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Évolution de la politique allemande de l’énergie

Revue des Ingénieurs

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10/05/2021

Auteur : Pierre AUDIGIER (P 1957 ICM)

«Auf die Dauer gibt es so viele Profiteure der Windenergie, dass Sie keine Mehrheiten mehr finden, um das noch einzuschränken – à la longue, il y aura tellement de bénéficiaires de la politique en faveur de l’énergie éolienne que vous ne trouverez pas de majorité pour y mettre le holà.
Angela Merkel, alors dans l’opposition, octobre 2004.


Les Allemands poursuivent une politique, amorcée au début des années 2000, de promotion des ENRs et de désengagement du nucléaire ; ils font figure de pionniers en matière d’EnRs, tout particulièrement d’énergies renouvelables intermittentes (ENRi, telles l’éolien et le solaire. C’est l’Energiewende1 - qui porte essentiellement sur l’électricité.

Un regard sur la politique allemande est d’autant plus d’actualité que le développement des EnRs est l’un des objectifs de la LTE (Loi sur la Transition Energétique) : le pourcentage des ENRis dans le mix électrique français devrait passer de 4,8% à environ 15% en 2025, soit le pourcentage atteint par l’Allemagne d’aujourd’hui.

Rappel historique

1991 : le gouvernement allemand adopte une première loi dont l’objectif est de permettre le développement des renouvelables. C’est la Stromeinspeisunggesetz ; celle-ci tient en deux pages et comprend six articles.

1998 : la coalition qui rassemble les Verts et le SPD de G. Schröder adopte la loi sur Le financement des renouvelables. C’est la loi EEG (Erneuerbare Energien Gesetz) par laquelle les producteurs d’ENR bénéficient d’un prix garanti pour vingt ans2 (Vergütungspreis). L’EEG-Umlage représente alors la différence entre un prix garanti et le prix du marché. Les renouvelables électriques intermittentes ont par ailleurs priorité d’accès au réseau (comme ailleurs).

2002 : la coalition adopte la loi de sortie du nucléaire. L’année 2022 devra être celle de la production du dernier kWh d’origine nucléaire.

2009 : A. Merkel arrive au pouvoir ; elle passe pour favorable au nucléaire et ce sera en 2010 une loi qui donne l’année 2035 comme devant être celle du dernier kWh nucléaire. Cette loi s’avéra extrêmement impopulaire.

2011 : le 14 mars, soit trois jours après Fukushima, la Chancelière annonce l’arrêt immédiat des huit réacteurs les plus anciens (8,4 GW). Les neuf autres (12 GW) devront l’être en 2022.

  • Dès l’été 2011, est adopté un ensemble de lois (le Gesetzpaket) en ce sens. Des objectifs très ambitieux sont définis pour 2050. Outre le nouvel échéancier pour la fermeture des réacteurs nucléaires, les principaux objectifs 2050 sont ainsi formulés :
  • Part des ENRs dans la production d’énergie primaire : 60%.
  • Diminution de la consommation d’énergie primaire de 50%, par rapport à 2008, soit une augmentation de la productivité énergétique de 2,1% par an.
  • Diminution des émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95% par rapport à 1990.
  • Part des ENRs dans la production d’électricité : 80%.
  • Diminution de la consommation d’électricité de 25% par rapport à 2008.

 

TABLEAU REPRENANT LES OBJECTIFS 2050 (éléctricité)

Novembre 2013. La nouvelle coalition CDU-SPD se donne notamment pour objectif une diminution de 40% des émissions de gaz à effet de serre sur la période 1990/2020.

1er août 2014. Publication d’une nouvelle loi qui fait suite à plusieurs modifications de la loi de 1998 : l’EEG 2.0., ainsi désignée pour en souligner l’importance.

Ses objectifs :

• 40 à 45% d’énergies renouvelables dans la consommation d’électricité en 2025.
• 55 à 60% d’énergies renouvelables dans la consommation d’électricité en 2035.
• Au moins 80% d’énergies renouvelables dans la consommation d’électricité en 2050.
• Au moins 18% d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie en 2020.

Sa complexité est symbolisée par deux chiffres : 105 articles et 55 pages3 ; c’est par ailleurs tout un nouveau vocabulaire qui est introduit. Les autres dispositions sont analysées plus bas.

L’ Energiewende repose sur un double pari :
• Pari sur l’arrivée à maturité de technologies encore aujourd’hui au stade du laboratoire ou de l’atelier pilote. Parmi celles-ci le captage et le stockage géologique du CO2 (CSC) et le stockage de l’électricité4 à grande échelle et à un coût raisonnable. Pour l’instant, il paraît peu probable que ces deux technologies soient prêtes pour 2030 malgré un important programme de recherche, notamment sur l’économie de l’hydrogène.
• Pari sur l’acceptabilité par les populations des nouvelles installations – notamment pour le stockage de gaz carbonique et la construction de lignes de transport THT nécessaires à l’acheminement vers les zones de grande consommation (principalement le sud) du courant produit par les éoliennes en majorité installées dans le nord.

Deux paris auxquels on peut rajouter une condition : que les pays voisins se gardent bien d’adopter une politique «à l’allemande» car l’Energiewende nécessite une contribution importante des systèmes voisins à la stabilité du système allemand. L’Allemagne a besoin :
• de ses voisins comme exutoire pour y déverser ses excédents, quand la production des sources intermittentes dépasse la demande et,
• plus particulièrement, des réseaux tchèques et polonais pour faire transiter de l’électricité du nord vers le sud en cas de nécessité.

L’Union de l’Énergie

Le 25 février 2015, Maroš Šefčovič, vice-président de la nouvelle Commission en charge de l’énergie et du climat diffusait sa première communication : The European Union energy package. Rien de très nouveau dans cette communication si ce n’est l’accent mis sur la sécurité d’approvisionnement en gaz. Ce texte reprend notamment l’essentiel des communications et lignes directrices antérieures, notamment la priorité donnée aux énergies renouvelables plutôt qu’aux énergies décarbonées (ce qui aurait inclus le nucléaire), ceci sans référence aux «externalités» des ENRis.

Les deux priorités de la Commission restent le développement des ENRs et des interconnections. Autre nouveauté : les prix garantis devront être remplacés par le recours aux appels d’offres.

État des lieux en Allemagne5

Production (source : AG Energie Bilanzen - 2014)

En 2014, une année au climat plutôt clément, la production de renouvelables a été la deuxième source d’électricité, juste après le lignite. La part des sources intermittentes dans le mix électrique a été de 14,8 %6 (elle est légèrement inférieure à 5% en France).
Les sources intermittentes représentent aujourd’hui près de la moitié des capacités installées (80 GW - moitié éolien, moitié solaire - pour un total de 180 GW) alors qu’elles ne produisent que 15% du mix électrique.

La déstabilisation du marché de gros de l’électricité

L’afflux d’EnRs rémunérés par un tarif garanti – et la surcapacité actuelle en centrales ThF (thermique à flamme) ont conduit à une baisse spectaculaire des prix sur le marché de gros7. En août 2015, il était inférieur à 30 €/MWh, soit environ 20€ de moins qu’en 2011.

Des prix allemands pour les «non privilégiés» très supérieurs aux prix européens

En 2014, le prix pour les ménages a été de 29,13 cts €/kWh (BDEW8 : 25,3 cts/kwh en 2013 pour une famille de trois personnes consommant 3 500kwh/an). Ces prix sont les plus élevés d’Europe.
Les gros industriels sont largement exemptés du paiement de l’EEG-Umlage. Les électro-intensifs bénéficient également d’un accès privilégié aux réseaux THT (Très Haute Tension) ; ce qui conduit à un prix inférieur au prix français. Une subvention évaluée à quatre milliards d’euros par an. Cet avantage porte sur 100 TWh environ (pour une consommation totale de 570 TWh) et concerne quelque 3 000 entreprises. L’autoconsommation est également exemptée, soit quelque 50 GWh. Ce qui, en tout, représente un peu moins du tiers de la consommation totale.

L’essentiel du financement des renouvelables est donc à la charge des particuliers non producteurs, des petits et moyens industriels et des commerçants. Ce sont les non-privilégiés, les nicht-priviligierten. En 2014, ceux-ci auront acquitté au titre de la seule Umlage quelques 63 €/MWh, soit plus d’une fois et demi le prix sur le marché. Les gros consommateurs ne sont pas les seuls bénéficiaires : ainsi, le Land du Schleswig-Holstein, un état agricole et bien doté en vent, peut afficher, grâce à l’éolien, une balance énergie positive de 500 millions €/an. La Bavière, de son côté, planifie sa propre sortie du charbon. Dans cet État fédéral qu’est l’Allemagne, ceci explique les difficultés que rencontre le gouvernement allemand à corriger les errements du passé : il y a donc, non pas «un» Energiewende mais plutôt «1+16». Nombreux sont les agriculteurs qui, avec quelques éoliennes au milieu de leurs champs et du solaire sur le toit finissent par gagner plus que du fait de leur activité agricole.

Dernières évolutions

Le 15 octobre 2015, les quatre gestionnaires de réseaux publiaient leurs dernières prévisions9 : Le coût effectif - c’est-à-dire sans compter le rattrapage et la réserve de flexibilité - de la surcharge (Kernumlage) pour EnRs devrait être de 6,354 cts/kWh en 2016, soit une augmentation de 7,6% par rapport à 2015 (5,957). À distinguer de la surcharge totale qui inclut d’autres frais, tels la liquidity reserve (sorte de frais financiers) ; la surcharge totale – l’Umlage - a crû de 3%.

Une politique de soutien aux ENRs en pleine restructuration

La loi de 1998 sur le financement des renouvelables a été amendée plusieurs fois, notamment en 2012 pour introduire, en option, la vente sur le marché (Modell
Direcktvermarktung–MdM) avec prime (prämium). Cette prime est la différence entre une valeur de référence (Anzulegender Wert) et le prix du marché. Si l’AW est de 10,4 cts/kWh et le prix moyen du marché observé sur le marché le mois précédent de 4,0 cts/kWh, la prime sera de 6,4 cts/kWh ; le producteur cesse d’être rémunéré dès lors que les prix sur le marché ont été négatifs pendant plus de 6h d’affilée. Aujourd’hui, la moitié de la production d’EnRs intermittentes est commercialisée de cette façon.

L’EEG 2.0 du 11 juillet 2015 : du prix garanti au marché et du marché aux enchères10.

La vente directe devient obligatoire pour toutes les installations supérieures à un certain seuil de puissance et dont la mise en service est postérieure au 1er août 2015. Cette loi fixe des objectifs annuels pour chaque source ; ceux-ci s’inscrivent à l’intérieur d’un corridor-cible : pour l’éolien terrestre : entre 2 500 et 2 600 MW ; pour le solaire, entre 2 500 et 2 600 MW crête. La biomasse est mise à la portion congrue avec 100 MW. Avec clause de revoyure. Pour l’éolien marin, les objectifs sont réduits de 10 à 6,5 GW pour 2020 et de 25 à 15 GW pour 2030.
Une autre disposition importante de la loi concerne la mise aux enchères : la prime sera attribuée sur appel d’offres. Une expérimentation est en cours pour le solaire. Un deuxième appel d’offres a été lancé le 15 août. Le prix de l’offre la plus chère permettant d’atteindre l’objectif de 150 MWc a été de 8,47 cts.

Des émissions de gaz à effet de serre par le secteur électrique qui repartent à la hausse

La fermeture des huit premiers réacteurs a conduit à une hausse de la consommation de lignite et de charbon et, de ce fait, à une hausse des émissions de CO2, - modeste mais réelle - malgré le développement de la production des EnRs. De 308 millions de tonnes en 2011, elles sont passées à 318 millions en 2013 (source Agora Energiewende, qui joue un rôle similaire à celui de l’ADEME en France).

Le 3 décembre 2014, le gouvernement décidait d’un plan d’action qui devrait permettre de respecter les objectifs de réduction des émissions de GES de 40% d’ici 2020. Il souhaite une réduction de 80 millions de tonnes par an des émissions de CO2 par le secteur électrique11.

Comme on le sait, le développement de la production de gaz de roches mères aux États-Unis rend disponible pour l’exportation d’importantes quantités de charbon. Ceci conduit à une baisse des prix du charbon sur le marché mondial, en conséquence de quoi l’électricité produite en Europe avec du charbon est moins chère que celle produite avec du gaz. King coal reste donc le combustible privilégié en Allemagne. Comme le dit Sigmar Gabriel, vice-chancelier en charge de l’économie : «On ne peut pas sortir à la fois du nucléaire et du charbon».

Un besoin considérable en investissements : les nouvelles lignes de transport

Le besoin en nouvelles lignes (THT et distribution locale) reste important. À cela deux raisons :
• Les sources d’intermittentes éoliennes sont localisées principalement au nord alors que les besoins se situent principalement au sud.
• L’intermittence conduit, de par son caractère même – une ligne dédiée à du solaire ne fonctionnera que 1 000 h par an - à un besoin considérable en ligne de transport.
L’opposition locale à la construction de nouvelles lignes ne semble pas fléchir et ce programme de construction ne cesse de prendre du retard.
En janvier 2014, Sigmar Gabriel, Vice chancelier en charge de l’économie, déclarait : «Au vu de la surcharge qui passe de 22 à 24 Mrds €… l’Energiewende risque d’échouer, du fait même de son succès».

Dans le même temps, le Vice chancelier affirme qu’il ne s’agit nullement de remettre en cause les objectifs de l’Energiewende dont le principe n’est pas contesté par l’opinion.
Dans le Spiegel du 4 novembre 2014, il va jusqu’à qualifier l’état de l’Energiewende d’incroyable/hallucinant («irre Zustände»).

Octobre 2014 : Green Paper (Grünbuch) : an Electricity Market for Germany’s Energy Transition; discussion paper of the Federal Ministry for Economic Affairs and Energy
Le Vice chancelier ouvre un débat sur la nouvelle architecture de marché à mettre en place pour accompagner l’Energiewende. Laissons-lui la responsabilité de son diagnostic : «Les capacités actuelles garantissent la sécurité d’approvisionnement pour les prochaines années. La faiblesse des prix de marché traduit le fait qu’il existe une surcapacité considérable.

La fermeture de nombreux réacteurs, l’annonce de la fermeture de beaucoup d’autres montrent que le marché envoie les bons signaux. Cette surcapacité doit être éliminée». Le ministre évalue à 60 GW la surcapacité du système européen (valeur contestée par la VGB PowerT. Sans distinction entre base, semi-base et pointe).

Le débat proposé par le ministre se structure autour de deux options :
• Capacity markets, option choisie par la France,
• Electricity market 2.0. avec capacity reserve (6 GW).

Les inconvénients de la première option sont largement développés : ce sont des aides d’État, donc soumises à l’autorisation de la Commission ; c’est bien compliqué et ça coûtera cher ; ça conduit à une recentralisation du système, ce qui n’est pas efficient sur le plan économique, etc. La deuxième option consiste pour l’essentiel à laisser le marché fonctionner sans entraves, c’est-à-dire sans plafonnement des prix12, ce qui permettra le financement des équipements de pointe sans augmentation sensible des factures ; il faut aussi faire confiance à l’efficacité de la puissance de secours et de la gestion de la demande qui peuvent être développées rapidement et à un coût modéré ; avec en toile de fond les progrès attendus en matière d’efficacité énergétique13.

Le ministre a donc déjà choisi. Il en appelle par ailleurs à une Energiewende européenne.
Cette consultation était ouverte aux partenaires européens, parmi lesquels la France14. Les Allemands cherchent ainsi à préempter le débat européen en en définissant les termes.

En attendant, la vie continue :

• Début juillet 2013, le gouvernement allemand annonçait sa décision d’accorder une subvention – évaluée à 100 millions d’€ car le chiffre est «secret commercial» - à E.on pour que celui-ci renonce à la mise sous cocon des unités 4 et 5 de la centrale au gaz d’Irsching. Le 27 juin 2015, E.on fermait la centrale nucléaire de GrafenRheinFeld en avance de six mois sur la date fixée par la loi. E.on vient de notifier au gouvernement fédéral son intention de fermer les unités 4 et 5 en mars 2016 si la subvention n’était pas renouvelée.
• Le 14 octobre 2014, Sigmar Gabriel s’adressait directement au premier ministre suédois en lui demandant de faire pression sur la direction de Vattenfall pour que celle-ci confirme son projet de développement de deux mines de lignite situées en Lusace, jugées indispensables à la sécurité d’approvisionnement de la région.
• Les subventions à la houille restent conséquentes : si elles diminuent au niveau fédéral, pour passer de 1 332 millions d’€ en 2015 à 794 en 2019, le Land de Rhénanie du Nord Westphalie augmente la sienne qui passera de 171 millions d’€ en 2015 à 220 en 2019. Il s’agit essentiellement d’aide à la fermeture d’anciennes mines.
• Le 12 janvier 2015, Barbara Hendricks, ministre de l’environnement demande à son homologue française que la centrale de Fessenheim soit fermée le plus tôt possible et qu’elle veuille bien lui communiquer la programmation de cette fermeture. Tout en se défendant, bien sûr, de s’immiscer dans la politique intérieure de la France !

Juillet 2015 : White book (Weissbuch). Ce livre blanc fait suite au livre vert dont il reprend l’essentiel des analyses. Il est également soumis à consultation.

La réserve de capacité sera de 4 GW. Elle sera composée de centrales ThF autrement vouées à la fermeture et qui seront placées en stand-by. À distinguer de la réserve réseau, censée être provisoire – destinée à pallier l’impact des retards que connaît la construction de nouvelles lignes nord-sud (exemple : la centrale à gaz d’Irsching).
Instaurer un marché dit «energy only» et développer les mécanismes d’effacement qui devraient suffire encore longtemps. Le gouvernement compte notamment aussi sur la flexibilité à la baisse de l’éolien.
Une nouvelle consultation est en cours pour préparer une loi (Electricity Market Act) qui devrait être votée au printemps 2016.

En guise de conclusion

Un taux de croissance des EnRs, notamment intermittentes, conforme à l’objectif de l’Energiewende.

En 2025 les ENRs devraient atteindre 40 à 45% du mix électrique (dont 25 à 30% pour les ENRis – objectif officialisé dans la loi du 1er août 2014). Mesuré à l’aune de ce seul critère, l’Energiewende est sans aucun doute une success story. La question reste, comme on l’a vu plus haut, celle de l’acceptabilité par le public de la construction de nouvelles lignes.

Des emplois créés mais une création nette qui reste difficile à évaluer.

Le chiffre de 400 000 emplois créés par le déploiement des EnRs est souvent avancé. Difficile de savoir comment il est calculé. Il ne tient pas compte des emplois détruits.

Mais avec des effets pervers
L’objectif 2025 pour les ENRis est voisin de 30%, soit plus qu’un doublement. Dans le même temps, la France pourrait
bien atteindre en 2025 les 15% atteints par l’Allemagne d’aujourd’hui.
Ce qui devrait conduire à la poursuite de la baisse du prix de marché15 pour ces prochaines années, baisse des prix qui est un obstacle aux investissements dans les sources pilotables, ce qui, on l’a vu plus haut, n’est pas un problème pour Sigmar Gabriel, du moins pour l’instant.

Voici d’autres effets pervers :

La destruction de valeur
Les quatre grands producteurs historiques que sont E.on, RWE, Vattenfall16 et EnBW17 ont vu leur capitalisation diminuer de près de 50% depuis 2010.
Ce qui s’explique :
• par les pertes dues à la fermeture de réacteurs nucléaires et,
• par la réduction des bénéfices résultant de la baisse du taux d’exploitation des centrales conventionnelles - et la fermeture de certaines d’entre elles - comme il a été dit plus haut, un processus appelé à se poursuivre.

Les trois premiers des quatre ont, chacun à sa manière, engagé des actions en justice devant les tribunaux civils.

Des incertitudes sur l’efficacité d’une politique de réduction des émissions de CO2
L’Allemagne risque fort de ne pas atteindre son objectif de réduction des émissions de CO2, soit moins 40% à horizon 2020 (par rapport à 1990).
Les experts d’Agora Energiewende estiment qu’il faudrait, pour se placer sur la trajectoire 2050, réduire la production d’électricité à base de charbon de 62% d’ici 2030 et de 80% celle à base de lignite. La mise en service de la cohorte de nouvelles tranches à charbon décidées il y a presque dix ans, à durée de vie 50 à 60 ans, pour remplacer les anciennes, illustre bien la difficulté que peut avoir l’Allemagne à respecter ses engagements en la matière.
Ainsi les débats sont vifs sur l’opportunité d’ouvrir de nouvelles exploitations de lignite, non seulement en Lusace comme on l’a vu plus haut mais, aussi au Brandebourg ou en Saxe. Les syndicats s’opposent à toute taxe sur le charbon, rendant plus délicate encore la position du ministre.

Un soutien aux renouvelables qui devrait continuer à croître. Les quatre gestionnaires de réseaux anticipent une Umlage de 29,6 Mrds € en 2020, soit une hausse de 30% par rapport à 2016 (22,88).

On espère la décroissance pour plus tard, à mesure du remplacement du stock d’ENRs au feed-in tarif par des ENRs financées selon les nouvelles procédures (mais à un niveau très supérieur).
Mais l’Umlage ne couvre qu’une partie du coût total du développement des ENRs. Restent notamment le coût du développement des réseaux que, de plus en plus, les Allemands veulent enterrés, et celui du maintien de la stabilité du système électrique (réserve de capacité et réserve réseau).

***

Comme le rappelait récemment le 26 octobre dernier à Paris un haut fonctionnaire allemand, l’Allemagne de l’énergie est un «laboratoire». Certes, s’ils le veulent, les allemands peuvent couvrir - à échéance 2050 - leur demande d’électricité à hauteur de 80% par des EnRs. Il suffit pour cela de construire suffisamment d’éoliennes et de photovoltaïque, d’importer de la biomasse en masse, de multiplier les batteries etc., et de payer, tout en comptant sur les réseaux voisins pour y déverser en cas de besoin les surplus d’EnRs.
Pour un pays comme la France, la leçon à tirer du «laboratoire» devrait être claire : ne pas faire «comme si» les hypothèses sur les quelles est fondé l’Energiewende devaient être toutes justifiées. Un peu comme si l’avertissement lancé en 2004 par Angela Merkel s’adressait aussi à elle.

Pierre AUDIGIER (CM57)
Ingénieur Général des Mines. A été adjoint du secrétaire général du conseil interministériel pour la sûreté nucléaire, directeur des affaires économiques au secrétariat général de la défense nationale, consultant auprès de la DGEMP pour la libéralisation des marchés de l’énergie et auprès de la Commission Européenne pour l’assistance technique aux pays de l’ex Union soviétique dans le domaine de l’énergie (sûreté nucléaire, organisation des marchés) et aux pays du Maghreb. Membre de plusieurs associations engagées dans la Transition énergétique.


Ndlr : vous trouverez l’article complet dans l’ouvrage collectif "Les transitions Energétiques pour quelle qualité de vie" édité par ParisTech Alumni qui paraitra au 1er trimestre 2016 ainsi que sur les sites ParisTech Forum www.paristech-alumni.org et celui de la Revue www.inter-mines.org

 

1 Cet article fait suite à notre article paru dans le numéro 467 de la Revue des Ingénieurs (mai/juin 2013).
2 Aussi dit feed-in tariff. Ce prix dépend de la technologie et diminue progressivement avec le temps pour tenir compte du progrès technique.
3 Rien à envier à la LtE !
4 Le stockage de l’électricité à proprement parler est strictement impossible. Ce qui se stocke, c’est de l’énergie chimique (batteries) ou mécanique (volants d’inertie), le gaz (P2G : H2, l’eau dans des stations de pompage-turbinage, etc.
5 «300 milliards d’euros, soit plus que le coût de reconstruction à neuf du parc nucléaire français, c’est ce que l’Allemagne a investi depuis 1996 pour augmenter de 18 points la fraction renouvelable de son électricité (passée de 4% à 22%). À ce prix là elle n’a cependant pas diminué la facture de ses importations d’énergie, pas diminué ses émissions de CO2, toujours supérieures de 80% par habitant à ce qu’elles sont pour la France, fragilisé son réseau électrique (qu’il ne faut pas supprimer quand on «décentralise» la production, tout le contraire), et il se discute que cela ait permis de créer des champions industriels pérennes et des jobs à gogo». J-M Jancovici, juillet 2014 sur le site : www.manicore.com
6 Avec en Allemagne 3,1% pour l’hydraulique qui atteint 12,6% en France.
7 Les limites de rentabilité sont estimées à 70€/MWh pour le gaz, 60 pour le charbon, 45 pour le lignite et 40 pour le nucléaire (source : Hartmut Lauer in RGN Novembre-décembre 2014).
8 Association des industries de l’énergie et de l’eau.
9 source : Prognose der EEC Umlage 2016.
10 Voir notamment dans le journal of Energy & natural Resources law, 2015, l’aricle de Mathias et Annette Lang.
11 L’année 2014 permet à l’Allemagne d’afficher de meilleurs résultats pour le secteur électrique; conséquence de la douceur du climat, la consommation totale d’énergie a diminué de 5% par rapport à 2013 (source AG Energie Bilanzen).
12 Aujourd’hui, il n’y a pas de pointes de prix susceptibles d’atteindre le plafond (2 000€/MWh) comme ce fut le cas il y a quelques années.
13 L’objectif 2008-2020 consiste à réduire la consommation d’électricité de 10% : or la consommation est pratiquement restée constante entre 2008 et 2013 (source VGB).
14 Qui, à notre connaissance, n’a pas répondu publiquement à l’invitation qui lui était faite.
15 On pourra lire sur ce sujet : Wind power feed-in impact on electricity prices in Germany 2009-2013. François Benhmad et Jacques Percebois (European journal of comparative economics ; 2015).
16 Vattenfall a mis en vente sa filière lignite pour 3/4 mds€. Il a cessé toute production de nucléaire en Allemagne.
17 Le quatrième grand producteur historique, EnBW est la propriété du Land de Bade Wurtemberg. Les quatre producteurs historiques fournissent 75% du total produit en Allemagne.

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