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METTRE EN OEUVRE LE 4.0 : RETOUR D’EXPÉRIENCE

Revue des Ingénieurs

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05/02/2021

Auteur : Matthieu LAUDE (P 2014 ICiv)

La digitalisation ? Vaste sujet ! Que faire, pourquoi, comment et dans quel ordre : je vous propose de parcourir quelques apprentissages tirés de ma mission chez Acrelec.


Je travaille depuis bientôt deux ans chez Acrelec, une ETI spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de bornes de point de vente, qui compte environ 700 collaborateurs, dont 300 dans nos deux sites de production. Ma mission est la digitalisation de notre entité Manufacturing.

DE L’IMAGINAIRE AUX PROJETS

Il nous faut, tout d’abord, déterminer dans quelle direction aller et construire d’une part un imaginaire, et d’autre part la stratégie concrète qui en découle. L’imaginaire commun est le recoupement, dans les esprits des dirigeants et collaborateurs, à la fois de l’étendue de tout ce qui est possible, nuancé par ce qui est réaliste dans le contexte spécifique de l’entreprise ; en bref une vision partagée ancrée dans la réalité du point de départ.

Ainsi, il me paraît essentiel de réaliser un état des lieux des outils digitaux de l’entreprise, pour pouvoir identifier les besoins les plus urgents, la façon d’insérer les futurs outils ou même pouvoir appuyer l’argumentaire stratégique devant d’autres auditeurs qui n’ont pas cette vision globale.

Très concrètement, lors de mon arrivée chez Acrelec, j’ai mis en place un comité mensuel “IT pour le Manufacturing” incluant le directeur industriel et le DSI, dont le but était de définir la vision et de lister les différents projets à lancer dans les deux années à venir. L’imaginaire a été le résultat des connaissances de chacun sur les technologies disponibles et d’un exercice de benchmarking externe. Après un premier état des lieux, la priorité a été donnée à l’harmonisation des outils des différentes entités, afin d’assainir les fondations avant de chercher, dans un second temps, à maîtriser nos données.

La traduction concrète de la stratégie consiste en un ensemble de projets qui viseront à adresser les différents besoins identifiés précédemment. On peut imaginer une catégorisation simple : des projets principalement orientés ROI ; des projets visant à faciliter le travail quotidien des collaborateurs ; des projets vitrine qui viennent davantage marquer les esprits sur l’avancée de la digitalisation dans l’entreprise. Le comité de pilotage “IT pour le Manufacturing” peut ensuite arbitrer les projets sur la base de ces 3 dimensions.

Pour Acrelec, une migration d’ERP unifiant les outils de notre usine française vise un bon ROI et un allègement de la charge de travail des collaborateurs. Une plateforme permettant aux filiales de vente de commander les produits du Manufacturing vise à faciliter le travail de nos services de vente et de production, et sert par ailleurs de vitrine de la transformation de notre entité Manufacturing. En termes de vitrine pure, sur l’impulsion forte du directeur industriel, nous avons installé certaines de nos bornes dans l’atelier pour les montrer à nos clients ou partenaires lors des visites du site, avec pour ambition ensuite de les utiliser pour l’affichage d’indicateurs de production et d’aide au montage.

ANIMER LES ÉQUIPES

Une fois que la direction à prendre est bien déterminée, que les projets sont identifiés, jetons un oeil du côté des ressources, notamment humaines, qui sont disponibles. Lors d’une mission de ce type, il me semble important de cartographier, puis d’animer le réseau des personnes qui sont aptes à prendre des décisions ou travailler sur les projets digitaux, à la fois par leur compétence technique ou simplement leur familiarité ou motivation générale avec le sujet.

Concrètement, cela passe par un lien fort avec les équipes de la DSI et notamment les experts de nos outils digitaux, ainsi que par un dialogue perpétuel avec eux sur les orientations à prendre dans nos projets. Il faut également animer le réseau des personnes qui sont davantage dans l’opérationnel, dans le “métier”, et qui sont à même de recevoir les outils, de devoir implémenter les nouvelles façons de faire.

S’il s’agit de décisionnaires ou d’utilisateurs clés, l’animation peut se faire sous la forme d’ateliers avec apport de connaissances, puis de débat sur des pistes d’applications et leur pertinence pour l’entreprise. Si ce sont des collaborateurs plus techniques, pour lesquels il est plus difficile de libérer du temps, ce sera davantage informel (en sortant d’une réunion, en passant les saluer) … ce qui marche parfois tout aussi bien qu’un format plus cadré.

CHOISIR UN OUTIL FACILEMENT INTERFAÇABLE

Étant donné la taille, le nombre et la complexité des différents outils, plateformes et réseaux pouvant être lancés dans un programme de digitalisation, l’entreprise peut vite se retrouver avec un écosystème digital vaste, redondant ou siloté, qui pénalise son fonctionnement global. Une grande partie de la transformation 4.0 de l’usine peut justement consister à construire les passerelles entre des outils de corps de métiers différents pour unifier l’information et la rendre accessible simultanément par de multiples acteurs. C’est pourquoi ceux qui guident la stratégie de digitalisation doivent garder le recul nécessaire pour juger de la cohérence de l’écosystème digital, ainsi que le souci que chaque addition à celui-ci puisse bien prendre sa place et s’interfacer le plus facilement possible avec le reste. Sur le terrain, ma règle personnelle est de choisir un outil facilement interfaçable quitte à perdre de la spécificité ou de la performance, car l’absence de passerelles ou la difficulté d’en construire pèse énormément par la suite sur le quotidien des opérateurs et peut bloquer les possibilités d’évolution.

GÉRER LE RYTHME

La façon dont les projets sont animés et rythmés a également une importance clé : de cela dépendent l’adhésion des participants et la priorité qu’ils donneront aux projets, et donc leur vitesse d’avancement.

Idéalement, les équipes projets et métier auront à la fois l’expérience de projets en V, avec des étapes bien cadrées dans le temps, et aussi de projets plus itératifs, s’inspirant des méthodes agiles ou orientées autour de MVPs1, pour qu’elles soient capables de réagir de la manière la plus adaptée. Les cycles en V sont effectivement puissants dans des cadres bien définis, avec des objectifs précis et fixes, alors que pour des projets qui ouvrent un grand nombre de possibles, les méthodes agiles permettent d’explorer davantage de pistes.

Le point clé ici est de bien définir quel rythme doit suivre chaque phase du projet, ainsi que d’obtenir l’aval des responsables des compétences nécessaires à le mener à bien, permettant de mobiliser les expertises au mieux. Dans mon cas, au vu de la taille de l’entreprise, il est facile d’avoir rapidement accès au terrain et à des retours opérationnels, ce qui fait que nous travaillons beaucoup avec eux dans l’écriture de spécifications et dans les évaluations des MVP. Par ailleurs, valider une liste de priorités des projets avec notre directeur industriel m’a souvent permis d’avoir la légitimité pour obtenir du temps d’un collaborateur clé de l’IT dont les compétences sont essentielles à l’avancement de mes projets.

Formuler une stratégie, implémenter et gérer un portefeuille de projets complémentaires, s’appuyer sur les infrastructures existantes, développer une vision claire de l’architecture totale visée, coordonner les projets de façon flexible suivant leurs finalités et surtout gérer les ressources humaines compétentes : voilà les quelques recommandations que je peux formuler d’après mon expérience d’implémentation de l’Industrie 4.0 dans un site industriel français.

MATTHIEU LAUDE (P14), responsable Industrie 4.0 chez Acrelec – matthieu.laude@mines-paris.org

1. Minimum Viable Product : méthode visant à créer le produit qui répond au besoin en étant le plus minimaliste possible, puis d’itérer à partir de celui-ci.

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