Auteur : Hervé Chauris (P93)
Des structures géologiques à des kilomètres de profondeur dévoilent leurs secrets, en l’absence de forages, grâce à l’analyse des ondes élastiques qui traversent le milieu. Des techniques mathématiques comme l’inversion des formes d’ondes sont au cœur des méthodes d’imagerie du sous-sol les plus avancées.
L’imagerie par méthodes géophysiques a de nombreuses applications pour la connaissance du sous-sol, à des échelles et avec des résolutions différentes pour des sites d’intérêt qui se situent à quelques mètres de profondeur en dessous de la surface terrestre pour les études géotechniques, à quelques kilomètres pour la prospection et l’exploitation des ressources naturelles, et à des centaines de kilomètres pour la connaissance de notre globe terrestre4 . Obtenir une image du sous-sol signifie déterminer les propriétés des terrains par l’analyse de signaux émis par des sources et enregistrés par des capteurs en général placés à la surface. Les propriétés intéressantes sont celles qui influencent le phénomène physique mis en jeu, typiquement la propagation des ondes. Dans le cas de l’imagerie sismique, des ondes élastiques sont émises, et les capteurs enregistrent soit des variations de pression, soit des déplacements de particules. Le géophysicien sera intéressé par retrouver les vitesses de propagation des ondes, mais aussi la densité du milieu ou d’autres caractéristiques. La méthode de sismique réflexion occupe une place particulière parmi les méthodes de géophysique appliquées en industrie en raison de son utilisation prépondérante dans l’industrie pétrogazière dès les années 1950.
En effet, cette méthode fournit les images du sous-sol avec la meilleure résolution et a par conséquent bénéficié d’investissements de recherche et développements très importants (de l’ordre de 90% des budgets R&D en géophysique, en proportion avec les budgets opérationnels correspondants).
Bien sûr, les solutions développées initialement pour l’exploration pétrolière trouvent des applications dans d’autres domaines qui utilisent les techniques d’imagerie.
L’INVERSION DES FORMES D’ONDES
Parmi les techniques d’imagerie de pointe, l’inversion des formes d’ondes (ou Full Waveform Inversion en anglais, “FWI”) s’est imposée ces dix dernières années comme l’outil préféré par l’industrie pour résoudre des problèmes d’imagerie très complexes du fait de la géologie des milieux explorés, tout en répondant aux exigences de coûts, de délais et d’échelle pour sa mise en œuvre dans des applications. Regardons plus en détail l’historique et le fonctionnement de cette technique d’imagerie.
Chacun d’entre nous utilise en permanence ces techniques d’imagerie : dès que nous entendons quelque chose, l’oreille, sensible aux variations de pression dans l’air, transmet l’information au cerveau qui va localiser la source du signal. Nos deux oreilles sont précieuses: la différence même subtile des signaux perçus permet – sans s’en rendre compte – d’identifier la direction d’où viennent les signaux. L’intensité nous donnera des informations sur la distance.
En un mot, nos oreilles sont d’excellents capteurs dans une certaine gamme de fréquences, et notre cerveau traite les données pour en tirer des informations pertinentes. Au géophysicien de transcrire cette approche pour caractériser finement le sous-sol.
Le principe général de l’imagerie est, pour des propriétés du sous-sol données, de simuler la propagation des ondes dans ce milieu, et de voir si les données synthétiques sont bien cohérentes avec les données observées. Si ce n’est pas le cas, les propriétés doivent être modifiées pour améliorer le calage. Avant de détailler l’approche, voici quelques éléments généraux importants.1
Tout comme pour nos oreilles, il est essentiel d’avoir plusieurs capteurs. Mieux, il est recommandé de répéter la même expérience pour plusieurs positions de sources différentes. Ainsi, le sous-sol sera traversé par des ondes selon différents angles: le problème d’imagerie sera mieux contraint2 . Une difficulté importante est que les sources et capteurs sont en général à la surface et pas enterrés: l’illumination est donc limitée et la résolution de l’image va décroître avec la profondeur, d’autant plus que les ondes peuvent être atténuées au cours de la propagation.3 Le lien entre données et propriétés du sous-sol est fortement non-linéaire : les données sont enregistrées selon l’axe des temps, alors que les propriétés de la subsurface sont fonction de l’espace.
La figure 1 ci-dessous est un exemple d’optique familier qui illustre la difficulté d’observer et d’étudier des objets lorsque la lumière est fortement déviée (réfractée) en traversant un milieu inhomogène. Par analogie entre ondes lumineuses et ondes sonores réfractées, il est difficile d’étudier des structures géologiques profondes à partir d’observations d’ondes sonores fortement réfractées dans le sous-sol.
Nous continuons notre exposé par un bref historique de la méthode d’“inversion des formes d’onde”. Nous donnons quelques éléments sur la formulation du problème et sa résolution. Nous expliquons pourquoi les applications ne sont pas toujours simples. Enfin, nous discutons du futur de l’inversion des formes d’onde et des domaines de recherche toujours actifs
VISION HISTORIQUE
Nous ferons surtout référence au domaine de l’exploration de la subsurface (imagerie des premiers kilomètres du sous-sol). Le formalisme date des années 50: il s’agit de minimiser l’écart entre des données synthétiques issues d’une modélisation et des données observées.
Les années 60 représentent une période remarquable pour le développement de la méthode de sismique réflexion ; l’acquisition se développe grâce aux progrès en électronique, les données sont numérisées et il y a un formidable foisonnement d’idées pour les traitements numériques sur ordinateur. Des géophysiciens comme Géza Kunetz et Vladimir Baranov, chercheurs à la Compagnie Générale de Géophysique (CGG) et chargés de cours à l’École des Mines de Paris, développent des méthodes de calculs de données synthétiques et plus tard des méthodes d’inversions de formes d’ondes pour des milieux stratifiés (hypothèse de variations de paramètres uniquement en fonction de la profondeur). Ces géophysiciens font le lien entre la période des pionniers de la géophysique appliquée tels les frères Schlumberger, dont ils étaient disciples et collaborateurs, et la période moderne à partir des années 80. Kunetz est l’un des premiers à recevoir le prix Conrad Schlumberger pour ses recherches en inversion de données de réflexions sismiques. Son approche d’inversion, une alternative aux méthodes FWI de type itératif, est considérée comme précurseur à des méthodes d’inversion modernes, récemment généralisées à des milieux à trois dimensions,7. Fermons cette parenthèse sur les années 60, et revenons aux méthodes d’inversion où les données synthétiques sont obtenues comme solution d’une équation différentielle (e.g. propagation des ondes) dont les coefficients (e.g. vitesse, densité…) sont à ajuster afin d’obtenir une bonne cohérence entre données observées et données synthétiques, comme mentionné précédemment. Le lien entre les problèmes inverses en sismique et la théorie du contrôle, en particulier de systèmes gouvernés par des équations aux dérivées partielles, est faite dans les années 70 par des chercheurs comme Alain Bamberger et Guy Chavent, qui travaillaient à l’École Polytechnique et à l’INRIA. Dans les années 80, Albert Tarantola de l’IPGP et Patrick Lailly de l’IFP Énergies Nouvelles ont montré comment remettre à jour efficacement les paramètres comme le champ de vitesse8,6. À partir d’un champ initial, la vitesse est progressivement mise à jour jusqu’à obtenir un bon calage des données.
À cette époque, les applications étaient très limitées en raison des faibles puissances de calcul. De nouvelles perspectives sont apparues dans les années 2000, avec une meilleure compréhension du rôle joué par les fréquences dans la FWI. En effet, il s’agit de minimiser l’écart entre des données synthétiques et observées. Toutes deux sont oscillantes (données à bande passante limitée) et il se peut que le calage des données se fasse sur la mauvaise phase. L’idée est donc d’analyser dans un premier temps les très basses fréquences, de construire un champ initial de vitesse qui assure un premier calage, puis d’introduire progressivement des fréquences de plus en plus hautes pour affiner la solution. Cette approche de “continuation en fréquences” est essentielle pour la mise en œuvre pratique de l’inversion des formes d’onde. Sans cela, l’approche pourrait converger vers un minimum local de la fonction de coût, menant à un résultat sous-optimal de l’inversion. Notons que la qualité des basses fréquences est donc importante et a conduit à effectuer des recherches sur les sources actives pour mieux contrôler ces basses fréquences, même si elles ne servent que d’intermédiaires dans la chaîne du traitement. Depuis les années 2000, la FWI est appliquée en 3D, pour des fréquences finales plus élevées (pour une meilleure résolution) et dans des milieux plus
LES APPLICATIONS
Les applications les plus spectaculaires sont peut-être celles obtenues dans le domaine de l’exploration pétrolière, grâce aux moyens mis en œuvre pour déployer des sources et capteurs denses, avec typiquement plusieurs milliers de positions de sources et de récepteurs par km2 sur des centaines de km2 . La puissance de calcul requise est également très importante, i.e. plusieurs semaines de calcul sur un gros cluster de calculs de type industriel. Le coût sera d’autant plus élevé que les fréquences utilisées seront hautes (typiquement le coût est proportionnel à la puissance de la fréquence : doubler la fréquence coûtera donc 16 fois plus cher). À ces échelles, les applications concernent le stockage de CO2 dans le sous-sol et son suivi au cours du temps, la caractérisation des ressources pétrolières, mais aussi potentiellement les domaines de la mine, de la géothermie, de l’hydrogéologie. Par exemple, en plaçant des capteurs sur le fond de l’eau, il est possible d’imager des chenaux (en blanc sur la figure 2b) ainsi que la présence de gaz (en noir sur la figure 2d) et même de voir comment le gaz diffuse le long de failles. À noter que les parties grisées externes ne sont pas illuminées par les ondes. Les images détaillées 2b et 2d ont été obtenues en améliorant les images initiales 2a et 2c par inversion des formes d’ondes. Revenant à l’exemple d’optique de la figure 1, nous pouvons spéculer qu’une méthode d’inversion disposant de prises de vues multiples et de la connaissance des lois de propagation de la lumière serait capable de reconstituer une image des crayons dans le verre d’eau sans distorsions, comme s’ils étaient observés dans l’air. À une plus grande échelle d’espace, la sismologie détermine des champs de vitesse régionaux et globaux, ainsi que les failles liées aux séismes et la caractérisation des mécanismes au foyer2 .
LE FUTUR
Pour conclure, nous indiquons ici un certain nombre de perspectives liées à des activités de recherche encore actives aujourd’hui. Tout d’abord, le “full” en anglais dans “Full Waveform Inversion” indique bien que la méthode considère le champ d’ondes complet, mais en pratique, on procédera en plusieurs étapes dans le but de réduire les coûts de calculs. Ainsi, on fera une inversion élastique uniquement pour les ondes de surface qui se propagent dans une couche relativement mince près de la surface, puis on fera une inversion acoustique pour les ondes qui se propagent à plusieurs kilomètres de profondeur. Un prétraitement des données est donc nécessaire, en fonction de l’objectif visé, mais aussi en fonction de la physique considérée. Cette phase peut être compliquée en pratique car elle demande une interprétation parfois fine des données. Si plusieurs classes de paramètres sont recherchées en même temps (e.g. vitesse, densité, atténuation, anisotropie), alors il sera difficile de s’affranchir du couplage intrinsèque qui lie les paramètres, en particulier pour des acquisitions limitées. Selon les régularisations apportées, la FWI fournira plusieurs solutions avec un bon calage des données, mais toutes n’auront pas un sens géologique. Pour des raisons de coûts de calcul, les méthodes déterministes sont principalement utilisées pour l’imagerie.
Ces approches ne donnent pas les incertitudes sur les paramètres retrouvés. C’est pourtant une question majeure à laquelle le géophysicien ne sait pas bien répondre pour des jeux de données de grande taille. La méthode d’inversion des formes d’onde est une méthode quantitative qui fournit bien une image d’un champ de vitesse en m/s et pas seulement la structure des contrastes. Mais des valeurs de vitesse et de densité ne suffisent pas pour donner la nature de la roche ! Les liens entre imagerie sismique et physique des roches et géomécanique restent un sujet de recherche. Pour aller plus loin, des données complémentaires sont nécessaires, comme des données de puits avec prélèvement d’échantillons. Enfin, l’inversion des formes d’onde pourrait être appliquée bien plus largement: le domaine de la mine est un premier exemple, avec les objectifs de caractériser le milieu mais aussi de suivre son évolution au cours du temps (propriétés et séismicité).
Dans ce cas, il est possible de placer des capteurs en profondeur et donc d’avoir une illumination complémentaire. Le domaine de l’inspection des murs et canalisations, par l’analyse des ondes élastiques, avec des applications autour des centrales nucléaires est autre un enjeu majeur. Là encore, l’inversion des formes d’onde n’a pas encore développé tout son potentiel. L’une des raisons est la difficulté pratique de mise en place de la méthode, avec le prétraitement adapté à chaque jeu de données. Au-delà des géosciences, l’approche FWI pourrait trouver des applications en imagerie médicale par ultrasons1 .
Pour revenir à la comparaison initiale, nos deux oreilles donnent des informations sur la localisation des sons émis, mais surtout les données sont traitées en temps réel. Ce n’est absolument pas le cas dans les applications classiques d’inversion de formes d’onde. Est-ce que l’intelligence artificielle et ses réseaux de neurones vont permettre de faire des progrès pour les problèmes d’imagerie de volumes ? Comment utiliser au mieux et conjointement les méthodes FWI basées sur la physique et celles de l’intelligence artificielle basées plutôt sur les statistiques ? Ce sont des questions à la pointe de la recherche actuelle. À suivre…
1- Bates, O., Guasch, L., Strong, G., Robins, T. C., Calderon-Agudo, O., Cueto, C., Javier Cudeiro, J., and M. Tang, 2022, A probabilistic approach to tomography and adjoint state methods, with an application to full waveform inversion in medical ultrasound, Inverse Problems, 38 – doi : https://bit.ly/Mines519-fwi1
2- Courtillot, V., 2009, Nouveau Voyage au centre de la Terre, Odile Jacob, voir chapitre 9, Imager les profondeurs, pp 347-357
3- Fichtner, A., 2010. Full Seismic Waveform Modelling and Inversion, Springer Verlag
4- Goguel, J., 1971, Géophysique, dans Encyclopédie de la Pléiade, Gallimard
5- Kunetz, G., 1961, Essai d’analyse de traces sismiques, Geophysical Prospecting, 9. doi : https://bit.ly/Mines519-fwi2
6- Lailly, P., 1983. The seismic inverse problem as a sequence of before-stack migrations, in J. Bednar, ed., Conference on inverse scattering: Theory and application: Society for Industrial and Applied Mathematics, 206–220.
7- Slob, E., Wapenaar, K., Treitel, S., 2020, Tutorial: unified 1D inversion of the acoustic reflection response: Geophysical Prospecting, 68. doi :
8- Tarantola, A., 1984. Inversion of seismic reflection data in the acoustic approximation: Geophysics, 49(8), 1259–1266, doi: https://bit.ly/Mines519-fwi4 9- Tromp, J. , 2020, Seismic wavefield imaging of Earth’s interior across scales. Nat Rev Earth Environ 1, 40–53 (2020). doi : https://bit.ly/Mines519-fwi5 10- Virieux J. and S. Operto, 2009. An overview of full waveform inversion in exploration geophysics: Geophysics 74(6), WCC1–WCC26, doi : https://bit.ly/Mines519-fwi6
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