ensemble du site, et sans présager des performances spécifiques des espaces plus particulièrement rénovés, la performance énergétique attendue par ce projet est de 36 % ainsi estimée : voir tableau “Actions de performance énergétique” (source : Terao, 2021).

 

En réalité, si elle a fait l’objet d’études et de simulations, la performance énergétique du site n’est pas précisément connue. C’est pourquoi l’école, toujours mue par sa devise “théorie et pratique” a souhaité créer un partenariat innovant avec coEnergy, une start-up issue des laboratoires de l’école. L’outil CPTB (Contrôle de la Performance Thermique des Bâtiments) développé par l’entreprise, sur la base de travaux d’étudiants et chercheurs du Centre Efficacité énergétique des Systèmes (CES), permet de quantifier la performance thermique dynamique intrinsèque d’un bâtiment de

 

manière robuste. Ainsi, à partir de janvier 2022 et avant le démarrage effectif des travaux, des tests CPTB sont réalisés sur six zones des bâtiments historiques, présentant des comportements thermiques distincts. Ces zones ont été préalablement identifiées à l’aide de Pléiades, logiciel de simulation des bâtiments dont le cœur de calcul est également développé à l’école depuis les années 90. Une nouvelle campagne de mesures sera enfin réalisée à la réception des travaux et l’impact réel des travaux pourra ainsi être démontré. En espérant qu’il sera à la hauteur de ce que la théorie espère ! 

 Avec mes remerciements à Ludovic Bouvier, Michael Cohen, Jean-Michel Wahart, Terao pour l’étude thermique

 

  • Gabriel, CHESNEAU. L’École des Mine s.l. : Association Amicale des Anciens Élèves de l’École Nationale Supérieure des Mines de Paris, 1931
  • VAUGEOIS Lucien, LEVRAT Les nouveaux Laboratoires de Chimie à l’École Nationale Supérieure des Mines. La construction moderne. 5 et 12 mars 1939

 

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