Auteur : Ludivine MUNOS
BIO : En 3 participations aux Jeux Paralympiques (Atlanta 1996, Sydney 2000 et Athènes 2004), cette nageuse a gagné 12 médailles : 3 en or, 7 d’argent et 2 en bronze. Après sa carrière sportive, titulaire d’un Master de l’IAE Aix-Marseille Graduate School of Management, elle travaille dans le privé, notamment chez EDF, pendant 15 ans. Depuis avril 2020, elle est responsable Intégration paralympique Paris 2024 au sein du Comité d’organisation des Jeux.
Pouvez-vous nous présenter votre rôle dans Paris 2024 ?
Je suis Responsable de l’intégration paralympique. Nous sommes une équipe de quatre personnes : trois sont dédiées à l’accessibilité universelle et la quatrième s’assure de diffuser au sein de notre organisation les spécificités des Paralympiques.
Nous sommes rattachés à la planification, c’est-à-dire l’entité qui détient la vision d’ensemble du projet. Paris 2024 est organisé comme un match à 2 mi-temps, la première pour les Jeux olympiques et la seconde pour les Jeux Paralympiques. Cela signifie que chaque personne qui gère un sujet le fait toujours pour l’ensemble du match, les 2 mi-temps. Dans notre processus interne de gestion de projets, les critères ont été mis en place à chaque étape pour s’assurer que l’enjeu d’accessibilité est pris en compte dans chaque projet. Cela permet à notre équipe d’être toujours associée au bon moment, aux bonnes étapes pour permettre la prise en compte et la validation de l’accessibilité. Nous avons un rôle d’appui et de conseil : expliquer en quoi c’est important, proposer de l’aide si besoin.
Vous venez de nous mentionner la notion d’accessibilité universelle, que l’on trouve également dans les communications de Paris 2024. Pouvez- vous nous expliquer cette notion ?
Dans cette expression, le terme “universel” a un sens double. D’abord, l’universalité des handicaps. On a tendance à penser facilement aux déficiences visuelles et aux fauteuils roulants, qui sont donc traités en premier, mais il y a de nombreuses autres formes de handicap, notamment qui réduisent la mobilité. Nous nous assurons de ne pas les oublier, tout en envisageant ces handicaps sous l’angle de l’inclusion : par exemple, mettre à disposition une démarche de coupe-file et des chaises pliantes dans les files d’attente pour les spectateurs et spectatrices qui en auraient besoin, mais ne pas les séparer ni les isoler.
L’autre sens de cette universalité, c’est de penser à l’accessibilité dès le départ, pour tout le monde et sur tous les sujets. Ainsi, on évite des arbitrages en cours de projet qui risqueraient de se faire au détriment de l’accessibilité.
L’ambition est importante. Quels sont les leviers utilisés pour en assurer la réussite ?
D’abord, le sponsorship. La stratégie d’accessibilité est portée au niveau du conseil d’administration, avec ce mes- sage fort d’accessibilité universelle qui montre l’ambition. Cette volonté est incarnée depuis la candidature, par l’implication de personnes qui connaissent les Jeux Paralympiques.
Ensuite, la responsabilité : la réalisation est mise à la charge et à la responsabilité de chaque direction. Notre équipe apporte du conseil, chacun prend en compte l’accessibilité dans son budget. Enfin, je pense que le contexte de la société dans son ensemble est favorable. On s’intéresse de plus en plus à l’inclusion et au handicap dans le débat politique, ce qui facilite la prise en compte par toutes et tous, à tous les niveaux.
A contrario, quelles sont les principales difficultés rencontrées pour atteindre ce niveau d’accessibilité ?
Nous faisons face à deux principaux enjeux. Le premier est opérationnel : les sujets sont quotidiens et demandent une grande attention, à tout moment. Par exemple, ces derniers jours, nous avons fait changer des chasses d’eau car elles avaient été sélectionnées parmi des modèles non actionnables par une personne avec un moignon. Le second frein, c’est le manque d’automatisme. Quand on traite d’accessibilité sur un sujet, on peut avoir l’impression d’avoir créé un réflexe, un automatisme chez les personnes avec qui on a travaillé, mais finalement ce n’est pas si évident.
Comment sont définies les exigences d’accessibilité pour les différentes infrastructures et services de Paris 2024 ?
L’accessibilité se joue sur deux tableaux : l’accessibilité physique des lieux des Jeux (sites sportifs et village) et l’accessibilité numérique des services associés : applications, billetterie. Nous utilisons plusieurs référentiels dont, en premier lieu, les normes françaises d’accessibilité. Celles-ci exigent par exemple des douches à l’italienne dans tous les nouveaux logements depuis 2021. Nous nous assurons que les salles de bains accessibles du Village en bénéficient. En complément, le Comité International Paralympique (IPC) produit également un référentiel de recommandations. Le nombre de places adaptées dans les stades augmente en 2024 (Tokyo 2020 était sans public présent) : on pourra disposer d’un service de BIM (Boucle à induction Magnétique) pour les personnes malentendantes ou de places adaptées pour les fauteuils roulants.
Paris 2024 organise des épreuves dans des sites historiques de Paris (Invalides, Grand Palais...). Le choix de certains bâtiments a-t-il compliqué le travail autour de l’accessibilité ? Quels sont les enjeux sur l’existant par rapport à du neuf ?
Nous mettons en place des audits d’accessibilité sur l’intégralité des sites. À chaque fois, nous évaluons les différents flux (les parcours) en fonction des populations – athlètes, spectateurs et spectatrices, livreurs et livreuses : la capacité des ascenseurs, les temps de passage. Si besoin, sur ces lieux, il peut y avoir des ajouts temporaires en fonction de nos besoins spécifiques. Pour autant, la plupart du temps, nous pouvons nous appuyer sur l’existant puisque ces lieux accueillent du public et sont déjà soumis à un certain nombre d’exigences d’accessibilité.
Quelques exemples : le stade de Lyon ne sera utilisé que pour les JO. C’est un site récent très accessible, où l’exigence d’accessibilité est respectée. Nous pourrons préconiser des améliorations sur les contrastes des couleurs pour certains aménagements. Au Stade de France, pour maximiser le nombre de places en fauteuils roulants, nous pourrons ajouter des dispositifs pour rehausser ces personnes et ainsi améliorer leur visibilité. Enfin, le Champ-de- Mars accueillera le cécifoot au Petit Palais Éphémère, ce qui nécessite de mettre en place des chemins et des zones de pose et dépose.
Paris 2024 va aussi fortement interagir avec d’autres services partenaires, notamment les transports de la ville. Est-ce que l’exigence d’accessibilité de Paris 2024 permet également d’améliorer l’offre de ces autres services ? Est-ce un moyen d’accélérer la transformation de la ville ?
Nous accompagnons les parties prenantes autour de l’accessibilité notamment en leur proposant d’accéder à nos prochaines formations sur les formes de handicap. Cette formation préconise entre autres de parler directement à la personne concernée et pas à une personne aidante qui l’accompagnerait. Cela peut paraître évident mais l’expérience montre que ce n’est pas toujours le cas.
Concernant les transports, l’accessibilité est un enjeu déjà pris en compte par la ville, le département, la région. Les futures lignes de métro seront totalement accessibles, les RER A et B sont accessibles, les lignes de bus sont accessibles. Nous travaillons conjointement avec Île-de-France Mobilités pour trouver les meilleures solutions de transport selon les populations. Pour les personnes accréditées, des bus seront affrétés. Pour ce qui concerne le public, IDF Mobilités est en train de modéliser son accompagnement afin de répondre à l’enjeu de volume.
Concernant les médias, des hôtels sont proposés dans ce qu’on appelle le “village des médias”, avec un nombre de places pour les personnes en situation de handicap. Par ailleurs, l’organisation des jeux paralympiques fait un travail d’accompagnement des médias pour permettre une meilleure diffusion : à la fois sensibiliser les médias généralistes à nos sports, mais aussi faciliter la présence de médias spécialisés.
Pouvez-vous nous parler des autres axes sur lesquels Paris 2024 contribue pour réduire les discriminations sur la base du handicap : accès à l’emploi, promotion du parasport, etc. ?
Paris 2024 a déployé une stratégie
d’héritage : l’ambition que les choses changent durablement à la suite des Jeux, notamment autour du handicap. Ce sera bien sûr l’héritage physique de ce qui a été créé, mais cela passe aussi par d’autres actions pour l’inclusion au travers du sport, comme la pratique partagée. Nous disposons d’un fonds de dotation pour financer des projets d’as- sociations sportives. L’inclusion du handicap est l’un des critères indispensables pour obtenir un financement du fonds. En complément, l’ensemble des projets lauréats doivent prendre en considération la dimension d’accessibilité et d’inclusion et 10 % du budget a été attribué à des projets spécifiquement consacrés au bénéfice du handicap.
Par ailleurs, à Paris 2024, notre politique de recrutement est entièrement inclusive : tous nos postes sont accessibles à des candidats en situation de handicap, avec des entretiens en visioconférence et des mesures d’accompagnement individuelles si nécessaires. Notre bâtiment Pulse à Saint-Denis est réellement et intégralement universel, une vitrine de l’accessibilité au travail. Nous menons également une démarche active pour inciter les associations du handicap à participer au programme des volontaires pour les Jeux. Tous nos événements sont accessibles.
Nous nous mobilisons pour améliorer visibilité des Jeux Paralympiques, notamment via la semaine olympique et paralympique qui a lieu dans les écoles chaque début d’année depuis 2017 et pour laquelle 90 % des projets portés sont tournés vers le handicap.
L’objectif de notre dossier est de faire des émules. J’ai compris que c’était aussi dans les objectifs de Paris 2024. Quel serait votre conseil pour une entreprise qui voudrait rendre ses produits et services universellement accessibles?
Le premier élément, c’est de solliciter des personnes compétentes, voire concernées, qui vont animer le sujet. Il est nécessaire de mettre en place une dynamique managériale et d’entreprise globale.
Ensuite, c’est un thème sur lequel il faut accepter d’avoir des freins et de s’adapter progressivement. On ne peut pas devenir universellement accessible du jour au lendemain. En revanche, on peut se projeter au cas par cas, en fonction des besoins, accompagner les personnes qu’on recrute et mettre en place une adaptation du poste en fonction de sa situation. La progression du télétravail permet d’ouvrir des manières de s’organiser plus fluides pour toutes et tous.
Enfin, il faut prendre conscience des compétences et talents plus spécifiques développés par les personnes en situation de handicap. Par exemple, mon besoin personnel d’économiser mon énergie dans mes déplacements m’a fait développer une capacité hors du commun à anticiper et planifier mes actions.
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