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2- ÉCONOMIE, MONNAIE ET CRÉDIT

Revue des Ingénieurs

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15/12/2021

Auteur : Joël HENRI (N 1967 ICiv)

La chimie pharmaceutique, qui s’est montrée défaillante durant la pandémie, révélant une situation préexistante, est un exemple d’activité dont le développement est encouragé par les pouvoirs publics. Les actions en ce sens et les raisons d’espérer en leur succès font l’objet de cet article.


Les matières actives, aussi appelées principes actifs pharmaceutiques (PAP), sont incluses dans le volet Santé des (re)localisations.
Depuis plusieurs années, l’approvisionnement des pharmacies en certains médicaments était en tension. Les hôpitaux ont failli connaître des ruptures dramatiques, le sort de patients se jouant à quelques heures. Selon le LEEM (syndicat de l’industrie pharmaceutique), les besoins d’anesthésiques et de curares ont été multipliés par 30, et même d’un facteur plus élevé pour certains produits. Mais cette crise a aussi révélé au public que les PAP étaient à plus de 70 % importés d’Inde ou de Chine. Un cas frappant est la raréfaction du paracétamol : le principe actif n’est plus produit sur le territoire depuis 2008 (à la suite d’une vague de délocalisation de la chimie).
La production de PAP a peu progressé en France de 2000 à 2019. Les statistiques publiées ne permettent pas de la quantifier précisément parce qu’elle se répartit entre les lignes NAF 20.14 – Produits chimiques de base et 21.10 – Produits pharmaceutiques de base. Pour la ligne 20.14, l’indice de production est passé de 117,3 en 2000 à 101,7 en 2019 et pour la ligne 21.10 de 80,5 à 111,3. Actuellement, la chimie pharmaceutique emploie directement entre 10 000 et 12 000 personnes, réalise un chiffre d’affaires compris entre 1,5 et 2,0 mrd€ et opère une soixantaine de sites. L’imprécision tient à la polyvalence de nombreux ateliers qui fabriquent indifféremment des molécules pour la pharmacie ou pour d’autres applications.
L’industrie française du médicament a réalisé un chiffre d’affaires de 60 mrd€ en 2019 (source LEEM). En l’absence de données publiées, nous estimons sa consommation de PAP à 3 mrd€.

À côté de grandes usines de PAP, appartenant à Sanofi ou ayant appartenu à Rhône-Poulenc, existent des sites employant de quelques centaines de personnes à une dizaine. L’entreprise Seqens, créée en 2003 et nommée Novacap jusqu’en 2018, a progressivement repris des ateliers ex-Rhône-Poulenc ou Sanofi et réalise un chiffre d’affaires de 1,5 mrd€ (pas seulement dans la chimie pharmaceutique) sur une douzaine de sites. Seqens était contrôlée par le fonds d’investissement Eurazéo qui a annoncé la cession de sa participation1.
Il existe donc une bonne base de départ pour réduire la dépendance de la France vis-à-vis de l’Asie. Il est en outre tout à fait admissible que des PAP soient fabriqués dans d’autres pays européens si une sécurité d’approvisionne- ment est ainsi obtenue. Aucune liste des PAP critiques n’a été publiée. Le LEEM a d’ailleurs déclaré que le caractère critique relevait de discussions confidentielles entre chaque entreprise et les pouvoirs publics.
Concernant la santé, 100 projets lauréats sont soutenus à hauteur de 132 mn € pour plus de 473 mn € d’investissements productifs. 35 projets concernent les PAP, en y incluant les produits biologiques (vaccins exceptés) et les réactifs d’analyse. Il n’y a pas de raison de mentionner un projet plutôt qu’un autre sauf celui d’Orgapharm (groupe Axyntis) à Pithiviers (45) visant la production des anesthésiques qui ont tant fait défaut en 2020. Le nombre de nouveaux emplois relatifs à chaque projet est généralement indiqué. Le total ne devrait pas dépasser 400 emplois au niveau national, mais ils sont hautement qualifiés et surtout la (re)localisation des PAP vise en premier lieu à améliorer la sécurité sanitaire du pays. Seqens, qui est par ailleurs lauréat de projets sur quatre sites, a récemment annoncé être en discussion avec le ministère de la Santé pour construire une unité de paracétamol sur la plateforme de Roussillon (38), là où se trouvait celle qui a été arrêtée en 2008. Les aides dont bénéficierait Seqens feraient partie de France relance mais sans passer par la procédure d’appel à projets.

LE REGAIN DE COMPÉTITIVITÉ DE LA CHIMIE PHARMACEUTIQUE OCCIDENTALE

Les industries pharmaceutiques occidentales, nées de la chimie, s’en sont largement détachées par une externalisation de la production des principes actifs pharmaceutiques (PAP). Elles les ont achetés au moindre coût en Asie sans mesurer la vulnérabilité où les plaçait une très forte dépendance vis-à-vis de pays lointains et ayant leurs propres intérêts.
Les coûts de production nettement plus faibles des fournisseurs asiatiques résultaient initialement de salaires très bas, de pratiques laxistes d’hygiène et de sécurité des personnels et de règles de respect de l’environne- ment inexistantes ou peu observées. Ces facteurs de compétitivité se sont fortement atténués mais subsistent en partie.
Les tensions sur les approvisionnements vont inciter les entreprises pharmaceutiques à accepter les surcoûts d’une production en Europe avec toutefois des compensations des pouvoirs publics sous forme, par exemple, de subventions d’investissement ou de l’autorisation de prix plus élevés des médicaments.
Mais un profond changement va modifier les compétitivités relatives de l’Occident et de l’Asie. Les personnels, les fournisseurs, les clients, les objets et les équipements seront connectés. La masse de données ainsi disponibles fera l’objet de traitements statistiques automatisés et débouchera sur un recours à l’intelligence artificielle. Il en résultera :

• un pilotage des fabrications plus fin qu’actuellement,

• une optimisation des flux logistiques et un meilleur ordonnancement des fabrications par des liaisons automatisées avec les clients et les fournisseurs,

• de considérables gains de productivité obtenus par élimination de tâches répétitives et chronophages :

- automatisation des collectes de données et des méthodes de surveillance,
- mise à disposition de rapports de production et d’anomalie,
- maintenance prédictive permettant d’effectuer visites, réparations et changements de pièces au meilleur moment,
- robotisation des manutentions et des magasins de produits et de pièces détachées, supprimant de plus des tâches pénibles et améliorant la sécurité de personnels.

iStockphoto

L’impression 3D sera généralisée. Des pièces d’équipe- ment seront confectionnées rapidement et économique- ment, ce qui de surcroît simplifiera la gestion des stocks. La mise au point d’un procédé s’appuie sur le traitement de très nombreuses données provenant de réacteurs expérimentaux. Leur automatisation poussée permettra de mettre plusieurs mini-réacteurs en parallèle afin de tester les effets de variations de paramètres. Ceci est particulièrement crucial en cas de techniques bio- chimiques.
Des modèles prédictifs de la qualité de l’eau en sortie de procédé l’orienteront vers le traitement le plus adapté compte tenu de la charge en effluents. Ceci modifiera la nature et la taille des installations de traitement d’eaux usées avec une réduction des coûts. L’efficacité hydrique des procédés en constitue un enjeu majeur.
Lors de la conception d’une installation, ses futurs utilisateurs pourront voir en anticipation leur environnement de travail à l’aide de masques et de lunettes de réalité virtuelle. Leurs remarques contribueront à l’ergonomie de l’installation à construire.

L’intensification des procédés sera recherchée. Elle est difficile à définir sinon par sa finalité : “Faire plus avec moins”. Les produits seront obtenus avec très peu d’im- puretés formées et une quasi-absence de rejets liquides ou gazeux.

Ce qui précède est écrit au futur mais il existe déjà des réalisations :

• Un projet de Fabrication Additive pour l’Intensification des Réacteurs (FAIR), commun à l’Air Liquide et la PME Poly-Shape, a été retenu au titre des investissements d’avenir. Les composants ainsi fabriqués ont été incorporés à un petit réacteur de fabrication d’hydrogène à partir du méthane, qui a été testé avec succès durant 5 000 heures. Les compétences nécessaires à la fabrication additive d’échangeurs et de réacteurs ont ainsi été développées.

• Les laboratoires Pierre Fabre et l’équipementier Mersen Boostec, en collaboration avec deux laboratoires de recherche toulousains, ont mis au point un procédé fortement intensifié de fabrication d’un PAP, notamment en ce qui concerne la pureté du produit et le rendement réactionnel (amélioré de 90 %).

• L’atelier de production de paracétamol que Seqens va construire à Roussillon, cité précédemment, effectuera une production intensive avec notamment six fois moins d’effluents que les procédés actuels

Un livre blanc de la Société française de génie des pro- cédés intitulé “L’usine du futur pour les industries de pro- cédé” et paru en 2019 cite ainsi une dizaine de tels exemples (https://bit.ly/Mines514-LB).
Les concurrents asiatiques sauront aussi mettre en œuvre ces progrès techniques mais devront en payer le prix. Avec une structure de coûts profondément modifiée, qui inclura tant en Occident qu’en Asie majoritaire- ment ceux d’ingénieurs et de techniciens hautement qualifiés, les écarts de compétitivité vont s’amenuiser. De plus la proximité géographique avec les clients réduira les coûts et les aléas logistiques.
Selon le cabinet de conseil Innotelos, spécialisé dans les relocalisations, les coûts des ingénieurs et ouvriers français rapportés aux chinois ou aux indiens ont ainsi varié entre 2000 et 2020.

 

1- Les acquéreurs seraient les autres actionnaires actuels et la holding américaine SK Capital Partners. Elle détient Wavelength Pharmaceuticals qui fabrique aussi des PAP. Une coopération, selon des modalités juridiques non encore publiées, est prévue entre Wavelength et Seqens.

 

Par JOËL HENRI (N67)joel.henri@mines-nancy.org 


Et FRANÇOIS GIGER (CM75), Senior Strategy Consultant, ARCLES– francois.giger@mines-paris.org 

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