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INGÉNIEUR ET HUMANISTE : PATRICK SCAUFLAIRE (X81/P83) PRÉSIDENT-RECTEUR DE L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LILLE

Revue des Ingénieurs

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05/02/2021

Auteur : Bernard GOMEZ (E 1969 ICiv)

Comment devient-on Recteur d’Université avec un diplôme d’ingénieur X-Mines et une expérience de patron dans de grands groupes ? Récit pour tirer l’enseignement d’un parcours hors du commun.


UNE ROUTE EN LACETS PARCOURUE AVEC DISCERNEMENT

Dès la sortie des Mines, tenté par l’aventure du privé, Patrick Scauflaire entre chez Solvay, une société d’ingénieurs, pour s’occuper de process chimiques. Épris de liberté, 3 ans après et à 28 ans, il souhaite un poste à l’étranger. Ce sera le Brésil. L’inflation est galopante et le courrier de France met parfois 20 jours à arriver, mais Patrick y découvre une nouvelle culture et la gentillesse d’une population qui sait profiter des joies du quotidien. Six ans ont passé et il faut songer à donner un cadre de référence à la famille qui s’agrandit, donc retour en France et direction… la Moselle, aux antipodes du monde précédent ! Directeur de production chez Solvay, dans une usine classée Seveso qui produit des polyéthylènes et polypropylènes, il faut faire face aux enjeux traditionnels techniques et managériaux. Le métier de manager s’apprend sur le tas.

Pour des raisons stratégiques, l’activité est vendue à BP. Par souci de cohérence, Patrick accompagne le transfert. Il se retrouve donc avec toutes les équipes dans un univers de pétroliers, anglais et financiers. Son potentiel et sa culture technique sont appréciés, le voilà muté au Corporate à Bruxelles, puis à Londres comme Directeur de la Recherche Technologique, puis en Stratégie, un nouveau défi. Petit moment de solitude du fait de la perte de repères, de surcroît tout se passe en anglais. Malgré le message officiel de devenir un leader de la chimie, la décision est prise de vendre de nouveau l’activité.

“À CE MOMENT ON SE POSE DES QUESTIONS. N’EST-IL PAS TEMPS DE CHANGER D’AIR ?”

Une annonce des Apprentis d’Auteuil (“Voulez-vous donner du sens à votre carrière ?”), qui recrute un DGA, l’interpelle. Pour les plus jeunes lecteurs, on rappellera que LinkedIn n’existe pas encore en français. Une réponse et c’est parti pour un grand virage dans le monde associatif. Un moment d’effort d’adaptation quand Patrick se rend compte qu’il a perdu la compréhension intuitive des situations. Mais il découvre l’engagement des personnels. La mobilisation est plus facile, même si le sens de la hiérarchie et les méthodes de résolution des problèmes sont très différents de ce qu’on connaît en entreprise. Il acquiert à ce poste de nouvelles compétences, avec moins d’argent mais plus de plaisir.

Après dix ans dans la structure, alors qu’il se rend compte qu’il ne peut plus y évoluer, la fenêtre s’ouvre de nouveau grâce à une annonce. L’école d’ingénieurs Icam (Institut catholique d’Arts et Métiers) l’accueille comme directeur du site de Lille. Cette grande école forme des profils polyvalents et fait évoluer son projet éducatif. Elle trouve en Patrick la synthèse de ses besoins, et réciproquement. Enfin aux manettes ! Comme un directeur de PME, sollicité tous azimuts et à toute heure. Le job l’emballe : diversité, action, enjeux, équipe, jeunesse.

À peine le temps de finir son premier mandat de cinq ans que Pierre Giorgini, Président-Recteur de l’Université Catholique de Lille, l’appelle. Patrick Scauflaire le remplacera suite à un processus de recrutement interne long et réfléchi. Le voilà passé de la corvette à la tête du navire amiral. Pierre Giorgini a dynamisé l’Université, lui ambitionne de consolider cette dynamique.

LA LIBERTÉ DE CHOISIR SA VOIE

La question du choix de carrière se pose à chaque étape de la vie d’un ingénieur, la première fois dès la sortie d’école. Pour choisir entre différentes options, il faut d’abord savoir où on a envie d’aller. Naturellement, il faut s’accorder sur ses valeurs fondamentales et les passer au tamis de la culture des entreprises. C’est l’expérience de Patrick lors du passage de Solvay à BP.

À chaque étape, il faudra réfléchir au sens de son action ou de son projet, valider l’adéquation à ses aspirations et ses besoins personnels : sens et contenu de la mission, rémunération, titre, responsabilités, relation aux autres… Également, identifier les différentes options possibles, les espaces de liberté : ils sont souvent plus larges qu’on ne l’imagine. Vérifier sa propre liberté et connaître ses limites permet de réduire les erreurs.

Quelles sont les caractéristiques du monde associatif ? On s’y engage pour une cause. Si on n’y est pas sensible, ce n’est pas la peine de s’y diriger. Pour le reste, les compétences stratégiques, de management et de gestion des dirigeants y sont bien mobilisées. Pourtant il est plus fréquent de se repositionner de l’entreprise vers le monde associatif, que l’inverse. Dommage pour les deux parties. La liberté de caractère de Patrick lui a permis de prendre des options bien pesées lors des changements de parcours.

Entrée historique de l’Université Catholique de Lille _ Photo : Maes_Architectes_Urbanistes

LE RECTEUR D’UNIVERSITÉ EST D’ABORD AU SERVICE DES AUTRES

Le Président-Recteur (c’est son titre) a une double casquette. En tant que Recteur d’Université, il est classiquement responsable d’une équipe de doyens des facultés et des écoles de l’Institut Catholique.

Il est aussi le Président exécutif de la Fédération universitaire, et à ce titre coordonne, anime et réunit les actions et les énergies des établissements de la fédération, de la communauté éducative et des structures support (voir encadré). Le mot Catholique dans le nom de la fédération marque la dynamique dans laquelle l’université a été fondée, et porte un esprit d’humanité et de charité auquel le Président-Recteur est attentif.

Patrick Scauflaire donne le cap, fait les choix nécessaires, valide les options. Il cherche à libérer le potentiel des hommes sans les dominer. Son ADN est réfractaire à une demande qui ne sonnerait pas juste et qui les forcerait à obéir. Il apprécie particulièrement de donner du sens, et les réussites collectives sont parmi ses meilleurs souvenirs. Un manager écoutant et servant.

Créer, dynamiser, rendre possible des projets, assumer ses responsabilités font sa fierté. Ses missions se prolongent hors de l’Université, avec les nombreuses responsabilités dans les instances comme les Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens, ou encore comme Diacre dans sa paroisse.

ÉVOLUTION DE LA FORMATION D’INGÉNIEUR

Les écoles se sont longtemps focalisées sur l’acquisition de savoirs, essentiellement techniques. On vivait dans un monde avec une vision structurée qui donnait une fausse impression d’ordre. Mais on constate que les connaissances changent très vite, les disciplines évoluent aussi, de nouvelles se créent.

Le rôle des Écoles reste de former des esprits capables de raisonner de façon juste et objective sur des questions complexes. Les objectifs d’une bonne formation sont que les ingénieurs sachent poser une problématique, identifier les options possibles, visualiser les situations, et établir une ou des solutions, tout cela en étant capable d’imagination, de créativité, de largeur de vues !

Les savoirs techniques constituent le socle de connaissances de départ pour un métier. En termes d’accès à l’information, beaucoup de connaissances sont désormais largement accessibles par internet. Le rôle des professeurs glisse donc de celui de transmetteur de savoir à celui d’ouvreur des champs d’exploration. L’Université Catholique de Lille a développé beaucoup d’approches de pédagogie active : classes inversées où l’étudiant apprend avant le cours, pédagogies de projet, approche par problème, ateliers de créativité, etc. Ces approches inductives rendent l’étudiant davantage acteur. Leur inconvénient peut être l’effet “pointilliste”. L’étudiant doit faire l’effort de relier les différentes connaissances, de reconstituer une image complète qui lui était livrée “toute faite” dans les méthodes traditionnelles.

L’approche hybride de connaissances disciplinaires, associées à l’emploi de méthodes inductives, forme un couteau suisse qui permettra au futur ingénieur de pouvoir s’adapter. Encore faut-il savoir et accepter de se remettre en cause.

 

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L’INGÉNIEUR ET L’HOMME DEMAIN

Dans quelle société ces jeunes diplômés auront-ils à oeuvrer ? Une société malade, de plus en plus clivée : jeunes et vieux, gilets jaunes et élites, immigrés et natifs de souche… Des fractures minent la cohésion sociale : numérique, exclusions, suspicion vis-à-vis de la science. Un sentiment de déclassement se développe. L’avenir apparaît comme une menace. La science est mise en cause parce qu’elle se montre parfois arrogante. Son mauvais usage a entraîné des désastres écologiques. Des pseudo-experts envahissent les médias et portent une parole non vérifiée. On finirait par croire que toute opinion se vaut. Mais c’est faux ! La science, et ceux qui l’utilisent, peuvent aussi s’adapter, contribuer à expliquer le monde et à trouver des solutions. Le savoir doit continuer de se transmettre, mais il s’agit aussi de former à l’esprit critique, à l’argumentation raisonnée et à la réflexion éthique.

Plus particulièrement en entreprise, il faut amener les personnes à prendre des responsabilités et des initiatives. La relation managériale respectueuse nécessite que chacun fasse un pas vers l’autre. On doit veiller à laisser les marges de manoeuvre qui vont donner l’autonomie souvent revendiquée ou à renforcer la proximité envers ceux qui sont moins matures.

Le sens du projet porté par l’entreprise est fondamental : c’est lui qui assure l’engagement de tous, en particulier des plus jeunes. Qualité du projet, qualité du management : c’est ainsi que l’entreprise contribuera à inverser les tendances au clivage, réduira les fractures, pour que la société retrouve une admiration réciproque entre jeunes et adultes.

“La Catho” de Lille en chiffres
• Créée en 1875, c’est la plus grande Université privée de France
• 35 000 étudiants, dont 20 % d’étrangers
• 5 Facultés
• 20 Grandes écoles et Instituts
• 217 filières de formation
• 17 unités et instituts de recherche
• 546 universités partenaires
• 2 Centres Hospitaliers (1 000 lits)
• 3 EHPAD (650 places)
• 23 résidences universitaires avec 1 600 chambres
• 2 500 repas chaque midi au RU le Meurein
• 500 associations étudiantes

 

Article rédigé par Bernard Gomez (E69) bernard.gomez@mines-saint-etienne.org 

 

 

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