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L'ENTREPRISE ADAPTÉE , MOYEN D'INSERTION PROFESSIONNELLE

Revue des Ingénieurs

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20/09/2022

Auteur : Pascale EYMERY (P 1986 ICiv)

Comment notre société peut-elle devenir davantage inclusive, comment peut-elle cesser de laisser sur le bord du chemin tant de gens qu’on ne remarque pas?

Fin 2021, le taux le taux de chômage des personnes en situation de handicap atteint 14 %, contre 8 % tout public (il était de 18 % en 2018, et 9 % en tout public)1. Un tel écart montre bien que la différence que constitue un handicap est un réel obstacle à l’insertion professionnelle. Or l’obtention de la Reconnaissance de la Qualité de Travail- leur Handicapé (RQTH), délivrée par les Maisons Départementales pour les personnes Handicapées (MDPH), est une double reconnaissance : que la personne a la capacité de travailler et qu’elle a un handicap reconnu. Ces handicaps sont souvent invisibles, diversifiés, tandis que l’on comprend désormais davantage de situations comme des handicaps: différences cognitives, psychiques, sensorielles, troubles du spectre autistique, troubles DYS (ou troubles spécifiques du langage et des apprentissages), troubles musculosquelettiques, séquelles de burn-out, de cancers, diabètes sévères… Certaines de ces situations sont présentes dès la naissance , tandis que beaucoup d’autres surviennent au cours de la vie, conséquences de conditions de travail, de maladies, d’accidents, ou bien finissent par être diagnostiquées tardivement après bien des difficultés personnelles et professionnelles.

Les Pouvoirs Publics incitent par la loi les entreprises à recruter 6 % au moins de leurs collaborateurs parmi des personnes titulaires de la RQTH, sous peine de pénalités. Mais la majorité d’entre elles n’atteignent pas cet objectif. Est alors encouragée une part des achats de biens et de services auprès d’organisations dont la vocation est d’inclure des personnes en situation de handicap. Ces organisations sont, d’une part les Établissements et Services d’Aide par le Travail (ESAT2) qui relèvent du secteur médico-social pour les personnes dont le handicap ne permet pas d’honorer un contrat de travail, et d’autre part, moins connues, les Entreprises Adaptées3 dans les- quelles les collaborateurs bénéficient d’un contrat de travail et des conventions collectives de droit commun.

 

 

DIMENSIONS SOCIALE ET ENTREPRENEURIALE

L’YMCA de Colomiers est un groupe associatif localisé près de Toulouse, qui a créé un ESAT pour 320 personnes en situation de handicap et une entreprise adaptée de 300 collaborateurs, dont 75 % avec handicap. Mais que fait là la grande institution mondiale et multiséculaire YMCA, que chacun connaît par la chanson ? L’histoire remonte à la guerre civile d’Espagne, après laquelle il a fallu trouver des solutions pour les invalides exilés à Toulouse. Puis cette expérience de solidarité s’est prolongée avec le développement de l’aéronautique et spéciale- ment d’Airbus, avec une longue tradition de support par la sous-traitance dans les ateliers de l’association.

Depuis novembre 2021, m’a été confiée la direction générale d’YMCA Services Occitanie, SAS détenue majoritairement par l’association. Il s’agit d’une entreprise adaptée de prestations de services, réalisant, pour l’aéronautique et d’autres secteurs, des prestations de logistique, de sous-traitance de production, d’entretiens d’espaces paysagers et des prestations tertiaires. C’est un travail vraiment passionnant, qui réunit à la fois une dimension sociale et une dimension entrepreneuriale. Il y a la dimension sociale d’abord, car la vocation de l’entreprise est d’inclure des personnes éloignées de l’emploi, souvent depuis longtemps, en leur offrant un poste qui convient le mieux possible à leurs aspirations et à leurs aptitudes, moyennant parfois des reconversions professionnelles et des formations dans de nouveaux domaines.

Nous offrons un accompagnement social et psychologique à chacun autant que de besoin, tout au long de sa carrière. Et il y a une dimension entrepreneuriale, qui consiste à élaborer des stratégies permettant le développement de l’entreprise dans des activités les plus appropriées possibles pour les personnes que nous souhaitons insérer, en nouant des contrats avec des clients qui partagent avec nous l’objectif social, et aussi des objectifs de per- formance. Qualité, délais et coûts sont nécessairement au rendez-vous dans des filières exigeantes comme l’aéronautique.

DE BELLES HISTOIRES

Les résultats que nous obtenons sont très encourageants, avec de belles histoires personnelles : sorties d’années de galère difficile, emploi retrouvé après des années d’éloignement de la vie professionnelle, reconversion réussie dans de nouveaux métiers épanouissants, vies d’équipes où chacun s’entraide par ses talents et ses différences. Bien souvent, l’engagement et l’implication des collaborateurs sont très forts : solidarité, travail de qualité, sens du service. Ce sont nos clients qui nous le disent et soulignent bien souvent cette impression auprès de nos équipes. Nos clients sont de grands acteurs de l’aéronautique comme Airbus, mais aussi des startups et des entreprises en développement, qui ont trouvé bien des avantages à faire appel à nous pour externaliser leur usine de production dans nos sites ou pour piloter certaines de leurs lignes et installations au sein de leurs établissements. Une personne peut être durablement employée par l’entreprise adaptée, ou bien peut y rester le temps d’une remise en selle, d’une reconversion, pour rebondir ailleurs ensuite. C’est le sens des « contrats tremplins » mis en place dans la loi de 2018, offerts aux personnes qui ont besoin de ce dispositif le temps d’une reconversion professionnelle ou d’un retour à l’emploi après des années.

POURQUOI CE CHOIX?

Qu’est-ce qui m’a amenée à faire ce choix, après une carrière classique en grandes entreprises ? La recherche d’un sens éthique et social pour la dernière partie de ma vie professionnelle, après une vie riche professionnellement, mais pour laquelle il me manquait quelque chose. Et je ne suis pas la seule à faire ce choix : plusieurs de mes collaborateurs ont fait de grandes écoles qui pourraient les conduire à des carrières très diverses, mais ils ont choisi de rejoindre l’aventure de l’entrepreneuriat social dans l’entreprise adaptée, pour mettre leurs talents au service de l’inclusion de tous. Est-on préparé à vivre l’expérience de l’entreprise inclusive en sortant de grande école ? D’un côté, on pourrait voir une forme de contra- diction avec l’élitisme et le sens de la performance poussée, mais de l’autre, on peut remarquer que beaucoup d’élèves, depuis bien des décennies et des promotions successives, sont préoccupés d’actions de solidarité dès l’école et agissent dans quantités d’associations caritatives, sociales, environnementales… Et de plus en plus, les jeunes cherchent à privilégier un sens humain et solidaire, plutôt qu’une réussite de carrière selon les critères qui prévalaient davantage autrefois. Peut-être cette ouverture pourrait-elle dès lors être accompagnée par les programmes des enseignements en école, pour une préparation de ceux qui le désirent à l’aventure de l’entrepreneuriat social.

UNE RÉELLE ATTENTION À CHACUN

Une formation et une certification comme coach m’ont personnellement aidée en complétant mon expérience managériale et entrepreneuriale par l’expérience de l’accompagnement. Car accompagner est une des clés dans l’entreprise inclusive : accompagner les collaborateurs et aussi les managers qui ont besoin de parler de ce qu’ils vivent. C’est en effet là que se joue peut-être la plus grande particularité de l’entreprise adaptée : cette exigence d’écoute et de bienveillance à tous niveaux. Car si on ne sait pas assez les offrir aux managers de proximité, comment attendre qu’ils l’offrent aux collaborateurs de terrain ? Or une inclusion réussie passe par une réelle attention à chacun, dans la diversité des situations dans la vie et dans l’entreprise.

Mais toute entreprise n’a-t-elle pas besoin de cultiver l’écoute et la bienveillance envers ses équipes? C’est en cela que les entreprises adaptées, quand elles y réussissent, peuvent servir de prototypes où s’inventent de nouvelles relations au travail : quand la fragilité et les différences, loin de devoir se cacher derrière un masque, peuvent devenir des atouts pour davantage d’inventivité, de solidarité et de confiance. 

1- Source : sur handicap.gouv.fr – https://bit.ly/Mines517-handicap

2- Anciennement CAT avant la loi handicap de 2005.

3- Les Entreprises Adaptées ont été instituées par la loi de 2005, qui a profondément transformé ce qu’on appelait avant les Ateliers Protégés.

 

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