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NOS VALEURS : ENGAGEMENT ET BIENVEILLANCE

Revue des Ingénieurs

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26/03/2023

Auteur : Raphaël Vialle

 La parole est à Mines Paris, avec Vincent Laflèche (CM84), directeur général de Mines Paris

 

 


Vous êtes à la tête de l’École depuis 2016. Quelles ont été les évolutions majeures sous votre direction? Quels sont vos principaux chantiers pour les mois à venir ?

Le marqueur des dernières années est le positionnement de l’école sur les sujets de développement durable et de transition énergétique. Je pense à la refonte du cycle Ingénieur Civil ou au lancement de TT1.5 (The Transition Institute 1.5, institut dédié au design de la transition bas carbone dont le but est d’apporter des réponses scientifiques éclairées au défi majeur de la neutralité carbone, NDLR). Notre filiale Exed, récemment créée, forme certains services du Premier ministre sur ces sujets. Nous avons également eu de lourdes évolutions institutionnelles. Nous sommes membres de PSL qui est maintenant une université de plein exercice. Il y a eu une évolution des statuts de l’École, d’Armines… Ces évolutions visent à apporter plus de visibilité, de cohésion et d’attractivité à l’École. Un diplôme PSL permet par exemple d’obtenir un visa Talent pour le Royaume-Uni, renforçant ainsi l’employabilité de nos élèves. Dans les mois à venir, nous allons poursuivre la mise en œuvre de la stratégie.

En quoi les enseignements sont-ils amenés à évoluer ?

Les enseignements ont profondément changé ces dernières années avec la refonte du cycle Ingénieur Civil. Il n’y a désormais plus de tronc commun en deuxième année. Le secteur de la santé présente une belle opportunité. De nouvelles thématiques émergent: santé et ingénierie, santé et intelligence artificielle, santé et matériaux… Les Mines sont depuis longtemps engagées dans ce secteur, notamment via son Centre de Gestion Scientifique, historiquement impliqué dans l’économie de la santé. Aujourd’hui, PSL, acteur majeur de ParisSanté Campus, nous permet de pleinement saisir cette opportunité : mise en place d’un double diplôme médecin-ingénieur, échanges académiques avec l’ESPCI ou Chimie Paris, création d’un master en intelligence artificielle/ santé… Cela nous permet d’enrichir la gamme des parcours. Nous voulons également diversifier les filières de recrutement, sans pour autant réduire le nombre d’élèves issus de classes préparatoires. Nous souhaitons que les promotions incarnent les diversités de la société.

Y a-t-il des enseignements spécifiques préparant aux concours à l’international ?

Les doubles diplômes à l’international ne se font pas sur concours. Nous envoyons des étudiants à l’étranger grâce à nos enseignants-chercheurs, qui maintiennent des liens avec d’autres enseignants-chercheurs d’universités de prestige. Les étudiants envoyés jouent un rôle d’ambassadeur: si l’université étrangère est satisfaite, elle en accueillera d’autres l’année suivante. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’entre deux ingénieurs diplômés, le S’il y a un problème d’attractivité en amont, en sortie de prépa, il n’y a pas de problème d’employabilité en aval. premier ayant fait un double diplôme avec un master anglo-saxon, le second six mois de stage en entreprise à l’international, les employeurs étrangers privilégient systématiquement le second. À ce titre, le classement de L’Étudiant ne reflète pas cette employabilité. Le double diplôme répond ainsi le plus souvent à une question d’image auprès des étudiants. Il y a un problème d’attractivité en amont (en sortie de prépa), pas d’employabilité en aval. Si nous voulons favoriser le double diplôme international, attention à ne pas en faire trop : il y a un effet de mode qui ne reflète pas les attentes des employeurs.

Comment les enseignements de l’École intègrent-ils la responsabilité sociale et environnementale de l’ingénieur ?

Nous sommes la première école à avoir intégré les sujets de transition écologique dans notre cycle Ingénieur Civil. Nous avons mis en place une Unité d’Enseignement “Terre & Société” en première année. Les étudiants de troisième année organisent un séminaire “Ingénieurs et transition environnementale”. Des débats de société traitent de sujets complexes en 3A, dans la continuité des cours de controverse créés par Bruno Latour. Il n’y a donc pas de cours spécifique dédié à la responsabilité sociale de l’ingénieur, mais un contexte global qui permet à nos élèves d’apprendre à poser des questions différemment. Je suis ainsi heureux du témoignage d’étudiants qui m’ont dit être satisfaits d’avoir des enseignants leur permettant de développer un regard critique, y compris sur les enseignements à l’École de Jean-Marc Jancovici en première année. Malgré ces réussites, l’ensemble des enseignements n’est pas couvert. Nous n’avons pas encore la réponse pour intégrer systématiquement ces enjeux dans les thèses ou les Mastères Spécialisés.

 

Comment résonne le discours des “bifurqueurs” d’Agro ParisTech à l’École ?

L’une de mes grandes fiertés est le discours tenu en octobre par les étudiants de la promotion sortante. C’était un discours d’engagement et non de fuite. Je souhaite que nous soyons l’École qui démontre à ses étudiants qu’ils peuvent envisager une carrière dans l’industrie, sans renoncer à leur quête de sens et leur volonté de contribuer concrètement à la transition vers un monde bas carbone. Ils peuvent transformer l’industrie de l’intérieur plutôt que la critiquer de l’extérieur.

Sur quelle logique l’École construit-elle ses réseaux (pôle régional, collaborations entreprises/industrie/recherche, connexions internationales, équipes d’enseignement…) ? Pouvez-vous détailler la logique de réseau régional entre Écoles, Universités, Centres de Recherche ?

L’École fonctionne dans un équilibre entre du “top-down” et beaucoup de “bottom-up”, qui signifie “savoir saisir les opportunités”. S’il n’y avait que le premier, nous serions à Saclay depuis dix ans, comme le souhaitait alors le ministère de tutelle. Déjà il avait été proposé à Pierre Laffite de déménager l’École à Saclay au début des années 1970: notre ancien directeur en a profité pour installer des centres de recherche à Fontainebleau, puis créer le campus de Un message aux Alumni ? Quelle place pour le triptyque historique Paris Saint-Étienne Nancy ? C’est un sujet très compliqué. J’admire ceux qui consacrent du temps au collectif. Nous avons la chance d’avoir des diplômés qui consacrent du temps pour les autres, qui sont attachés à l’École et aux communautés. C’est important d’avoir des Alumni en activité, pas uniquement des jeunes retraités dynamiques, dont le rôle comme mentor est très apprécié. Les Alumni entre 5 et 10 ans d’expérience sont à la fois ceux qui recrutent nos jeunes diplômés et ceux présentant le plus faible taux de cotisation à l’Association des Anciens: nous avons donc un but de guerre commun ! Ayant vécu 8 ans à l’étranger, je peux résumer mon attente dans un réseau d’Alumni par la question suivante : “j’arrive dans une ville avec une culture inconnue : qui est-ce que j’appelle au téléphone ? Quel annuaire est-ce que j’utilise ?”. L’annuaire des Mines ? D’Intermines ? De Dauphine ou de l’ENS, maintenant que d’anciens étudiants passent par plusieurs de ces écoles ? Les parcours vont évoluer et la question des communautés va changer dans les dix prochaines années; nous avons vraiment besoin de le construire avec les Alumni. Je sais que ceux de Nancy et de Saint-Étienne sont très attachés au réseau des Mines. Voyons comment les choses vont évoluer. Aujourd’hui, chaque Alumni vivra sans doute une mobilité forcée dans sa carrière, par exemple un licenciement.

À ce moment, comment le réseau peut-il être mobilisé ? 
A-t-il su rester actif en temps calme pour préparer ces temps de crise ?

Pour maintenir le réseau des Alumni, la formation continue me paraît essentielle.

Comment l’École favorise-t-elle la diversité dans les admissions et les recrutements des élèves ?

L’École progresse sur ces sujets, mais cela n’est pas suffisant. Puisque nous ne voulons pas réduire le nombre d’élèves issus de classes préparatoires, diversifier veut dire augmenter la taille de promotions, ce qui crée des résistances en interne – notamment au niveau des étudiants et des enseignants-chercheurs. Les plus grands soutiens de cette augmentation des promotions conjuguée à la diversification sont les Alumni de 30-35 ans, qui ont exprimé ce souhait lors des séminaires de codesign stratégique de l’École fin 2020. Comme sur de nombreux autres sujets, les Alumni ont ici un rôle déterminant.

Comment l’École prévient-elle les risques de violence verbale, physique ou psychologique en son sein (par exemple bizutage, harcèlement) ?

Nous partons d’une situation positive que nous nous efforçons d’améliorer. Il existe en effet une tradition de bienveillance à l’École. Merci aux étudiants, qui la transmettent d’une promotion à l’autre. Un des marqueurs de l’École est qu’un étudiant ne sera pas exclu de la FAO (Fosse aux Ours, sous-sol de la Maison des Mines dans laquelle se déroulent des soirées étudiantes, NDLR) s’il ne boit pas, au contraire de ce qui peut se passer dans d’autres universités. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons recensé des délits, jamais de crime. En clair, j’ai dû faire des déclarations au procureur pour des harcèlements sexuels, pas pour des viols. Le dispositif de suivi est mis en assurance qualité depuis 2019. Une revue annuelle, regroupant des associations étudiantes, des psychologues et la Direction de l’enseignement, permet de faire le bilan, évaluer les progrès et définir des objectifs. Cela nous garantit d’avoir une documentation et un processus d’amélioration continue.
Pour les encadrants, les échanges d’expérience avec des confrères d’autres écoles, et de PSL en particulier, sont également essentiels. Cette montée en puissance régulière s’est accélérée à la fin du confinement, lors de laquelle plusieurs risques ont été identifiés. Le premier concernant un risque accru de violences sexuelles et sexistes, dans une plus forte période festive pouvant engendrer de potentielles dérives. Un deuxième concernant un besoin de soutien individuel pour aller chercher les étudiants qui n’oseraient plus sortir de leur chambre à force d’y avoir été confinés. Enfin, l’apparition d’un problème d’alcool face à la solitude, venant s’ajouter au plus traditionnel problème d’alcool dans la fête. Depuis 2021, la rentrée de septembre se prépare six mois à l’avance par la Direction des études et les associations étudiantes fraîchement élues. Aujourd’hui, un étudiant dispose de trois niveaux de soutien. Le premier est le réseau de proximité de l’École. Le deuxième est PSL. Le troisième propose des actions comme la Nightline (service d’écoute, de soutien et d’information, NDLR).

Quelle place pour le doctorat ?

Nous avons aujourd’hui 400 doctorants, 100 diplômés par année. Nous visons une progression plus qualitative que quantitative. Notre politique n’est pas d’inciter plus d’étudiants à se tourner vers le doctorat en sortie de cycle Ingénieur Civil. Nous préférons mieux accompagner ceux qui expriment une motivation professionnelle claire, et le faire dans un environnement PSL (qui peut également nous aider économiquement, avec des bourses PhD Track). Nous ne souhaitons en effet pas que le doctorat suive un effet de mode. Nous estimons que la valeur de notre diplôme est suffisante pour aller à l’international, contrairement à ce qui peut être le cas en Allemagne par exemple.

 

Comment les effectifs sont-ils amenés à évoluer ?

Nous visons une augmentation de 50% en formation ingénieur d’ici 3-4 ans. Nous ne pourrons pas aller au-delà, en raison de la taille de nos locaux. Pour autant, nous ne souhaitons pas baisser notre taux d’encadrement, qui est d’un enseignant-chercheur pour dix étudiants. Il est donc hors de question d’augmenter les promotions sans augmenter le nombre d’enseignants-chercheurs. En parallèle, depuis 2017, les Alumni et la Fondation sont mobilisés pour trouver des opportunités concrètes de nouveaux logements.

Quels rôles jouent le BDE et les activités des élèves ? Le corps enseignant ? L’Association des Alumni ? Le CA? Le ministère de tutelle ?

Les étudiants, comme les Alumni, sous-estiment l’impact qu’ils ont sur les décisions de l’École. À titre d’exemple, il y a un comité de revue dans chaque unité d’enseignement du nouveau cycle Ingénieur Civil, qui est en partie composé de personnalités extérieures, notamment de professionnels anciens élèves. Certains regrettent une situation qui pouvait privilégier essentiellement les propositions des enseignants-chercheurs…

Quel rôle la Revue peut-elle avoir vis-à-vis de l’École ?

La Revue est un élément de réponse à la question que je citais plus tôt : comment maintenir le réseau actif en temps de paix pour le mobiliser en temps de crise ? Je ne connais en revanche pas son impact en nombre d’abonnés, ni sa diffusion en dehors du réseau des Alumni.

Un mot sur le financement de l’École ?

La subvention publique a malheureusement diminué en euros constants. En revanche, pour un euro de subvention publique, nous dégageons 98 centimes de recette propre (droits et frais d’inscription, projets de recherche européens, contrats privés…), ce qui fait de nous le meilleur élève de France. Le président de notre conseil scientifique nous met d’ailleurs en garde sur les risques d’aller plus loin. Trop d’argent privé ne doit pas nous imposer des choix de court terme qui nous empêcheraient d’investir sur le très long terme, sur le ressourcement scientifique dont nous avons toujours besoin et qui est puisé essentiellement sur de l’argent public. Nous arrivons à la limite du modèle.

Un mot sur les facilités pour les élèves (logement, activités extracursus…) ?

Nous avons parlé du besoin d’augmenter nos capacités d’accueil, qui représente également un facteur d’attractivité. Certains étudiants choisissent d’aller à CentraleSupélec car ils imaginent que les Mines offrent une vie étudiante plus limitée, ce qui n’est pas le cas, les étudiants aux Mines étant en moyenne plus investis dans les associations. PSL offre d’ailleurs une opportunité d’élargir la vie étudiante : il ne faut pas se restreindre à la Meuh, mais s’élargir à tout le Quartier latin !

Quelles sont les valeurs clés de l’École ?

Notre devise “Théorie et pratique” est toujours d’actualité. À cette devise, j’ajouterais la valeur d’engagement. Cette valeur a été reprise dans le discours des diplômés ou dans les interviews récemment réalisées auprès d’Alumni pour la Sainte-Barbe. Cela fait d’ailleurs écho à la tradition de l’École, qui a eu la croix de guerre à l’occasion de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. Ce terme me semble par ailleurs cohérent avec les valeurs d’ouverture et de solidarité qui se traduisent avec cette grande bienveillance, qui est pour moi notre dernière valeur clé. À nous de le prouver avec l’élargissement et la diversification des promotions à venir. Montrons que ce n’est pas uniquement une solidarité entre élèves issus en majorité de familles plutôt aisées, mais une valeur générale et partagée !

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