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3- INNOVATIONS MONÉTAIRES ET FINANCIÈRES

Revue des Ingénieurs

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15/12/2021

Auteur : Pierre FRECON (P 1997 ICiv)

Financer les petites entreprises permet de régénérer le tissu industriel et recrée un écosystème productif. Quels sont les montants et les aides de l’État? Mais surtout, comment choisir la start-up que l’on souhaite financer? Petite introduction à cette activité financière “passionnante et haute en couleur”


Le terme de start-up a émergé à la fin du 20e siècle à la convergence de deux tendances de fond : tout d’abord le déploiement de l’Internet commercial à grande échelle qui permettait de toucher de nombreuses personnes très facilement, mais aussi la reconnaissance des performances financières très intéressantes réalisées par les fonds d’investissement dans ces sociétés innovantes1.
La correction de la crise de l’Internet au début des années 2000 n’a pas vrai- ment ralenti le phénomène dont on peut mesurer le formidable développe- ment dans le secteur numérique sur les 20 dernières années (usages, services, intelligence artificielle, etc.). Surfant sur cette vague, de nombreux fonds se sont montés, gérant un afflux massif de capitaux. Cependant, le nombre d’entre- prises viables n’augmentait pas à la même vitesse et les jeunes entreprises demeuraient fragiles, que ce soit pour des raisons internes (manque de ressources – de tout ordre) ou externes (évolution des marchés, des technologies, etc.).
L’activité de capital-risque a vraiment débuté en France dans les années quatre-vingt-dix et avec beaucoup d’envie et d’espoirs. Les quelques fonds qui ont réussi à tirer leur épingle du jeu2 ont le plus souvent été sauvés par un investissement particulièrement rémunérateur, effaçant la performance médiocre (ou la perte des fonds investis) de tous les autres investissements. Ces expériences douloureuses ont forgé le modèle d’une quête de la prochaine “gazelle”, en espérant qu’il lui pousse une corne… pour générer un retour exceptionnel, excédant au moins toutes les autres pertes.

JEUNE ENTREPRISE, RÉGÉNÉRATION DU TERREAU ÉCONOMIQUE

Cette approche pose un biais dans la vision de l’entrepreneuriat. Si 60 % des entreprises en France existent toujours 5 ans après leur création (selon l’INSEE) c’est que nombre d’entre elles, ne visant pas forcément les étoiles, ont trouvé un équilibre économique qui leur permet de durer.
La notion d’écosystème prend alors tout son sens. Dans une économie française caractérisée par le prédominance de grands groupes, un manque d’ETI et une pléiade de PME, l’innovation est un sujet difficile à appréhender.
Une forte culture d’entreprise et des procédures bien rodées permettent l’organisation à l’échelle mondiale d’entre- prises de plusieurs dizaines de milliers de collaborateurs. Appliqué à la créativité, ce cadre favorise la prépondérance des capacités de développement sur les capacités de recherche de ces entre- prises.
Alors d’où vient l’étincelle innovante de la rupture ? De l’autre côté de la barrière. Dans les laboratoires ou parmi les anciens élèves des universités formant les salariés de ces grands groupes. Ou encore chez les anciens salariés partis créer leur entreprise. Les start-up, brouillonnes, mal organisées et en carence de toutes ressources, portent dans une proportion rare ce germe unique et tant espéré de l’innovation ! D’un point de vue économique, il y a donc un enjeu pour la France, sans doute accru par le manque d’ETI capables de mieux accorder recherche et développement, de soutenir les start-up pour régénérer notre économie.

INVESTISSEMENT PRIVÉ DANS LES START-UP

À une entreprise qui démarre, tout manque : chiffre d’affaires, expérience, processus, équipe… Voire produit ou service à vendre. Tout repose donc sur les femmes et les hommes qui se lancent dans cette aventure. Naturelle- ment, les investisseurs vont ressembler à ces entrepreneurs : plus ils choisissent d’investir tôt, plus ils misent sur l’équipe et la qualité de la relation humaine, plu- tôt que sur le projet en pleine gestation. Les émotions et le ressenti jouent un rôle déterminant. À l’opposé, mais suivant la même logique, les analystes des entreprises cotées s’appuient sur des données très larges, disséquant l’entre- prise et son environnement. Les dirigeants y sont une variable parmi tant d’autres tout aussi légitimes.
On comprend facilement que ces financeurs de start-up seront plutôt des per- sonnes physiques. Durant l’année 2007, 4 000 business angels ont investi environ 60 millions d’euros. Au cours du premier semestre 2021, 16 millions d’euros ont été investis par les 5 500 business angels recensés par l’association France Angels.
La moyenne stable depuis 20 ans3 tourne donc autour de 10 000 euros par business angel et par an. Pour les entre- preneurs, lever 100 k€ de capital au tout début de leur aventure revient à convaincre une dizaine d’investisseurs… Long, délicat et demandeur de tant d’énergie !

iStockphoto

L’ÉTAT À LA RESCOUSSE

Pour l’intérêt général que représente la régénération du tissu économique, l’État (comme souvent en France) complète cette implication financière privée au travers d’une armée de dispositifs, dont la plupart sont gérés par BPI France.
Défiscalisation de l’investissement des particuliers, aides à la recherche, crédit impôt recherche et crédit impôt innovation, investissement au capital de fonds spécialisés dans “l’amorçage” d’entre- prises, garantie de prêts bancaires… La liste est longue et décisive pour l’avenir des start-up.
À la Financière Florentine, nous avons mesuré depuis 2013 que pour 50 k€ investis, les entreprises récoltent en moyenne 450 k€ de financements complémentaires sur les deux ans suivants, dont pratiquement 80 % d’aides publiques directes (et on monte à 95 % si on introduit les garanties des prêts bancaires aux start-up).
Suffisant ? Optimal ? La réponse n’est pas évidente. On constate simplement que les business angels américains sont bien plus riches. Sans aide publique ni intervention de fonds d’investissement (venture capital), ils assurent les premiers financements jusqu’à environ 2 millions de dollars, passant ainsi le premier écueil.

OUBLIER SON ARGENT ET CHOISIR AVEC LE CŒUR

À la Financière Florentine, le taux de survie de nos participations ne s’est pas forcément révélé un enjeu. Nous avons perdu un quart de nos investissements (3 sur 12), le plus souvent au bout de 2 à 3 ans, avec une durée de vie moyenne proche de 5 ans. La question de la liquidité est quant à elle beaucoup plus complexe : pour une entreprise qui survit, nous estimons la maturité de l’investissement à environ 10 ans avec des performances très variables. Aujourd’hui une partie de mon temps est consacré à valoriser, à l’horizon de 2024-2028, nos investissements de 2013-2017. Outre les risques pris, il est donc indispensable d’investir unique- ment son surplus dans de telles opérations car on ne sait pas quand l’argent reviendra, s’il revient.
Pour cette raison, et parce que les entrepreneurs qui se lancent n’ont pas encore en main toutes les cartes pour faire de l’entreprise un succès, les critères subjectifs devraient prendre une part importante dans les choix : quitte à prendre un maximum de risques autant avoir des affinités avec les entrepreneurs et le projet ! J’ai moi-même pris cette décision en 2013, après six années de vaines recherches de critères pure- ment “objectifs” dans un environne- ment hautement incertain.
Tout ne se joue pas dès l’investissement et si le financement des start-up peut encore s’améliorer, les entrepreneurs aussi. Vous croiserez des directeurs industriels ou commerciaux avec des expériences solides dans deux, trois, quatre entreprises… Mais des entrepreneurs avec une telle expérience demeurent très rares. Ceux que vous financerez n’auront donc que très rare- ment seulement besoin (et envie) de votre argent. Garder du temps pour échanger avec les entrepreneurs, c’est apporter encore davantage à votre investissement et augmenter ses chances de succès. C’est aussi participer à une aventure entrepreneuriale dont vous serez fiers de parler, c’est construire un affectio societatis avec les entrepreneurs qui fait que vous ne serez pas considérés comme quantité négligeable quand un plus riche que vous se proposera de rejoindre l’aventure.

ET TEL LE JARDINIER…

Travailler patiemment avec d’autres pour faire fleurir une idée et embrasser le chemin plutôt que l’issue. Mais aussi couper les branches mortes et engraisser les plantes qui se développent bien : mieux vaut réserver un peu de capital pour soutenir les entreprises qui se développent bien, plutôt que pour éviter un échec, partie intégrante de ce type d’investissement (et qui vous coûtera donc simplement plus cher). 

 

1 – Le capital-risque est né aux États-Unis à la fin des années cinquante (grâce à un Français, Georges Doriot). La reconnaissance arrive au début des années quatre-vingt-dix pour certaines sociétés d’investissement au vu de l’importance des retours financiers et de leur régularité (e.g. Sequoia Capital).

2 – Jusqu’en 2015, le taux de performance moyen des sociétés françaises de capital-risque (sur 20+ années) était négatif (source France Invest). Mais les échecs de nouveaux fonds de capital-risque ailleurs en Europe et aux USA depuis la crise Internet sont tout aussi nombreux.

3 – Même le volant de défiscalisation de la loi TEPA de 2008 à 2017 a injecté environ 1 mrd€ apportés par 100 000 contribuables chaque année !

 

Par PIERRE FRÉCON (P97), fondateur et DG de Financière Florentine – pierre.frecon@mines-paris.org 

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