AGIR FACE AUX PANDÉMIES : FAUT-IL PRIVILÉGIER L’ESPÉRANCE DE VIE OU LA SOLIDARITÉ ?
Auteur : Thierry WEIL (P 1981 ICM)
Réflexions sur les éléments de décision à prendre en compte pour faire Cou non) le choix du confinement, la valeur d’une vie humaine et le choix de la solidarité.
La politique de confinement plus ou moins autoritaire qui a été imposée dans de nombreux pays serait selon certains une aberration économique liberticide. Il me semble important de rappeler quelques faits trop souvent négligés dans ce débat:
- Ce n’est pas un choix entre la prospérité économique et le droit à la santé: toutes les options ont un coût économique, immédiat ou différé, et un impact sur la santé, aujourd’hui et demain.
- L’optimisation du bien-être sanitaire général pourrait être le critère de décision, mais semble presque absente du débat.
- Décider que chacun doit faire des sacrifices pour augmenter les chances de sauver les malades est un choix poli- tique qui dépasse largement l’optimisation précédente.
- En l’occurrence, il s’agit d’une solidarité au profit de vieux, principalement mâles, dont le coût pèse plus fortement sur les moins bien lotis…
CE N’EST PAS UN CHOIX ENTRE LA SANTÉ DES HOMMES ET CELLE DE L’ÉCONOMIE
Se demander si le remède du confinement est pire que le mal de la circulation du virus ne se réduit pas à opposer le sauvetage de vies à la préservation de richesses matérielles.
En effet, des mesures coûteuses qui appauvrissent la communauté nationale ont un impact négatif sur sa santé. Pour un état donné de ses institutions, une société riche offre à ses membres un meilleur accès à l’éducation, au loge- ment, à une alimentation saine, à une bonne hygiène de vie, à la culture, aux loisirs, avec pour résultat une meilleure espérance de vie en bonne santé. On oppose donc en fait un scénario dans lequel on renonce à sauver des malades aujourd’hui à un scénario où beaucoup de Français auront une vie plus difficile, ce qui aura des conséquences négatives sur la santé et l’éducation des moins favorisés.
Le choix consiste donc à faire peser immédiatement le fardeau sur quelques victimes infectées ou à le répartir sur l’ensemble de la société et sur une plus longue période.
LES CRITÈRES USUELS DE MAXIMISATION DU BIEN-ÊTRE COLLECTIF
Face à un tel choix, les décideurs publics utilisent en général un critère présumé représenter le bien-être collectif, par exemple l’espérance de vie moyenne de la population.
Il sera de ce point de vue “équivalent” de faire bénéficier un malade d’une année de vie supplémentaire ou de distribuer au reste de la population une somme qui augmentera l’espérance de vie de chaque Français d’une demi-seconde (il y a environ 32 millions de secondes dans une année, et 66 millions de Français).
Un calcul sommaire montre que les coûts liés au confinement ou à l’inaction sont du même ordre de grandeur, même si les évaluations varient beaucoup entre les économistes. Dans un article publié mi-avril1, je suppose que ne rien faire provoquerait la mort de 500 000 personnes (l’estimation d’un des scénarios des épidémiologistes d’Oxford) en raccourcissant leur vie en bonne santé de 4 ans (compte tenu de la distribution des âges des victimes) et diminuerait ainsi de 11 jours l’espérance de vie moyenne en France.
LE CHOIX POLITIQUE DE LA SOLIDARITÉ
Or je pense que le choix ne doit pas s’opérer en fonction de ce seul critère, ni au niveau individuel ni au niveau collectif. En effet, il n’est pas moralement équivalent de faire porter le coût du fléau sur les seuls malchanceux infectés par le virus ou de le mutualiser en le répartissant sur l’ensemble de la société. Cette mutualisation peut être désirée au niveau individuel : la plupart des gens préfèrent, pour se prémunir du risque de faire partie des victimes, sacrifier 11 jours d’espérance de vie. Ils sont même souvent prêts à sacrifier beaucoup plus, comme le montrent les expériences de psychologie des préférences de Kahneman et Tversky : on s’assure volontiers contre un risque terrifiant mais peu probable, en payant au besoin une “prime d’assurance” supérieure à “l’espérance” du dommage (son coût multiplié par sa probabilité d’occurrence).
Mais cette mutualisation peut aussi résulter d’un choix collectif : si la communauté nationale considère qu’il est indigne de faire porter sur les seules victimes désignées par un sort aveugle le poids du fléau, elle consentira par solidarité un sacrifice moyen supérieur, mais réparti plus uniformément. Le choix dépend donc de notre préférence
- variable – pour la solidarité. Certains fatalistes pourront considérer qu’un Destin ou une Divinité aux choix impénétrables décide qui sera touché par la grâce et qui succombera au virus et qu’il serait outrecuidant d’aller contre Ses arrêts. Certains libertariens seront hostiles à l’obligation d’assurance ou de D’autres jugeront en revanche préférable de partager le fardeau, quitte à l’alourdir, et chacun tolérera – ou non – un degré d’alourdissement plus ou moins important.
En déclarant une mobilisation collective, parfois contraignante, beaucoup d’États – mais pas tous – ont fait le choix de la solidarité et de la mutualisation du risque. Beaucoup de décideurs publics l’ont fait par conviction ou pour prendre en compte les attentes dominantes de leurs citoyens d’être protégés, parfois à tout prix. Certains l’ont fait en dépit des souhaits d’une partie importante de la population : on voit ainsi beaucoup d’Américains protester contre les mesures de protection imposées par certains gouverneurs démocrates qui restreignent leurs libertés. C’est un choix avant tout politique et c’est bien le rôle de l’action politique d’opérer de tels choix, en fonction de préférences sur les valeurs et non de la seule maximisation d’un critère économique réputé représenter le bien-être collectif.
Notons cependant que les bénéficiaires de cette solidarité sont surtout des vieux, majoritairement mâles, et que ceux qu’elle fragilise le plus sont les plus précaires…
1- Sauver les êtres humains ou la croissance économique, les États face au dilemme – theconversation.com – https://bit.ly/2VTRG91

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