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DATA SCIENTIST : ITINÉRAIRE D’UN INGÉNIEUR ENQUÊTEUR

Revue des Ingénieurs

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05/02/2021

Auteur : Christine OLTRA (E 1983 ICiv)

Quel est le contenu du métier de “Data scientist” dans une entreprise comme Ubisoft ? Illustration de ce parcours d’ingénieur avec Vincent Flament (X09 - P10).


Le jeu vidéo est la première industrie culturelle dans le monde. Avec plus de 2 milliards de joueurs dont près de la moitié sont des filles, le marché du jeu mobile est estimé à près de 70 Mds €1. Qui aurait pu imaginer la success story de l’inventeur d’un jeu nommé “les lapins crétins” (titre phare de l’année 2005) ? Avec aujourd’hui un chiffre d’affaires de plus de 2 Mds € et 16 000 collaborateurs dans le monde, Ubisoft est une entreprise qui a le vent en poupe et encore beaucoup de projets pour 2020. C’est pourquoi Vincent a choisi d’y exercer ses compétences de Data Scientist.

LA DATA SCIENCE CHEZ UBISOFT

Chez Ubisoft, les usages de la Data Science sont très diversifiés. Chaque département a son équipe de Data Scientist (Marketing, R&D, RH…). Au Marketing par exemple, la Data Science mesure de l’efficience du service client. Il en découle une amélioration continue du service.

La Data Science est utilisée pour analyser tous les types de questions et les réponses associées, et permet donc l’orientation automatique vers les solutions possibles. La Data Science en R&D – là où Vincent développe son expertise – est au service de la conception des jeux : elle permet l’analyse des comportements des joueurs pour identifier les usages. Depuis mi-2018 il est intégré dans une équipe de 50 Data Scientist dont le rôle est de faire de l’étude de marché chez les joueurs. Le Data Scientist essaye de comprendre les comportements des joueurs :

• Leur motivation (complexité, scénographie…)
• Leurs comportements face à un nouveau jeu
• Leurs habitudes de jeu, seul, en groupe
• L’influence de la composition des groupes (amis ou inconnus, taille des groupes…)

Il analyse des critères de motivation et d’approche des jeux par sondage. Il repère ainsi les échanges sur les forums, les avis des joueurs sur les jeux en résumant et regroupant les avis sur des sujets prédéfinis. Puis en appliquant des méthodes d’analyses de texte ou de langage qui s’appuient sur les techniques du traitement automatique du langage naturel (NLP2), il en déduit les comportements des joueurs.

Les résultats d’usage sont parfois très différents de ce qui a été imaginé par les concepteurs des jeux. Le design des jeux et les règles sont alors adaptés pour correspondre aux pratiques des joueurs ou les influencer. Pour étudier le marché et la place des jeux Ubisoft, Vincent est aussi amené à faire de la modélisation. Ainsi pour estimer le nombre de joueurs de la concurrence, il peut corréler le nombre d’échanges (de personnes) sur un jeu donné et par déduction évaluer le nombre de joueurs.

Chez Ubisoft, “Le Data Scientist est le chef de projet de ses propres projets. Il doit porter le projet et définir son plan projet : son planning, son analyse et sa démarche”, explique Vincent. Il a donc une mission qui va au-delà de la mise en oeuvre de simples compétences techniques. Ces quelques exemples démontrent que derrière ses projets ludiques, la société Ubisoft exploite pleinement les millions de données générées par ses joueurs, que ce soit en ligne ou sur les forums. Le Data Scientist chez Ubisoft est un enquêteur du Big Data. Ainsi vous ne jouerez plus aux jeux sans savoir que chacun de vos mouvements est analysé. Nous ne sommes pas loin des prédictions de sociétés décrites par les romans de science fiction.

                                                                                                                   iStockphoto

LES PREMIÈRES ÉTAPES

La position de Data Scientist chez Ubisoft de Vincent est le résultat d’une démarche et d’un parcours construit. Après Polytechnique, il choisit l’École des Mines pour être au plus proche de l’entreprise. Quelques années auparavant, au moment de faire un choix d’orientation, il avait hésité entre une école de commerce et une formation d’ingénieur. Il avait estimé qu’une école d’ingénieur généraliste lui ouvrirait les portes pour des missions de consultant. Le conseil étant alors “à la mode”, et ce domaine, par les différentes facettes qu’il propose, lui paraissait être un bon choix pour qui n’est pas fixé sur les orientations à donner à sa carrière.

Mon expérience en conseil m’a appris à travailler, explique Vincent. C’est aussi une bonne école pour apprendre les différentes structures et fonctionnements des entreprises”. Si “on se débrouille bien” pour évoluer dans des structures variées en taille et organisation, il sera possible ensuite de bien choisir la structure dans laquelle évoluer. Il a pu ainsi découvrir pendant 2 ans plusieurs sociétés. Mais il souhaitait lui-même actionner le levier, être le décideur et pas uniquement celui qui conseille, et surtout il ne voulait pas s’enfermer dans une logique routinière. Il rejoint alors le monde des start-up.

RÉORIENTATION VERS LES START-UP

Vincent souhaitait créer sa propre entreprise. Avant de se lancer, il a enrichi son expérience dans les start-up afin d’être confronté à la réalité du terrain. Cette expérience de 2 ans et demi a été bénéfique, puisque même si finalement l’expérience l’a convaincu que “le jeu n’en valait pas la chandelle”, il en a retenu quelques enseignements. “J’ai appris à travailler vite, à être innovant, à ne pas avoir peur de l’échec et à lancer des projets. Car je pense que les grandes entreprises sont friandes de ces profils qui osent, qui n’ont pas peur de casser les règles. Mais j’ai surtout acquis des valeurs humaines. J’ai appris à porter les valeurs de coaching”. Cette compétence lui sera utile dans son travail d’enquête auprès de ses interlocuteurs. C’est à ce moment-là qu’il décide de se lancer dans la Data Science, presque 5 ans après la fin de sa formation d’ingénieur.

LA DATA SCIENCE : UNE RÉVÉLATION

Ce choix de m’orienter vers la Data Science est issu de mon parcours professionnel. J’ai toujours été le “geek” dans mes missions.” Que ce soit dans le conseil ou dans les start-up, il était nécessaire de mesurer et analyser les indicateurs afin de faire les meilleurs choix. Fil conducteur de son expérience professionnelle, ce rôle “d’enquêteur” l’a conduit à franchir le pas et ouvrir la porte de la Data Science.

Il complète son expérience en effectuant en ligne des cursus spécifiques à ce domaine. À l’époque de sa formation initiale, ces enseignements n’étaient pas développés aux Mines, contrairement à aujourd’hui.

En parallèle de sa vie professionnelle, il suit donc des MOOCs dédiés à la Data Science3. Sa motivation pour se lancer dans ce projet de “reconversion” lui a permis de contourner les difficultés à trouver la disponibilité pour approfondir ses connaissances dans ce domaine, et à garder le cap. Ainsi, dans le même temps, il développe un projet personnel lui permettant de mettre en application ces acquis (application WEB, moteur de recherche-reconnaissance d’image).

DATA SCIENTIST : ENQUÊTEUR INGÉNIEUR OU INGÉNIEUR ENQUÊTEUR ?

Qu’est-ce qu’un Data Scientist ? “C’est un enquêteur avec une double casquette : enquêteur et ingénieur”, précise Vincent. Car le Data Scientist est enquêteur dans la phase de compréhension du système, phase où le relationnel est primordial. L’enquêteur va sur le terrain, il côtoie les usagers et les concepteurs, et doit recueillir leur perception du sujet. L’enquêteur s’approprie un sujet pour explorer le contexte et proposer des évolutions. Il est important de fédérer les intervenants qui maîtrisent le sujet mais n’ont pas le “profil technique”.

Puis l’ingénieur doit prendre le sujet dans son ensemble en “simplifiant” l’approche et en concevant un modèle adapté simple, compréhensible et accepté par tous et applicable. Au coeur de l’entreprise, le Data Scientist ne doit pas rester isolé. Il doit être capable de faire passer le message, convaincre. Être ingénieur est un avantage, la capacité de prise de décision est un plus. Il y a sinon le risque de se noyer dans les choix possibles. Il faut choisir, arbitrer et défendre ses choix.

Le côté généraliste de la formation d’ingénieur des Mines est un atout fort, car il incite à prendre du recul et ne pas se lancer sur une analyse spécifique correspondant à sa spécialité. Ainsi, l’ingénieur généraliste a le potentiel pour être “bon” dans le métier de Data Scientist puisqu’il a la vue d’ensemble. Et il est plus important d’avoir la meilleure vue d’ensemble plutôt que d’avoir le meilleur algorithme. La mission requiert de bonnes compétences en communication. En amont pour comprendre le contexte et en aval pour convaincre du bien-fondé des solutions préconisées. À défaut, les solutions ne sont pas appliquées.

LE MOT DE LA FIN

Le domaine de la Data Science est vaste. Cependant, les prérequis restent invariants : une capacité de compréhension des systèmes, un esprit d’analyse et une capacité à concevoir des modèles et à choisir “le modèle” adapté. Mais il faut surtout être un bon communicant, être autonome et engagé.
Le marché de la Data est ouvert, et l’exemple de Vincent nous démontre que tous les chemins sont possibles pour un ingénieur motivé. Le métier de Data Scientist est tout particulièrement adapté à l’ingénieur, et la formation actuelle des ingénieurs généralistes des Mines s’est adaptée à cette nouvelle demande du marché. “Profitez- en !” dit Vincent. Quant à la réponse à la question de Vincent : le Data Scientist est-il un ingénieur enquêteur ou un enquêteur ingénieur ? À chacun de se faire une opinion.

CHRISTINE OLTRA (E83), manager des trajectoires de transformation chez AGIRC-ARRCO – christine.oltra@mines-saint-etienne.org 

1. Référence plaquette Ubisoft
2. Le NLP est une discipline qui étudie la compréhension, la manipulation et la génération du langage naturel par les machines, que ce langage soit écrit ou parlé. Il allie les connaissances issues de la linguistique, de l’informatique et de l’intelligence artificielle.
3. La référence sur le sujet est Andrew Ng, chercheur américain en informatique et professeur associé au Département de science informatique de l’université Stanford. Son travail concerne principalement l’apprentissage automatique et la robotique. En 2012, il fonde Coursera avec Daphne Koller. À voir sur le site coursera.org : http://bit.ly/Mines511-17 

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