L’IA APPLIQUÉE À L’OPTIMISATION DE LA MAINTENANCE INDUSTRIELLE
Auteur : Aymeric PRÉVERAL - ETCHEVERRY (P 2009 ICiv)
Industrie 4.0 et intelligence artificielle suscitent autant d’attentes fortes que de scepticisme. Pourtant, des usages concrets de l’IA se développent depuis plusieurs années dans le monde industriel. Les données disponibles et applications visées en usine permettent d’expliquer ces succès, qui doivent cependant surmonter des obstacles techniques réels.
L’apprentissage artificiel permet, par l’utilisation d’une base de données historique, d’entraîner un algorithme à effectuer une tâche cognitive. Dans le monde industriel, il s’agit principalement de détecter des pannes et d’optimiser les conditions de production. Cela permet par exemple de détecter une pompe défaillante, d’identifier un four dont la température n’est pas optimale ou d’alerter lorsqu’un défaut apparaît sur une ligne de production. Pour réussir cet entraînement, il est en général nécessaire que cette tâche soit suffisamment répétitive pour que l’algorithme puisse apprendre des motifs accessibles dans le jeu d’apprentissage. Ainsi, plus le jeu de données d’apprentissage est riche, volumineux et représentatif, plus l’apprentissage est précis et efficace. Or, pour toutes les actions liées à l’optimisation de la production, à l’amélioration de la durée de vie des équipements ou encore à la réduction des risques industriels, il existe souvent des bases de données conséquentes en usine. L’optimisation de l’efficacité industrielle est par conséquent un cas d’application propice à l’utilisation des algorithmes d’apprentissage artificiel.
LA MAINTENANCE PRÉDICTIVE, UN CAS D’APPLICATION SÉDUISANT
En particulier, la maintenance des équipements industriels est un cas d’utilisation sur lequel ces méthodes ont déjà prouvé leur efficacité. La maintenance industrielle consiste en un ensemble d’actions normées qui permet soit d’éviter l’occurrence de pannes (maintenance préventive), soit de réparer une machine défaillante (corrective). Ces deux maintenances ont un coût important pour les entreprises industrielles. S’il est évident qu’une machine en panne coûte cher car elle empêche la production, il ne faut pas négliger la mise en place d’actions préventives qui génèrent beaucoup d’activités pour les équipes de maintenance, nécessitant également parfois d’arrêter l’installation industrielle. Lubrifier, nettoyer, vérifier l’étanchéité ou la corrosion, corriger des réglages, etc. sont autant de tâches que les équipes de maintenance effectuent régulièrement pour éviter une casse. Face à ce constat, il a été rapidement identifié qu’une meilleure utilisation des données disponibles sur ces équipements permettrait de détecter, en amont, les signaux faibles des machines défaillantes. Basée sur des techniques d’analyse de données et d’apprentissage artificiel, cette maintenance dite prédictive doit permettre d’anticiper la casse, et donc, de mieux planifier les interventions de maintenance. Cela réduit à la fois la maintenance corrective (évitée), et la maintenance préventive (mieux planifiée).
Pour cela, deux sources de données principales sont nécessaires. Il s’agit d’une part de l’historique des pannes et des interventions de maintenance sur l’équipement, et d’autre part de l’ensemble des données générées par la machine ou par les capteurs disposés dans ou autour de la machine – comme des pressions, des températures, des temps de réponse ou des débits ; ces dernières données représentant l’état de la machine au cours du temps. Ces deux historiques de données sont fournis conjointement au modèle d’apprentissage. Le modèle apprend les corrélations existantes entre l’occurrence d’une panne et l’état de la machine dans les heures, les jours ou les semaines qui ont précédé la panne, tout en prenant en compte les interventions de maintenance associées. Pour prendre un exemple simple, l’encrassement d’un filtre est constaté par l’augmentation du delta de pression entre l’amont et l’aval du filtre (puisque le fluide circule moins bien). Par conséquent, lorsqu’on entraîne un modèle pour aider à la maintenance des filtres, le modèle devrait repérer dans l’historique des données qu’une opération de changement de filtre est le plus souvent précédée de cette augmentation du delta de pression autour du filtre. Ensuite, une fois entraîné et mis en opération, le modèle pourra ainsi détecter que le même phénomène d’encrassement est en train d’avoir lieu et qu’il faut alerter le technicien de maintenance qu’un changement de filtre est nécessaire. Dans ce cas théorique, il n’est plus nécessaire de remplacer préventivement le filtre. En effet, le modèle détectera le moment opportun pour le remplacer, limitant l’indisponibilité de l’équipement et allongeant la durée d’utilisation du filtre.
Au-delà de ces grandes catégories de méthodes de maintenance (préventive, corrective, prédictive), d’autres stratégies se développent plus rapidement, grâce à une disponibilité accrue des données industrielles. On pourra, par exemple, citer la Condition-based Maintenance (maintenance conditionnelle) ou la Reliability-Centered Maintenance (maintenance basée sur la fiabilité). Comme pour la maintenance prédictive, ces méthodes ne supposent pas de plan a priori mais conditionnent les opérations de maintenance à l’état des équipements et au contexte dans lequel ils évoluent. Même si, contrairement à la maintenance prédictive, ces méthodes ne visent pas à donner des recommandations d’actions futures, elles permettent de mieux déterminer les actions à mener dans le présent, sur la base des actions et des états passés. L’implémentation de ces approches est donc également conditionnée par une très bonne continuité digitale, permettant un accès unifié aux données provenant des machines elles-mêmes et des historiques de maintenance.
DE LA THÉORIE À LA MISE EN OEUVRE, UN CHEMIN PARFOIS SINUEUX
Cependant, ce cas théorique souffre souvent de difficultés concrètes de mise en application. Les difficultés majeures proviennent de la cohérence, de la qualité et de la disponibilité des données.
Afin de mettre en corrélation les données des machines avec l’historique des opérations de maintenance, il faut que l’horodatage de ces deux bases de données soit bien synchronisé. Or, les bases de données de maintenance (les GMAO) n’ont pas été utilisées historiquement pour dater précisément, à la minute près, les opérations de maintenance. Il est donc nécessaire pour bien faire fonctionner ce type de modèle de recaler les données pour que celui-ci puisse identifier des corrélations cohérentes. Ensuite, une opération de maintenance mal catégorisée ou mal décrite dans la base de données de maintenance peut induire le modèle en erreur. De même, les problèmes de qualité peuvent affecter les données des machines. Les capteurs peuvent être mal calibrés, bloqués sur une valeur historique (freezé) ou alors produire des signaux très “bruités” (c’est-à-dire encombrés de signaux parasites). Si ces problèmes de qualité sont corrigeables avec des algorithmes plus complexes et bien conçus en amont, ils peuvent en revanche être rédhibitoires pour le fonctionnement d’algorithmes trop simples et naïfs.
Enfin, il est certain que ces algorithmes doivent disposer d’un jeu de données historiques, a minima, de plusieurs semaines à plusieurs mois pour être correctement entraînés. Ceci pose des contraintes importantes. D’abord, certains sites industriels ne disposent pas de logiciels dédiés pour gérer les données de maintenance, qui peuvent alors être difficilement exploitables. Mais la difficulté réside principalement sur les données des machines. Certaines machines n’ont pas de capteurs, il est donc nécessaire de penser une stratégie d’instrumentation pour récupérer les bonnes données, par exemple des capteurs de température ou de vibration. Des capteurs IoT peuvent désormais être installés très rapidement sur les machines, mais ceux-ci complexifient les projets avec une phase d’installation matérielle.
Au-delà, même lorsqu’elles existent, les données des machines ne sont pas toujours collectées, ou bien elles sont stockées sur le réseau informatique de l’usine mais difficilement accessibles ; ceci limite fortement la capacité à les utiliser pour de la maintenance prédictive. Là encore, il est essentiel de planifier correctement le projet, puisque des solutions existent pour éviter ces écueils. Par exemple, l’utilisation de technologies d’Edge Analytics, c’est-à-dire l’implémentation de la solution à proximité des équipements industriels et non pas dans le cloud, permet de relocaliser l’algorithme au coeur des usines afin de dépasser ces problèmes de disponibilité des données et de cybersécurité.
L’optimisation du tri-bagage de l’aéroport Charles de Gaulle s’appuie sur la maintenance prédictive _ Photo : DR
PLUSIEURS ANNÉES DE RETOUR D’EXPÉRIENCE SUR LE TERRAIN POUR ÉVITER LES PIÈGES
Des succès concrets ont pu être mis en place ces dernières années grâce à une stratégie de collecte des données anticipée, le bon choix du modèle et une stratégie de déploiement compatible avec les contraintes informatiques de l’usine.
Par exemple, la SNCF a démontré comment une meilleure utilisation des données des escalators en gare permettait d’anticiper leur casse et ainsi en augmenter la disponibilité pour les voyageurs, dans le cadre du programme Data City coorganisé avec la Mairie de Paris1. Total a appliqué avec succès ces méthodes sur la détection de défaillances des pompes installées au fond des puits, afin d’anticiper les casses et réduire les temps d’indisponibilité2.
De même, on peut également citer Aéroport de Paris qui a bénéficié de ces technologies pour la maintenance du système de tri des bagages de Charles de Gaulle3. En effet, constitué de plusieurs dizaines de kilomètres de tapis roulant, sous les pistes de l’aéroport, le système de tri bagage est une installation industrielle critique qui permet à l’aéroport d’assurer le transfert des bagages des avions en transit, dans un temps toujours plus court. Il s’agit de plusieurs centaines de machines, telles que des convoyeurs et des trieurs dont la maintenance nécessite une attention permanente, surtout pendant les périodes chargées des congés scolaires. L’assistance de l’IA permet aux équipes de l’aéroport de focaliser leurs efforts sur les zones les plus à risque et ainsi maximiser l’impact de leurs interventions.
Pour mettre en place cette solution, l’historique des données des machines (compteurs de bagages, données moteurs, etc.) a été croisé avec les informations sur les interventions de maintenance stockées dans la base de données de maintenance. Ces données ont ensuite été fournies à l’algorithme afin qu’il apprenne à reconnaître les corrélations entre une intervention de maintenance et l’évolution de l’état de la machine dans les jours précédents. Une fois entraîné, cet algorithme a été déployé dans le système informatique de l’aéroport afin d’analyser, en temps réel, les nouvelles données des machines et ainsi y détecter des motifs similaires à ceux visibles dans le jeu de données d’apprentissage et pouvant être précurseurs de possibles pannes.
Enfin, Suez a réussi à améliorer drastiquement la qualité et la rapidité de son service de maintenance des canalisations grâce à une intelligence artificielle qui détecte automatiquement les dégradations du réseau, à partir de vidéos prises par des drones4.
Dans l’ensemble de ces projets, le développement et l’entraînement du modèle ont été intégrés dans des projets conçus pour la mise en oeuvre d’une solution opérationnelle, incluant également les experts métiers, l’information et le management opérationnel du site industriel. Cette collaboration étroite et coordonnée a permis de réussir la mise en opérations de ces technologies dans des environnements aussi divers qu’exigeants.
LA MAINTENANCE PRÉDICTIVE, UNE VALEUR SÛRE DANS UNE STRATÉGIE 4.0
Dans les cas réels observés, si elle ne permet pas d’éviter entièrement les activités de maintenance traditionnelle, la maintenance prédictive permet tout de même d’en réduire la fréquence et la charge associée. Cependant, pour réussir ces projets, il est nécessaire de planifier l’ensemble des tâches depuis la collecte des données jusqu’à la mise en production du modèle. Correctement appliquée, cette méthodologie permet de drastiquement améliorer l’efficacité des sites industriels et, ainsi, de rendre très concrets sur le terrain les bénéfices de l’Industrie 4.0.
AYMERIC PRÉVERAL-ETCHEVERRY (P09), co-fondateur, FieldBox.ai – aymeric.preveral-etcheverry@mines-paris.org
1. Le projet Smart Escalator du challenge DataCity : http://bit.ly/Mines511-7
2. détection de défaillances des pompes chez Total : http://bit.ly/Mines511-8
3. ADP et la maintenance prédictive : http://bit.ly/Mines511-9
4. Suez et la maintenance des canalisations par l’IA et des drones : http://bit.ly/Mines511-10

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