Auteur : Alain LE ROY (P 1973 ICiv)
EXPOSÉ D’ALAIN LEROY (P73) : DE LA “PETITE RUSSIE”…
Alain Le Roy a commencé par rappeler des faits historiques relatifs à la formation de l’État ukrainien et aux événements ayant conduit à la guerre actuelle. Au IXe siècle les Vikings fondèrent le Rus (mot viking) de Kiev. Il s’étendait jusqu’au golfe de Finlande. Un autre peuple scandinave, les Varègues, s’ins- talla dans la région. Vers l’an mille, cet Etat s’associa à l’Empire byzantin. Au XIIIe siècle les Mongols envahirent presque tout le Rus qu’ils ne quittèrent qu’à la fin du XVe ; l’ouest du Rus appartenait à un état polono-lithuanien qui donna naissance à la Pologne. La Grande-Principauté de Moscou était un état tributaire des Mongols. Au XVIIIe siècle, Catherine II conquit le sud de l’actuelle Ukraine sur les Tatars, peuple turco-mongol. L’Ukraine devint alors la Petite Russie, une des “trois Russies”, les deux autres étant la Grande Russie, celle de Moscou, et la Russie blanche, la Biélorussie.
En 1918 fut créée une République populaire d’Ukraine qui resta indépendante jusqu’en 1921, date à laquelle elle fut incorporée à l’Union soviétique. En 1932/1933, afin de réprimer des aspirations autonomistes et l’opposition aux réquisitions de récoltes, Staline organisa une grande famine, appelée Holo- domor par les Ukrainiens, qui causa entre trois et cinq millions de morts. En 1986 survint l’accident nucléaire de Tchernobyl, qui causa entre 2 000 et 4000 décès.
… À L’INDÉPENDANCE
En 1991, lors de la dislocation de l’URSS, l’Ukraine devint indépendante. Il est à noter que, par référendum, les districts de Donetsk et de Louhansk approuvèrent à plus de 80 % l’indépendance vis- à-vis de la Russie.
En décembre 1994, en application du mémorandum de Budapest signé par les présidents des États-Unis, de la Russie et de l’Ukraine, cette dernière remit à la Russie ses ogives nucléaires en échange de garanties sur sa sécurité. La Russie prit en particulier l’engagement de respecter l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine et de ne jamais recourir contre elle à la force ou à la menace.
En novembre 2004 la révolution Orange chassa du pouvoir le président prorusse Victor Ianoukovitch, alors nouvellement élu et accusé de fraudes massives. En février 2014, une nouvelle révolution, dite de Maïdan, renversa Victor Ianou- kovitch, qui était revenu au pouvoir parce qu’il refusait un rapprochement avec l’Union européenne (UE).
Sous l’influence russe, y compris en présence de militaires russes, la partie pro- russe de la Crimée organisa en mars 2014 un référendum, non autorisé par Kiev, qui donna une écrasante majorité en faveur de du rattachement à la Russie. L’Assemblée générale de l’ONU, par un vote à une très large majorité, déclara aussitôt ce référendum non valide et affirma que la Crimée restait “de jure” un territoire ukrainien.
Au même moment commença un conflit armé dans le Donbass entre les séparatistes prorusses et le nouveau régime ukrainien qu’ils refusaient de reconnaître. Par les accords de Minsk de décembre 2014 et février 2015, signés sous l’égide de l’OSCE1, l’Ukraine s’engagea à reconnaître la spécificité des districts de Donetsk et de Louhansk et à y mettre en œuvre un statut spécial, et la partie prorusse s’engagea à procéder au retrait de toutes les formations armées illicites ainsi qu’au matériel militaire illicite. Aucune des deux parties ne respecta sérieusement ces accords.
LA GUERRE
Puis à partir du 24 février 2022 commença l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à laquelle l’UE et les États-Unis, notamment, ont répondu par des sanctions fortes à l’égard de la Russie et l’envoi d’armes aux Ukrainiens.
Parmi les conséquences de cette guerre, on peut déjà citer, en plus des milliers de morts des deux côtés, des millions de réfugiés ukrainiens, des destructions immenses et des pénuries énergétiques (voir l’exposé de Céline Bayou):
- Des pénuries alimentaires, qui peuvent créer de graves problèmes à de nombreux pays, notamment en
- Une forte poussée de l’inflation mondiale et un risque de
- Compte tenu du non-respect par la Russie de ses engagements pris par le mémorandum de Budapest de 1994, l’invalidation de l’argument des garanties de sécurité en faveur de pays qui renonceraient à se doter de l’arme nucléaire, ce qui ne peut que renforcer l’attitude de pays comme la Corée du Nord ou l’Iran.
- Un renforcement de l’OTAN, avec les demandes d’adhésion de la Finlande et de la Suède.
- Une augmentation substantielle des émissions de CO2 due au remplacement progressif du gaz russe (fourni par gazoduc) par du GNL, en raison de son mode de transport ou de son mode de production (gaz de schiste américain), voire par un recours accru au charbon, comme en Allemagne.
Parmi les incertitudes sur les évolutions futures, on peut citer, outre les interrogations sur la durée et l’issue du conflit :
- Le risque que l’UE ne reste pas aussi unie qu’elle l’a été jusqu’à présent, des pays comme la Hongrie ayant des réticences de plus en plus marquées, notamment à l’égard des
- Le rôle futur de la Russie (État paria disposant de 3000 têtes nucléaires…) dans les enceintes internationales et ses rapports avec l'UE.
EXPOSÉ DE CÉLINE BAYOU : LA “MALÉDICTION DES MATIÈRES PREMIÈRES”
On a coutume de dire que la puissance de la Russie repose sur l’arme nucléaire et sur le gaz. Selon les années, entre 30 et 40 % des importations communautaires de gaz viennent de Russie. Les vastes ressources d’hydrocarbures de la Russie la vouent à la malédiction des matières premières, car elles n’incitent pas au développement d’une économie diversifiée.
Le prix du gaz est indexé sur celui du baril de pétrole. Il faut qu’il soit à 95 $ pour que la Russie équilibre son budget. Avant la guerre d’Ukraine, la reprise économique post-covid a créé un brus- que surcroît de la demande de gaz, difficile à satisfaire. En septembre et octobre 2021, la Russie a livré les quantités contractuelles, sans plus. Les sommets semestriels UE-Russie instaurés dans les années 1990 ne débouchaient sur rien de vraiment important. En 2000, au terme de l’un d’eux, le communiqué a fait état de grandes perspectives de coopération. Il s’est avéré qu’il s’agissait principalement du gaz. Poutine a toujours affirmé que la Russie était un fournisseur de gaz fiable. Elle préfère les contrats de fourniture à long terme qui garantissent les revenus et la rentabilité des investissements.
Jusqu’aux années 2000, 80 % du gaz russe livré à l’UE transitait par l’Ukraine2. La Russie a voulu la contourner :
- Le gazoduc Yamal, dont la construction a commencé en 1994, a atteint une capacité de 33 Gm3 par an en 2006. Il aboutit en Allemagne après avoir traversé la Biélorussie et la pologne.
- Nordstream, entré en service en 2012, posé au fond de la mer Baltique, a une capacité de 55 Gm3 par an et va de Vyborg, près de la frontière finlandaise, jusqu’en Allemagne .
- Turkstream, qui fonctionne depuis 2020, part du nord-est de la mer Noire et arrive en Turquie d’Europe. Il a une capacité de 32 Gm3 / an, dont la moitié destinée aux Balkans et à l’Europe centrale.
- Bluestream, datant de 2003, part aussi du nord-est de la mer Sa capacité de 16 Gm3 / an est destinée à la Turquie, mais aussi à l’Europe par son branchement au TANAP.
- Quoique ce ne soit pas une réalisation russe, le TANAP (Trans ANAtolian Pipeline), d’une capacité de 16 Gm3 / an, relie depuis 2018 Bakou à la frontière occidentale de la Turquie et reçoit aussi du gaz de Bluestream, comme indiqué ci-dessus.
- Le TAP (Trans Adriatic Pipeline) pro- longe le TANAP via les Balkans jusqu’au sud de l’Italie.
Tout ce système de gazoducs dépasse la capacité de transit par l’Ukraine. Un grand projet nommé South Stream, conçu en 2008 et abandonné en 2015, aurait eu une capacité de 63 Gm3 . Il aurait relié la Russie à l’Autriche en passant par le fond de la mer Noire et les Balkans. Il a été rejeté par l’UE , qui y voyait un instrument supplémentaire de dépendance, et parce qu’il aurait concurrencé la voie alors envisagée pour acheminer le gaz de la mer Caspienne et du Kazakhstan vers l’Europe. L’UE a prétexté sa non-conformité aux règles du marché intérieur du gaz, qui prohibent qu’une même organisation, en l’occurrence Gazprom, détînt la maîtrise de la production, du transport et de la distribution du gaz. On note pour- tant qu’il a été dérogé à ces mêmes règles dans le cas de Nordstream I. La Russie a remplacé Southstream par Turkstream, de plus faible capacité. Céline Bayou pense que la question de la mise en service de Nordstream II, jumeau de Nordstream I, achevé et dormant pour les raisons politiques que l’on imagine, pourrait se reposer un jour.
En 2006, après la Révolution Orange, laRussie a demandé à l’Ukraine de payer le gaz au prix international, alors qu’elle bénéficiait jusque-là d’un prix de faveur. L’Ukraine a alors appliqué au gaz russe un prix de transit plus élevé : ces changements, qui ont provoqué des désaccords entre les parties, ont été à l’origine des crises du gaz de janvier 2006 et janvier 2009. La Russie a notamment accusé l’Ukraine de prélever une part du gaz destiné à l’Europe. Désormais (depuis 2015), l’Ukraine n’achète plus de gaz russe mais utilise les “flux inversés” (achat de gaz en provenance de Slovaquie ou de Pologne notamment, mais le gaz reste bien d’origine russe). À par- tir de 2006, l’UE a réalisé qu’elle était devenue trop dépendante du gaz russe, mais y remédier est difficile :
- Il y a une grande diversité de situations des pays européens concernant le gaz russe, et aussi le pétrole.
- Une indépendance totale vis-à-vis de la Russie nécessiterait une grande sobriété énergétique.
- Le GNL est nettement plus cher que le gaz venant par tuyau de Russie, et cause plus d’émissions de CO2 que le gaz acheminé par conduite
- Il faut environ deux ans pour construire un terminal de regazéification de GNL, les petits terminaux flottants, tels que celui dont s’est dotée par exemple la Lituanie il y a quelques années, ne sont pas à l’échelle du problème.
- La Russie cherche à diviser les Européens en exigeant le paiement en roubles ou en vendant du gaz de conduite ou du GNL à des prix différents en fonction ses clients.
Les notes de bas de page ont été ajoutées par les rédacteurs du compte-rendu.
1-Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, créée au début des années 1970, dont le siège est à Les États-Unis et les pays d’Asie centrale issus de l’URSS en sont membres. L’OSCE avait des observateurs dans le Donbass.
2-Par le gazoduc Brotherhood mis en service en 1967 et d’une capacité de 100 Gm3 /
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