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2- ÉCONOMIE, MONNAIE ET CRÉDIT

Revue des Ingénieurs

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15/12/2021

Auteur : Joël HENRI (N 1967 ICiv)

Le “quoi qu’il en coûte” de la France ne peut que difficilement s’accommoder des règles du Pacte de stabilité et de croissance. De fait, la dette s’est envolée. Mais quel est d’ailleurs son montant exact? Quelles stratégies de finances publiques pour sortir de la crise?


LE COVID A FRAPPÉ UNE SOCIÉTÉ FRANÇAISE PEU COHÉSIVE

Une enquête du Cevipof publiée en octobre 2021 a constaté un niveau de défiance entre les citoyens et à l’encontre des autorités politiques en France et en Italie supérieur de 10 à 19 %, selon les questions, à ceux de la Grande-Bretagne et surtout de l’Allemagne.
Une note du Conseil d’analyse économique, publiée simultanément à l’enquête du Cevipof, rédigée par Yann Algan et Daniel Cohen et se fondant sur des données sociologiques et économiques de 38 pays montre :

• une forte corrélation entre nombre de morts et chute du PIB au 1er semestre 2020, corrélation devenant faible ensuite

• une forte corrélation entre performance économique et sanitaire et niveau de confiance

• une confiance dans les scientifiques qui a fortement diminué en France, or elle est un déterminant central de l’acceptabilité des politiques sanitaires restrictives, de la demande de vaccination et des comportements individuels de distanciation sociale

En France le niveau de confiance à l’égard des scientifiques n’a cessé de baisser au cours de 2020. De 87 % en mars il est tombé à 70 % en décembre alors que les baisses en Allemagne, États-Unis et Italie ont été respectivement de 2, 5 et 8 %.
Le soutien aux mesures restrictives a été nettement corrélé à la confiance envers les scientifiques et n’a cessé de baisser en France.
Parmi leurs nombreuses recommandations, les auteurs insistent sur une nécessaire amélioration de l’enseignement des sciences (corrélation positive entre scores PISA et confiance dans les scientifiques), le renforcement de la culture scientifique et l’évaluation des personnes composant les instances décisionnaires.
Il ressort de ces constations qu’un meilleur degré de confiance aurait réduit la sévérité de certaines mesures qui ont fait fortement baisser le PIB. Le défaut de cohésion n’est pas lié à des inégalités qui seraient plus accusées en France qu’ailleurs. L’indice de Gini qui les mesure y est de 0,292 alors qu’il est de 0,297 en Allemagne, 0,328 en Italie, 0,330 en Espagne et d’environ 0,27 dans les pays nordiques.

LE PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE DE L’UNION EUROPÉENNE

Le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) a été adopté par un Conseil européen en 1997. Il comporte la règle de plafonnement à 3 % du PIB du déficit budgétaire d’un État, l’obligation d’un retour à l’équilibre à moyen terme et le plafonnement de sa dette publique à 60 % du PIB. Il n’a pas été respecté, particulièrement à la suite de la crise financière de 2008. Il a été modifié à plusieurs reprises. En 2011 ont été introduites les notions de déficits structurel et conjoncturel. La part d’un déficit due à des circonstances exceptionnelles ou à des fluctuations cycliques de l’économie est qualifiée de conjoncturelle, le reste étant structurel. Un déficit structurel ne doit pas excéder 0,5 % du PIB. En 2012 a été signé le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) qui englobe une large part des dispositions du PSC. Il reprend l’obligation pour les États dont la dette dépasse 60 % du PIB de réduire cet excédent de 1/20 par an tout en prévoyant des allégements de cette contrainte si cet État réalise des progrès suffisants vers un objectif à moyen terme (OMT) de solde structurel. En France le Haut Conseil des finances publiques a pour mission d’apprécier les efforts du Gouvernement pour atteindre l’OMT. 

Le contrôle relève également de la Commission européenne. Les calendriers des procédures budgétaires des États sont harmonisés avec celui de la Commission. La loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 prévoyait qu’en 2022 le solde des dépenses publiques serait de -0,3% du PIB, les dépenses publiques de 51,1 %, le taux des prélèvements obligatoires de 43,7% et la dette publique de 91,4% du PIB. Mais dès 2019 déficit et dette s’éloignaient des objectifs, le déficit passant de 2,5 % du PIB en 2018 à 3,0 % en 2019 et la dette de 95,5 % à 97,4 %, ce qui n’est probablement pas sans rapport avec les Gilets jaunes.
En mars 2020, sur proposition de la Commission, le Conseil de l’Union européenne (qui en réunit les ministres) a activé la “clause dérogatoire générale” du PSC. Elle sera désactivée à partir de début 2023. Durant presque ces deux années de “quoi qu’il en coûte” les contraintes du PSC sont donc levées.

L’IMPACT SUR LES DÉFICITS ET L’AUGMENTATION DE LA DETTE

Le 13 avril 2021, Olivier Dussopt, ministre chargé des Comptes publics, a annoncé que le Covid coûterait 424 mrd€ sur trois ans à l’État (158 en 2020, 171 en 2021 et 96 en 2022). Puis le 1er septembre il parlait d’un coût total pour l’État compris entre 170 et 200 mrd€, à savoir 70 mrd € de dépenses exceptionnelles en 2020, autant en 2021 et 60 mrd€ de pertes de recettes. Le chiffre d’avril inclut les dépenses supplémentaires et les recettes manquantes et ceux de septembre ne concernent que les dépenses.
On retrouve les 70 mrd€ de 2020 et 2021 dans un rapport d’août 2021 de la Commission des finances de l’Assemblée nationale relatif au débat d’orientation des finances publiques. 

Le tableau ci-dessus est incomplet. Dans un rapport de juillet 2021 et relatif à l’exercice 2020, la Cour des comptes ajoute 7,6 mrd€ de dépenses supplémentaires réparties dans divers ministères, 2,2 mrd€ à verser à l’Union européenne et 24 mrd€ à la charge de la Sécurité sociale et liés directement et indirectement au covid. La Cour des comptes conclut par une évaluation à environ 100 mrd€ des dépenses supplémentaires liées au Covid en 2020. Elle n’a pas considéré les diminutions de recettes dans son rapport. Donc le chiffre de 424 mrd€ est plausible. En annexe du rapport précité la Cour des comptes écrit “En 2020, alors que les dépenses budgétaires de l’État s’établissent à 389,7 Md€, un montant de 564,9 Md€ est enregistré en comptabilité nationale, soit un écart de plus de 175 Md€ avec la comptabilité de caisse”. Elle donne la justification longue et précise de cet écart. Les différences que l’on constate entre comptabilité nationale et comptabilité budgétaire doivent être acceptées par le non-spécialiste, sauf s’il est disposé à passer quelques dizaines d’heures à examiner des documents complexes. Les comparaisons entre diverses périodes doivent se faire sur des données de même origine. Ainsi le déficit des finances publiques de 212 mrd€ déterminé selon les normes budgétaires n’explique pas totalement la hausse de 273 mrd€ de la dette publique au sens de Maastricht en 2020. Le montant de la dette liée au covid n’est connu que très approximativement et fera l’objet d’études. 

PEUT-ON ANNULER LA DETTE? EN TOTALITÉ? EN PARTIE? LA RENDRE EN PARTIE PERPÉTUELLE?

Cette proposition n’est pas nouvelle. Elle est revenue avec insistance avec le Covid sans que l’on sache si elle ne s’appliquerait qu’aux 400 mrd€ de dette covid ou à bien plus.
En février 2021, un appel à l’annulation des dettes détenues par la BCE a été signé par plus de cent économistes de diverses nationalités. On pouvait comprendre qu’il s’agissait des dettes des États de la zone euro détenues par l’ensemble des banques centrales de l’Eurosystème, puis qu’ils évoquaient un total de 2 500 mrd€ et non de celles détenues par la BCE elle-même (qui s’élevaient à 349 mrd€ à fin 2020).
Annuler les dettes détenues par des étrangers, banques centrales ou autres, serait totalement contraire aux traités européens ; cet acte marquerait la sortie de la zone euro avec grand fracas. Concernant des sociétés ou personnes physiques françaises, ce serait une spoliation, évidemment contraire à la Constitution, à moins d’en faire adopter une nouvelle.
À fin septembre 2021 la Banque de France détenait 674 mrd€ de titres de créance sur les administrations publiques françaises. Il suffirait de les annuler et la dette publique serait réduite d’autant. Le bilan de la Banque de France présenterait alors un capital négatif de 470 mrd €. Elle serait donc en faillite, mais qu’importe puisque personne ne viendrait procéder à sa liquidation qui serait cataclysmique. Il faudrait alors la faire absorber par l’État. Une telle annulation de dette mettrait fin à l’indépendance de la banque centrale et serait, là encore, en opposition aux Traités européens. De plus elle ne servirait à rien :  la Banque de France reverse en effet à l’État sous forme de dividende les intérêts qu’elle en reçoit.

Une conversion en dette perpétuelle n’est pas a priori absurde. Mais quel serait le taux d’intérêt de ces rentes ? Une conversion forcée serait une spoliation si le taux est trop bas, un cadeau injustifié s’il est trop élevé. Seules des émissions avec conversion volontaire de titres existants seraient équitables. Il appartiendrait au Trésor de juger du taux qui permettrait à l’émission de rencontrer quelque succès sans être trop élevé. Le plus simple serait l’adjudication payée en monnaie centrale et non une conversion. Mais seuls des spécialistes sont capables de juger de l’avantage pour l’État de telles émissions. Enfin, observons qu’actuellement l’État s’endette à dix ans à un taux positif de 0,2 % et à trente à un taux de 0,7 %. 1 mrd€ d’intérêts annuels sur la dette covid ne ruinera pas l’État au cours des prochaines décennies.
Le problème est l’évolution de la dette. Non maîtrisée elle aboutirait à la perte de confiance dans les obligations du Trésor et à des taux d’intérêts de plus en plus élevés sur les nouvelles émissions, prélude à l’asphyxie.

LA LOI DE PROGRAMMATION DES FINANCES PUBLIQUES

Le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) stipule que le gouvernement de chaque pays doit transmettre à la Commission en avril de chaque année un programme de stabilité. Notons qu’à partir de 2022 il tiendra lieu de débat d’orientation des finances publiques qui avait lieu jusque-là en septembre.
Le Haut Conseil des finances publiques a fait observer que l’ajustement structurel n’était pas documenté dans le “programme de stabilité 2021” (voir tableau). Il s’agit donc d’objectifs sans indication des voies pour les atteindre. En juin dernier, le solde public de 2021 a été révisé à -9,4 %.

LES AVERTISSEMENTS DE LA COUR DES COMPTES

 

En juin 2021 la Cour des comptes a publié une note intitulée “Une stratégie de finances publiques pour sortir de la crise”. Elle a élaboré trois scénarios menant en 2030 à des endettements de 118 %, 130 % ou 138 % du PIB, la dette recommençant à augmenter plus ou moins forte- ment à partir de 2027. Le scénario le plus optimiste coïncide à peu près avec le “programme de stabilité 2021” ci-dessus.
La Cour rappelle qu’assurer la soutenabilité des finances publiques est un enjeu de souveraineté. Elle propose de :

• soutenir la transition écologique en mettant en cohérence les investissements verts [soutien voilé au nucléaire ?],

• accélérer la transformation numérique, notamment dans les services publics,

• renforcer les capacités de résilience face à des crises de toute nature1,

• réduire le déficit public, et donc la divergence avec l’Allemagne, de façon à parvenir à une décrue de la dette au plus tard en 2027,

• identifier la dette covid afin de la faire figurer parmi les engagements financiers que la France doit honorer,

• réformer les retraites, l’efficience du système de santé et celle de la politique de l’emploi

• renforcer l’équité, l’efficacité et l’efficience des poli- tiques et des administrations publiques.

Nous avons reproduit cette longue liste tant elle montre que de nombreuses réformes sont indispensables pour que la France conserve son autonomie de décision, ou sa souveraineté. La Cour recommande que la trajectoire des finances publiques retenue fasse l’objet d’une programmation votée par la nouvelle législature sur toute sa durée.
À notre avis, si les prochaines élections législatives aboutissaient à des coalitions instables de groupes parlementaires, il serait difficile de mener une politique résolue et la France déclinerait. 

 

1- Lesquelles ? La Cour reste volontairement imprécise.

 

Par JOËL HENRI (N67)joel.henri@mines-nancy.org 

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