Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

3- INNOVATIONS MONÉTAIRES ET FINANCIÈRES

Revue des Ingénieurs

-

15/12/2021

Auteur : Yann LE FLOCH (P 2002 ICiv)

Dans le cadre d’une analyse de l’économie contemporaine telle qu’elle émerge à la suite de la pandémie, il est inévitable de s’interroger sur le phénomène parfois controversé des cryptomonnaies qui a pris son essor en cette période. Quel est leur fonctionnement? Quel est leur coût?


En date du mois d’octobre 2021, le marché des cryptomonnaies représente plus de 2000 milliards de dollars, soit en ordre de grandeur l’équivalent du PIB de pays comme la France, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Inde, le Canada, le Brésil, ou la Russie. L’écosystème des dites cryptomonnaies, qui comptent des milliers de cryptoactifs, présente donc un poids économique à regarder avec attention, même si une valorisation de marché n’est pas homogène, physiquement, à une mesure de productivité.

UN PEU D’HISTOIRE

Ce secteur des cryptomonnaies a pour habitude de désigner son commencement symbolique dans la révélation le 31 octobre 2008 du principe du “White Paper” de Satoshi Nakamoto, le « créateur » ou membre du groupe de créateurs de l’algorithme Open Source du projet Bitcoin, lancé dans la pratique en janvier 2009.
Cette initiative avait pour objectif de créer un système monétaire pair à pair, décentralisé, sécurisé, sans inter- médiaire bancaire, dans une période où s’inscrivait en filigrane la crise financière dite des “Subprimes”. Même si le fonctionnement opérationnel du code Open Source du Bitcoin est un couplage de différentes technologies, il est d’usage de considérer que la technologie sous-jacente est la Blockchain ou chaîne de blocs, notamment depuis la publication en octobre 2015 par le magazine britannique The Economist d’une couverture sur “The trust machine” (La Blockchain), éléments relayés ensuite de manière marquée par les réseaux du World Economic Forum. (Davos)

UNE VALEUR PAR CONSENSUS

La Blockchain est ainsi avant tout une base de données qui va être sauvegardée à l’identique sur différents ordinateurs distribués librement de par le monde. L’ajout de nouvelles données sur la base de données distribuées, lesdits nouveaux blocs de la chaîne, se fait par des processus de consensus de validation de la pertinence de la donnée entre les différents ordinateurs distribués. Le consensus est déterminé dans les blockchains par différents types de protocoles :

• la preuve de travail ou “proof of Work” pour des Blockchains comme Bitcoin ou Ethereum ;

• la preuve d’enjeu ou “proof of Stake” pour des Blockchains comme Cardano ou Polkadot.

Le principe général de ces systèmes de consensus est assez simple : un ordinateur qui va rajouter un nouveau bloc de données à la base de données distribuées Blockchain va être récompensé par des jetons (ou token1) de la Blockchain (par exemple respectivement des Bitcoins ou des Ethers) si le rajout de ce nouveau bloc est pertinent et présente des données non falsifiées. Ainsi, les différents validateurs2 ont un intérêt financier à valider des données justes et parfaites pour recevoir leurs récompenses. S’ils se trompent, volontairement ou pas, l’assemblée des ordinateurs le notera et d’autres ordinateurs “corrigeront” l’erreur pour toucher la récompense en validant les justes données.
Dans le cadre de la preuve de travail (du Bitcoin par exemple), le validateur qui recevra la récompense sera le premier ordinateur (ou méta-ordinateur3) à résoudre une équation mathématique (inversion de la fonction Sha256 pour le protocole Bitcoin) qui donne la preuve de “hachage SHA-256”4 du nouveau bloc.

LE COÛT DE L’ITÉRATION

La résolution de cette équation se fait malheureusement de manière non élégante, par l’itération successive de solutions possibles de manière aléatoire, en ayant le maximum de capacité de calcul pour itérer un maximum de fois, et ainsi être en capacité d’inverser la fonction de la manière la plus brute possible. Les ordinateurs qui réalisent ce travail via des cartes de calcul dédiées, bien souvent historiquement des cartes graphiques améliorées, se nomment les “miners”. Ce processus simple de résolution de l’équation se nomme le “mining”. L’idée de ces termes est d’utiliser le coût de l’énergie électrique, en minant électroniquement, pour trouver une solution mathématique qui sera ainsi gratifiée d’un “minéral digital”. Petit clin d’œil aux camarades Mineurs et à leur stage de géologie : dans notre institution des Mines, de tradition royale et voulue par Louis XVI, trouver un minéral utile ou précieux faisait tout son sens. D’une certaine manière, l’histoire demeure au travers de nouveaux outils : on “mine” toujours, mais pour un minéral digital. Dans le cadre de la preuve d’enjeux, les ordinateurs validateurs sont ceux qui possèdent une partie importante de token de la blockchain mère, ainsi l’idée est de considérer qu’un “actionnaire principal” a tout intérêt à enregistrer une donnée juste dans un nouveau bloc, et à être par alors gratifié.

Il existe aujourd’hui de nombreux autres types de systèmes de consensus que les deux cités précédemment : les “proof of space”, une preuve d’enjeu basé sur l’espace disque de sauvegarde alloué plutôt que le nombre de jetons possédés ; le “proof of elapsed time”, avec un temps aléatoire de validation des blocs affecté aléatoirement à des validateurs ; les DAGs (Digital Acyclical Graphs) qui ne sont pas exactement des Blockchains et permettent une validation selon les principes topologiques de DAG par validation par convergence progressive.

Le Bitcoin est particulièrement décrié en raison de sa consommation électrique. Selon ses détracteurs, le consensus de la preuve de travail consommerait plusieurs dizaines de TWh par an… l’équivalent de la consommation électrique d’un pays comme la Hollande ! C’est un point qui doit être relativisé : les nouveaux systèmes de consensus en cours de développement et qui commencent à être utilisés consomment comparativement peu d’énergie, moins de 1% voir 1‰ pour les réseaux les plus récents par rapport au réseau Bitcoin.

DECENTRALIZED FINANCE: DU POUR ET DU CONTRE

Dans la pratique, les cryptomonnaies servent dans de nombreux pays à réaliser des paiements, notamment transfrontaliers, de manière instantanée. Ils peuvent être un moyen d’avoir un système de paiement dans les pays où la bancarisation de la population est faible, avec l’exemple récent du Salvador qui a pu faire du Bitcoin une monnaie légale. Dans les pays plus avancés, les crypto- monnaies sont un système de conservation de valeur et de spéculation selon des modalités équivalentes à la Bourse traditionnelle. La financiarisation de l’écosystème crypto se matérialise notamment au travers de la DeFi (ou decentralized finance), où des services financiers et bancaires décentralisés existent sans intervention de tiers de confiance physique.
Une forme de “gamification5” très forte a pu être notée en 2021, avec le phénomène des NFT, des tokens uniques non fongibles6 qui représentent des œuvres d’art, des BDs, des dessins, ou des cartes de joueurs d’équipes de basket-ball ou de football. Un des leaders mondiaux sur ce dernier point est la start-up française Sorare qui a pu lever de l’ordre de 700 millions de dollars grâce notamment à la structure japonaise Softbank qui a mené l’opé- ration. Au-delà de nombreux projets s’inscrivent désormais dans une logique d’économie sociale et responsable avec des initiatives de “token for good” de manière privée ou institutionnelle6.
Une critique récurrente de cet écosystème des crypto- monnaies est son usage à des fins de blanchiments ou de dissimulations non vertueux. Sur ce point, nous savons désormais que très peu des échanges de Bitcoin sont liés à des activités de type illégal. En nominal, les premiers outils de blanchiment et d’affaires criminelles au niveau international demeurent le cash en dollars et en euros sur des montants très conséquents. “Les transactions illicites ne représentent qu’une petite partie de l’ensemble des activités de cryptomonnaies, soit 1,1 % seulement”, affirme ainsi Chainalysis en 2021, un des leaders de l’analyse de chaînes de blocs. Ces analyses se basent sur la capacité à identifier la nature des adresses pseudonymisées qui passent en entrée et en sortie de l’écosystème crypto par des plateformes d’échanges Crypto/FIAT avec identification de la nature du profil des porteurs d’adresse et de la typologie d’activité liée. Ainsi, il s’agit donc d’être vigilant sur ce point pour le bien commun, sans caricaturer la réalité de terrain, notamment par rapport au système monétaire classique.

L’écosystème des cryptomonnaies a pu créer des technologies de monnaies programmables, via des technologies dites “smart contracts”, qui ouvrent un champ du possible considérable pour le domaine économique, bancaire et financier, jusqu’à pouvoir remettre en perspective les modèles macroéconomiques historiques. L’écosystème des cryptomonnaies est encore adolescent. Une fois adulte, il pourra autant créer de nouvelles maladies que résoudre des problématiques de nos sociétés très économiques et financiarisées, en particulier sur des sujets sociétaux, d’environnements et de gouvernance démocratique7.
Il appartient aux Mineurs que nous sommes de chercher ce qu’ils peuvent attendre de ces technologies Blockchain. Peut-être y trouveront-ils des lumières qui pourront être utilisées au service des philosophies et secteurs économiques qui les animent, bien au-delà du champ monétaire ?

 

1- Dans l’univers de la cryptomonnaie, un token désigne un actif numérique transférable entre deux parties sur Internet sans avoir besoin, pour cela, de l’autorisation d’un tiers. Il s’agit d’un instrument financier.

2- Un validateur est un programme informatique utilisé pour vérifier la validité ou l’exactitude syntaxique d’un fragment de code ou de document.

3- Méta-ordinateur (ou metacomputer) : ensemble d’ordinateurs interconnectés et équilibrés qui fonctionnent comme une seule unité. 4- Une fonction de hachage calcule une empreinte numérique servant à identifier rapidement la donnée initiale, au même titre qu’une signature pour identifier une personne. SHA256, autrement dit Secure Hash Algorithm, est un algorithme représentant une famille de fonctions de hachage mises en place par la National Security Agency des États-Unis en 2002.

5- Gamification : appliquer les mécanismes du jeu, et notamment ceux des jeux vidéo, à un champ qui n’est pas à l’origine lié au jeu.

6- Un token non fongible est un actif cryptographique sur blockchain qui possède son propre code d’identification unique. “Non fongibles” signifie qu’ils ne peuvent être remplacés ou échangés à l’équivalence. Comme le décrit finance-mag.com : “un jeton non fongible peut être considéré comme une carte à collectionner, unique en son genre”.

7- Une série d’articles de Yann Le Floch publiés dans La Tribune en 2021 mettent en perspective l’impact social potentiel des technologies Blockchain au-delà des aspects spéculatifs :
• https://bit.ly/Mines514-LF1 : Quel great reset en 2021
• https://bit.ly/Mines514-LF2 : Les monnaies programmables redonnent du souffle à la démocratie
• https://bit.ly/Mines514-LF3 : La blockchain permet une finance moins spéculative

 

Par YANN LE FLOCH (P02), Vice-President “token”, Maslow Capital Partners – yann.le-floch@mines-paris.org 

J'aime
63 vues Visites
Partager sur

Commentaires0

Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.

Articles suggérés

Revue des Ingénieurs

AFRIQUE :

photo de profil d'un membre

Intermines

18 décembre

Revue des Ingénieurs

AFRIQUE :

photo de profil d'un membre

Intermines

18 décembre

Revue des Ingénieurs

L'urgence climatique

photo de profil d'un membre

Intermines

14 novembre