Auteur : Olivier RATHEAUX (P 1966 ICiv)
Une vingtaine de mineurs, conjoints et accompagnants ont participé à cette visite le 8 octobre 2022 sous la conduite de Françoise Hubert, par un temps d’été indien
Nous commençons par les jardins du Palais-Royal, l’ex-Palais cardinal (de Richelieu). En effet, ici fut édifiée au 18e siècle, au niveau du sol, une galerie marchande en bois, aujourd’hui disparue, considérée comme l’ancêtre des galeries couvertes, qui allaient se multiplier au siècle suivant. Protégée de la boue fréquente des rues de Paris à l’époque, elle offrait l’avantage de la salubrité. Balzac1, vraisemblablement en raison de la prostitution qui faisait florès dans les jardins, la qualifia de “hangar impudique, effronté, plein de gazouillements et d’une gaieté folle”.
Au 19e siècle, des investisseurs privés aménagent de nombreux passages2 couverts, remplissant une double fonction à l’abri des intempéries : raccourci pour des trajets piétons, galerie commerciale avec magasins de détail, bars, restaurants, voire théâtres, musées, hôtels. L’investissement dans la galerie publique doit se récupérer par la rente foncière alentour : boutiques riveraines, immeubles entourant le passage s’ils sont dans le périmètre du promoteur. Des entrées d’immeuble peuvent donner dans la galerie piétonne. Selon le cas, le passage a été prévu dès la construction de l’immeuble, ou bien il est percé ultérieurement (comme le passage Jouffroy, ouvert en 1846). Des quelques cent cinquante passages couverts édifiés à Paris, essentiellement rive droite, il ne subsiste aujourd’hui qu’une vingtaine. Nous n’en verrons qu’un échantillon. L’architecture des passages est généralement soignée et incite à une agréable déambulation : éclairage par la lumière du jour au travers de verrières, carrelages et mosaïques, statues et autres décorations. Les passages font typiquement trois mètres de large, il en est de plus spacieux.
Nous visitons d’abord la galerie Véro-Dodat (photo 1), du nom des promoteurs, deux charcutiers enrichis. L’entrée rue du Bouloi (photo 2), à côté du “Café de l’époque” (un nom indémodable… de fait il a été ouvert voici presque deux siècles !), est rehaussée de deux statues en pied, représentant l’une Hermès, dieu du commerce, l’autre un satyre au repos, d’après Praxitèle. Après la traversée du très court pas- sage du Perron (30 m), le groupe passe rue de Beaujolais devant l’entrée du presque aussi court passage des Deux-Pavillons (33 m), qui a cette particularité, partagée avec le passage Potier rue de Montpensier, d’être en escalier (photo 3).
Nous parcourons ensuite la superbe galerie Vivienne, qui présente trois entrées sur la voie publique car son plan est en fourche, avec une rotonde cen- trale (photos 4, 5 et 6).
Nous allons dans la toute voisine galerie Colbert, qui fut la concurrente de la galerie Vivienne. Cette concurrence a disparu depuis que la galerie Colbert est devenue la propriété de la Bibliothèque nationale de France et qu’il n’y a plus d’activité commerciale. Elle est donc plutôt silencieuse et austère, malgré la beauté du cadre, notamment la rotonde où trône une statue d’Eurydice piquée par le serpent (photo 7, bronze de Lebœuf).
Nous visitons ensuite le très achalandé passage des Panoramas (photo 8) qui, ouvert en 1800, fut le second passage couvert de Paris à être construit en pierre3. Il tient son nom des tableaux panoramiques circulaires qui y étaient exposés. Un accès du théâtre des variétés donne dans la galerie.
Nous continuons sur le passage Jouffroy (photos 9 et 10), admirant encore d’élégantes verrières. Le musée Grévin y donne. Un hôtel (Chopin) y a son entrée. Avant de nous quitter, nous jetons à travers la grille d’entrée un coup d’œil sur le passage des Princes, le dernier construit (1859). Il est actuellement fermé après rénovation et ses boutiques ne sont pas encore occupées de nouveau.
La comparaison des passages couverts de Paris avec les traboules du vieux Lyon, aménagées pendant la Renaissance voire avant, est instructive. Les traboules, qui associent des couloirs piétons et des cours intérieures – initialement avec puits, n’ont pas de fonction commerciale : elles ne servent qu’à passer rapidement d’une rue à une rue parallèle4. Elles sont de plus en plus femées au public, malheureusement, par des digicodes.
Une autre comparaison s’impose avec nos centres commerciaux contemporains, si répandus autour des grandes stations de transport collectif (La Défense, Châtelet-Les Halles ou Gare du Nord à Paris, la Part-Dieu à Lyon, etc.) ou à proximité d’échangeurs routiers (Bercy…). Quitte à être taxé de passéisme, ce qui n’est pas le cas, le rédacteur de ces lignes est d’avis que ces passages couverts, qui certes ne jouaient pas dans la même « cour des grands » que nos actuels centres commerciaux, étaient plus conviviaux et sympathiques, avec une architecture et une décoration, plus soignées et originales. On ne dira jamais trop combien la qualité des équipements collectifs influe sur la qualité de la vie et le comportement des citadins5
1 - Dans Illusions perdues, Un grand homme de province à Paris.
2 - Appelés parfois galeries au lieu de passages.
3 - Après le passage du Caire, ouvert fin 1798 et toujours en fonction.
4 - Les traboules de la Croix-Rousse, toujours à Lyon, développées au 19e siècle avec l’essor du textile, ont pu servir aux artisans tisserands (les canuts) pour le transport au sec d’étoffes.
5 - Le Corbusier, à sa technocratique manière, en était conscient, par exemple avec son concept de rue intérieure.
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