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OÙ EST PASSÉE L’INDUSTRIE FRANÇAISE ?

Revue des Ingénieurs

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27/05/2021

Auteur : Bernard GOMEZ (E 1969 ICiv)

La France n’aurait plus de véritable industrie. Sur tout le territoire et dans tous les secteurs d’activité, on trouve cependant de nombreux exemples de réussite. 50 années de mutations industrielles sont passées si vite que la population ou les médias n’ont pas toujours suivi l’évolution… Petit tour d’horizon.


Fin avril l’Insee constate le fort redressement de l’industrie, le niveau d’activité est au plus haut depuis deux ans, soit avant la crise sanitaire. En 2020 l’industrie représente 12 % du PIB et emploie 2,8 millions de personnes, 11 % de l’effectif salarié en France. Elle s’élevait à 20 % du PIB en 19901. Depuis cinq ans le nombre d’usines n’a plus baissé – les créations compensant les fermetures – alors qu’il s’était contracté de 575 unités cumulées sur les 25 années précédentes. En 2019, l’industrie a embauché 51 000 salariés, +2 % des effectifs. Pourtant l’opinion publique continue de penser que la France ne dispose plus de véritable industrie. Il est vrai qu’aucune société industrielle ne figure dans le classement des Échos des 500 premières entreprises du fait d’un biais structurel (elles comptent souvent en prix de cession interne et sont dépassées par celles qui vendent en BtoC).
Le dossier qui suit montre les nombreuses et profondes transformations de l’industrie. Contrairement aux idées reçues, le pays a bénéficié de la mondialisation : échanges commerciaux doublés, coûts et prix abaissés, chaînes de valeur optimisées, et les inégalités ont diminué dans le monde. Mais elle aussi engendré des vulnérabilités en Europe. La France cherche à les compenser, pour éviter le déclassement. L’objectif est d’attirer ou créer chez nous les usines de demain, équipées de technologies avancées, qui répondront aux nouveaux besoins. Les premiers à convaincre que l’avenir est dans l’industrie sont les futurs salariés, les jeunes et l’encadrement.

ELLES SONT BIEN LÀ LES USINES !

Les exemples de réussite sont présents sur tout le territoire et dans tous les secteurs d’activité. Mais les usines n’ont plus le même visage. Fini les grandes unités de l’industrie lourde de jadis, polluantes et bruyantes – pour rester dans les clichés – place aux petites unités modernes, innovantes tant en procédés qu’en produits, attentives à l’environnement et à la qualité de vie de leurs salariés. Les anciens secteurs – plastique, caoutchouc, métaux, automobile ou textile d’habillement – ont largement été restructurés ; ils restent néanmoins très actifs. D’autres secteurs ont en revanche progressé : aéronautique, chimie de spécialité, pharmacie, collecte et tri, énergies vertes, luxe, logistique, agroalimentaire… autant de nouvelles sources d’emplois.
50 années de mutations industrielles sont passées si vite que la population ou les médias n’ont pas toujours suivi l’évolution, d’où cette impression fausse que l’industrie n’a plus d’avenir. Les succès méritent plus de notoriété. Comment font-ils pour se développer ? Des recettes classiques : innover, investir, être productif, se distinguer de la concurrence.
Stéarinerie Dubois vend 70 % à l’export, Bongard équipe 70 % des fournils français, Axens recycle les produits usagés de ses clients, Décathlon a mis en route une usine de vélos. On peut trouver de nombreux exemples de réussites.

LES NOUVEAUX RESSORTS DU DÉVELOPPEMENT

Les demandes du marché (les consommateurs B ou C) modèlent l’outil productif. L’écoute des besoins des clients nourrit l’innovation et la fourniture de services offrant de la valeur ajoutée. La production à la demande transforme la supply chain. Elle oublie l’ancien “Make or Buy” pour trouver des solutions sécurisées à des fabrications sur mesure ou en petites quantités. Du coup les entreprises sont amenées à investir dans leur outil de production, dans les technologies numériques ou robotiques, et l’interconnexion des machines (4.0 voir Revue des Mines n°511). Les ressources en “big data” et la 5G deviennent indispensables, y compris pour les PME industrielles. La compétitivité se décline en productivité, agilité, innovation et service rendu au client.
Des secteurs d’activité ou des territoires ont aussi trouvé le moteur de leur croissance : le Dunkerquois mise sur la transition énergétique et la décarbonation, le textile s’est tourné vers les usages techniques, la logistique a étendu les services associés au transport et au stockage… L’industrie s’organise en réseau (clusters, pôles de compétitivité) et en filières pour réunir les forces et les savoir-faire. Les entreprises passent des alliances stratégiques.
Il ne suffit pas d’avoir les bonnes semences, la préparation du terrain est aussi un facteur essentiel. La politique industrielle, qui consistait jadis à favoriser de gros investissements ponctuels, s’est muée en aménagement du territoire. Le plan de relance de 35 milliards d’euros dédiés à l’industrie concerne 5 secteurs principaux : santé, agro, électronique, chimie et métaux, 5G. La mobilisation des collectivités (comme à Dunkerque) associée à la baisse des fiscalités sur la production favorise les entreprises.

MYTHES, ESPOIRS ET ENJEUX

À l’occasion de la crise sanitaire en 2020, la mondialisation a montré les faiblesses d’approvisionnements non sécurisés et révélé les défis qui se posent. Le risque de rupture d’approvisionnements est crucial dans la chaîne de production et représente une réelle vulnérabilité. À l’échelle du pays, le nombre de produits stratégiques n’est pas si élevé2, mais peut bloquer toute une filière (microprocesseurs, terres rares, antibiotiques, etc.). Ce n’est pas la loi qui va obliger le producteur à fabriquer ou le consommateur à acheter français ! Il est sans doute illusoire de penser que les usines parties vont revenir, le consommateur n’est pas prêt à en payer le surcoût.
En revanche une bonne politique de localisation, plutôt que relocalisation, permet le développement d’unités modernes et compétitives comme décrit ci-dessus. Les points faibles de l’industrie française : maîtrise décisionnelle, trous dans la chaîne d’approvisionnement, faible rentabilité et poids des charges fiscales et sociales sont à prendre en compte pour poursuivre le redressement de l’industrie nationale.
Le plan de relance est un bon appui pour les entreprises qui veulent s’engager. On préférera diversifier les sources de fourniture de masques, pour éviter de ne dépendre que de la Chine, et investir dans les filières technologiques ou dans les services associés aux produits. Il y a des opportunités dans les infrastructures de data ou numériques, afin de se dégager de l’emprise américaine3, les fabrications d’équipements pour les entreprises, un secteur faible en France, ou la santé.

Pour développer une industrie puissante, il faut aussi favoriser le tissu industriel. Les activités sont liées, le producteur forme un écosystème avec ses fournisseurs, ses sous-traitants et ses clients. C’est une dimension à intégrer pour les collectivités territoriales à la manoeuvre pour l’attractivité, comme pour les organisations professionnelles qui peuvent infléchir les programmes de formation professionnelle. Cette dimension prend du temps et nécessite de la persévérance4.
Dans les territoires on recrute pour de “vrais emplois”. L’industrie accueille volontiers les candidatures et développe des solutions d’apprentissage, un moyen direct souvent utilisé pour entrer dans la vie active. Une clé essentielle est de savoir attirer les compétences de pointe et les talents de management. Malheureusement l’image de l’industrie est abîmée dans l’opinion. Rendre l’industrie attractive, et la qualité de vie y participe, nécessite la mise en lumière de succès et une prise en compte collective de tous les acteurs de terrain.
Pour les Mineurs, faire le choix de l’industrie ouvre des perspectives d’une vie d’ingénieur passionnante. Nicolas Dufoucq l’affirme, l’esprit d’entreprendre fait avancer et la prise de risque est un moteur de progrès car elle permet de surmonter l’incertitude5.

RECONQUÊTE

À la phase historique d’industrie lourde, consacrée aux activités d’énergie et transformation des matières, a succédé une phase d’industries secondaires. Les entreprises fabriquaient des produits qui répondaient grosso modo aux besoins du marché. La rentabilité primait sur l’intérêt de l’utilisateur. La sous-traitance et l’externalisation se sont développées comme des services “accessoires”. Au XXIe siècle, c’est l’attention accrue à l’usage par les clients et le souci de différentiation par un service réhabilité qui tirent le développement. Une industrie d’esprit “tertiaire” en somme.
L’offre produit est déterminante, elle formate le modèle de l’entreprise qui va chercher à s’adapter, produire à la demande, renforcer son expertise, assurer sa maîtrise sur la chaîne de valeur et la chaîne logistique. Elle doit investir dans des équipements et recruter des personnels qui lui permettront d’atteindre ce but.
Les nouveaux enjeux de maîtrise des chaînes de production et de valeur, les nécessités d’une compétitivité concurrentielle, redonnent du lustre à l’industrie.
L’industrie n’est pas en perdition, ou du moins ne l’est plus, selon Max Blanchet6. Depuis déjà 5 ans, elle recrute et a entrepris une reconquête silencieuse. Les territoires redeviennent attractifs et la part de l’industrie dans le PIB français remonte désormais. Mettre en lumière l’attractivité de l’industrie française fait bouger les curseurs, convainc la population de croire à son avenir et aux jeunes d’y aller. La belle revanche des Régions.

Dossier coordonné par BERNARD GOMEZ (E69)

 

1. Sources Entreprise.gouv, INSEE, IFRAP, rapport Louis Gallois
2. 121 articles issus de peu de pays fournisseurs et 12 critiques – Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance – Trésor déc.2020
3. Thierry Weil – Acadi 7 mai 2020
4. Louis Gallois Les Échos 4 janvier 2021
5. Nicolas Dufourcq, Directeur Général BPI France – le Cercle des économistes 25 janvier 2020
6. Directeur exécutif Accenture

 

 

 

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