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L'INDUSTRIE S'ADAPTE AUX SOUHAITS DES CONSOMMATEURS

Revue des Ingénieurs

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01/03/2023

Auteur : Pascale HEBEL (AgroParisTech INA PG 85) - Elle est spécialiste en modélisation statistique et mène de nombreux travaux de recherche en prospective, en évaluation et analyses sociologiques des tendances de consommation.

 Devant l’incapacité des politiques publiques à modifier un système de production mis en place depuis plus de 70 ans, les consommateurs font des choix de plus en plus radicaux pour leurs aliments. L’utilisation des applications notant la composition des produits mis sur le marché accélère les changements que les industriels doivent prendre en compte


MONTÉE DES PRÉOCCUPATIONS DU ONE HEALTH
En France, à la suite des crises sanitaires qui se sont enchaînées après la crise majeure de la maladie de la vache folle de 1996 : Escherichia coli en 2011, Lactalis en 2017, Buitoni et Ferrero en 2022… les consommateurs ont pris conscience du lien entre alimentation et santé. L’inquiétude vis-à-vis des risques alimentaires a fortement progressé en quelques décennies. Alors qu’en 1995, avant les premières crises de la vache folle, cinquante-trois pour cent des personnes interrogées dans les enquêtes déclaraient que manger comportait un risque important ou très important. Ils sont soixante-quatorze pour cent aujourd’hui. Cette bascule a eu lieu en 2000, au moment de la crise de l’ESB. Un climat de suspicion très important s’est instauré. Les crises ont été accompagnées de la mise en place de politiques de santé publique telles que le Programme National Nutrition Santé qui diffuse de nombreuses recommandations de consommation “Manger 5 fruits et légumes”,  “Limiter les produits trop gras, trop sucrés”. La crise Covid a accentué cette prise de conscience de l’importance de la façon de s’alimenter pour être en bonne santé. Ajoutées à ces inquiétudes vis-à-vis de leur santé, les considérations écologiques et de bien-être animal prennent de l’ampleur. Les citoyens associent les trois dimensions de santé, écologie et bien- être animal. C’est aussi ce qu’on fait l’OMS, l’OIE, la FAO et le PNUE, le 1er décembre 2021 en créant le concept du One Health1 ou une seule santé, approche intégrée et fédératrice qui vise à équilibrer et optimiser durablement la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes. Ce concept reconnaît que les santés des humains, des animaux domestiques et sauvages, des plantes et de l’environnement au sens large (y compris les écosystèmes) sont étroitement liées et interdépendantes.
La prise de conscience par la population du changement climatique et de la diminution de la biodiversité est devenue massive au moment de la reprise économique après la crise sévère de 2008 et a pris de l’ampleur à l’été 2022 avec la sécheresse inédite. En septembre 2022, les consommateurs français sont les plus préoccupés par le changement climatique par rapport aux consommateurs de 27 autres pays2.

 

FOCALISATION SUR LES PRODUITS CHIMIQUES DE SYNTHÈSE
La particularité des consommateurs français dans l’appréhension de la prise en compte de l’action humaine sur l’environnement est de remettre en cause toutes les modifications de la nature par l’homme. Les Français ont massivement rejeté les OGM pour cette raison. Ainsi, par rapport aux Européens, les consommateurs français ont été les premiers à rechercher des produits “sans”. Dès 2010, dans les enquêtes d’Eurostat, les Français perçoivent plus fortement les risques liés aux pesticides et c’est encore le cas en 2022. Globalement, les consommateurs sont depuis 2015, en recherche de produits alimentaires qui ne contiennent pas de produits de chimie de synthèse.

La remise en cause de la domination de l’homme sur la nature, a conduit les consommateurs à rechercher des produits qui soient dans leur imaginaire le plus proche de ce qu’ils considèrent comme naturel. Récemment, les aliments transformés ou ultra-transformés se sont installés dans le débat et l’Anses a été saisie en octobre 2022 par la Direction générale de la santé et par la Direction générale de l’alimentation sur la notion d’aliments dits “ultra-transformés” et leur impact sur la santé. La norme écologique s’est imposée chez les intellectuels et chez les jeunes les plus favorisés. Chacune de ces populations agit à son échelle sous l’impulsion de la médiatisation des dernières découvertes scientifiques sur les impacts écologiques et des inquiétudes vis-à-vis de la santé, quitte à créer une fragmentation dans la population. Les consommateurs les plus inquiets sont surtout les plus diplômés, les cadres, les 55-64 ans, les femmes. Ils sont souvent des leaders d’opinion qui expriment plus fortement leurs craintes. Ils s’imaginent qu’ils vont pouvoir maîtriser le risque alimentaire en consommant différemment. Leur opinion est renforcée par les communications scientifiques liant de plus en plus alimentation et maladies de civilisation (cancer, maladies cardio-vasculaires).

Dans ce contexte, en vingt ans, les représentations d’un aliment de qualité ont fortement évolué : lorsque les consommateurs citaient “le goût” en 2000 pour définir un aliment de qualité, ils répondent à présent “un aliment bio” (voir nuage de mots ci-contre). Cela trouve probablement son origine dans le fait que les peurs les plus mises en avant entre 2007 et 2015 sont celles liées aux pesticides. L’aliment bio associé à la naturalité est celui qui se pare de toutes les vertus et qui rassure les consommateurs. Autre phénomène : l’émergence, depuis une dizaine d’années, du marché de l’éviction avec les produits “sans” et les produits locaux en 2020. Ces nouvelles promesses font concurrence au marché du Bio qui stagne depuis 2021.

AMÉLIORER LA QUALITÉ NUTRITIONNELLE ET SUPPRIMER LES PRODUITS CHIMIQUES
Avec l’arrivée des applications permettant d’avoir de nombreuses informations sur les produits alimentaires, les industriels ont dû modifier leurs recettes. Le fondateur de l’application la plus utilisée, Yuka créée en 2016, était perdu dans la lecture des étiquettes : il a créé une application qui en scannant les produits permet de connaître leur composition et introduit depuis le Nutriscore et l’Ecoscore. Le Nutriscore a été choisi par le ministère de la Santé après la mise en place d’une expérimentation grandeur nature comparant plusieurs étiquetages en 2017. Cet affichage étant volontaire, très peu d’acteurs économiques apposaient cet étiquetage sur les faces avant des produits. Pourtant, avec le développement des applications et des sites de e-commerce, les industriels les plus réticents comme Nestlé ont dû mettre en place l’affichage, leurs produits étaient notés sur les applications et les sites internet. En 2021, 57 % des volumes de produits alimentaires vendus sont étiquetés avec le Nutriscore3. L’impact de Nutriscore a été immédiat sur les ventes, la croissance des produits notés A ou B est de plus de 4 % alors que les autres produits voient leurs ventes diminuer. Les entreprises ont alors été obligées de reformuler leurs produits afin d’améliorer la note de leurs produits, allégeant ainsi les recettes en sels, sucre et matières grasses.

L’équivalent du Nutriscore sur les impacts écologiques n’a toujours pas été mis en place et fait l’objet de nom- breuses évaluations. Pourtant, les applications comme Yuka ou MyLabel en ont mis un en place qui repose sur une base d’impacts déterminée par l’ADEME. Là encore, les entreprises devront améliorer la composition de leurs aliments pour obtenir de meilleures notes.
La classification des produits industriels selon le degré de transformation porte aussi à débat mais est pourtant déjà installée dans toutes les applications.
L’application Yuka a été encore plus innovante en notant les additifs de chaque produit. Cette notation fait débat puisqu’un additif autorisé par l’EFSA n’est pas considéré comme nocif. Pourtant de nombreux distributeurs et industriels ont nettement diminué les additifs mal notés dans l’application Yuka.
La transition numérique accélère les changements là où les acteurs économiques étaient réticents.

 

  • 1- Avis n°90 du Conseil National de l’Alimentation, juillet 2022, Nouveaux comportements alimentaires : propositions d’actions pour une alimentation compatible avec des systèmes alimentaires durables –
    https://bit.ly/Mines518-CNA
    2- Ipsos, What Worries the World? Septembre 2022 –
    https://bit.ly/Mines518-Ipsos
    3- Suivi du Nutrsicore par OQALI, ANSES, 2022 –
    https://bit.ly/Mines518-Oqali
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