Auteur : ÉRIC FABRE (Ponts 80)
Le mécénat de compétences consiste à mettre à disposition d’une association un collaborateur sur son temps de travail pour réaliser des actions d’intérêt général mobilisant (ou non) ses compétences. C’est une aubaine pour les entreprises et les collaborateurs, notamment en fin de carrière. Témoignages.
De plus en plus d’entreprises proposent à leurs salariés de travailler auprès d’associations sous la forme d’un mécénat de compétences. Cette mise à disposition donne lieu à un avantage fiscal pour l’entreprise si l’association est habilitée à recevoir des dons, ce qui est le cas de quasiment toutes les associations, sauf les associations d’anciens élèves… Ces mécénats peuvent s’effectuer à temps partiel ou à temps complet, et être proposés à n’importe quel moment de la carrière d’un collaborateur : c’est l’entreprise qui définit les scénarios qui permettront aux collaborateurs de participer à ces programmes. Une formule rencontre un intérêt plus particulier auprès des entreprises et des collaborateurs : c’est le mécénat de compétences à temps complet pour les collaborateurs en fin de carrière.
ÉRIC FABRE – À TEMPS COMPLET EN FIN DE CARRIÈRE
Pour ces collaborateurs dont la fin de carrière marque une perte de sens, un retrait de responsabilité ou un écart par rapport à leur projet professionnel, le mécénat de compétences permet de retrouver une autonomie et redonne un sens à leur projet professionnel. Pour commencer, les responsabilités exercées sont en effet plus vastes du fait de l’organisation de ces associations qui sont proches de celle d’une PME.
Personnellement, je suis à moins de deux ans du terme de ma carrière, qui s’est déroulée tout d’abord au sein de l’informatique pendant 13 ans comme consultant, puis responsable du département de la micro-informatique de l’UFB Locabail, au moment où celle-ci pénétrait le monde du travail, années pendant lesquelles tout était à découvrir et organiser dans ce domaine.
La suite de ma carrière s’est déroulée comme auditeur, puis responsable de l’organisation et des grands projets de l’entreprise (fusionnée en 2000 avec BNP Paribas), et enfin responsable des comités d’investissements des projets informatiques avec une approche budgétaire et rentabilité. À titre personnel, j’ai toujours suivi les innovations informatiques durant toutes ces années et j’ai écrit des applications pour iPhone et iPad.
Tout cela correspondait assez bien à mon projet professionnel quand, à 55 ans et à la suite de réorganisations, on m’a orienté sur un poste administratif, pour animer le portefeuille des procédures et s’assurer de leur application dans une quinzaine de filiales. Même si ce poste est bien entendu nécessaire dans un groupe, il ne correspondait pas à mon projet professionnel et ne me donnait plus la satisfaction de créer pour l’entreprise. Dernière réorganisation… et je n’avais plus de poste. En mobilité, à 63 ans ! La RH m’a alors proposé de réaliser un mécénat de compétences pendant les deux dernières années de ma carrière.
DES MISSIONS POUR UNE FONDATION
J’ai proposé à la “Fondation des Ponts” de faire ce mécénat de compétences au sein de leur association, en leur proposant des missions en adéquation avec mon projet professionnel :
- faire le lien avec les start-up des Ponts hébergées à Station F, participer au processus semestriel de sélection des start-up et leur apporter via des conférences ou des ateliers, la réflexion nécessaire à leur évolution via la réalisation de leur business model, la communication, le marketing, le juridique, etc. ;
- animer les groupes professionnels et géographiques des anciens élèves en apportant un appui aux responsables de ces groupes ou en relançant les groupes laissés à l’abandon ;
- participer aux tâches nécessaires à la bonne marche de l’association.
Cela fait maintenant plusieurs mois que la mission a commencé. J’ai retrouvé une autonomie, des responsabilités et un sens pour mon projet professionnel. J’ai aussi travaillé sur d’autres pans stimulants comme les relations avec les élèves pour les aider à s’engager dans leur future vie professionnelle, en travaillant par exemple sur leur CV et leurs entretiens, et en même temps les sensibiliser pour s’engager dans la fondation et l’association des anciens élèves.
Les contacts avec d’autres collaborateurs qui se sont investis dans un mécénat de compétences me renvoient les mêmes impressions, souvent amplifiées émotionnellement pour ceux qui travaillent dans le domaine humanitaire, en France ou à l’étranger.
Le mécénat de compétences se répand dans les grandes entreprises et est souvent animé par la DRH ou la fondation de l’entreprise. N’hésitez pas à vous renseigner sur les opportunités offertes par votre entreprise, vous ne regretterez pas cette expérience qui vous ramènera 40 ans plus tôt, lorsque vous aviez plein de projets professionnels en tête.
Le mécénat de compétences n’est pas une formation, il ne porte ses fruits que lorsqu’il s’inscrit dans un projet personnel dûment préparé et lorsqu’il autorise un échange gagnant- gagnant avec la structure d’accueil : le salarié apporte ses compétences et la structure un nouvel environnement qui l’enrichira et amènera son profil à évoluer.
PATRICK BERGEOT – UN OUTIL ENCORE TROP MÉCONNU
Comme évoqué plus haut, les avantages fiscaux liés au mécénat de compétences – institué par la loi Aillagon de 2003 – n’existent que pour les organismes d’intérêt général. Il n’existe ni liste ni label, mais un tel organisme se définit comme ne profitant pas à un cercle restreint de personnes, bénéficiant d’une gestion désintéressée et n’ayant pas de but lucratif. En font partie toutes les fondations et associations reconnues d’utilité publique, nombre d’institutions culturelles et certains clubs sportifs. Mais en sont exclues par exemple les associations d’anciens élèves, les municipalités ou les collectivités territoriales.
Concrètement, l’entreprise au lieu de donner de l’argent prête un ou plusieurs salariés à temps partiel ou complet pour une durée d’un an ou plus, et en échange bénéficie d’une réduction d’impôts égale à 60 % de leurs rémunérations. Le salarié, lui, continue à être payé par son entreprise mais travaille au sein de l’organisme.
UN PUISSANT OUTIL DE RESSOURCES HUMAINES
Encadré ou non par un accord d’entreprise, le dispositif est utilisé à 67 % par de grandes ou très grandes entreprises. Les modalités sont variées, de quelques heures par semaine ou par mois à trois ans d’affilée, dans des champs laissés au choix du salarié ou strictement définis par la stratégie de l’entreprise, comme l’aide à l’éducation.
Les motivations sont aussi diverses : au-delà des avantages fiscaux et des retombées en termes d’image, les entreprises peuvent voir le mécénat comme un puissant outil de ressources humaines qui sert à motiver les salariés, à valoriser les profils moins demandés en interne, à préparer une reconversion ou à accompagner en douceur les fins de carrière.
C’est le cas dans une très grande entreprise du secteur des télécommunications qui met en oeuvre le mécénat de compétences depuis l’accord de gestion des compétences de 2016 ; il sert en grande majorité aux transitions vers la retraite mais dans quelques cas aussi à des reconversions.
Il permet ainsi à des salariés d’accéder à de nouveaux domaines ou de nouveaux métiers sans passer par des masters onéreux et d’acquérir la légitimité et l’expérience indispensables pour rebondir.
À INSCRIRE DANS UN PROJET PERSONNEL
Mais attention ! Le mécénat de compétences n’est pas une formation, il ne porte ses fruits que lorsqu’il s’inscrit dans un projet personnel dûment préparé et lorsqu’il autorise un échange gagnant-gagnant avec la structure d’accueil : le salarié apporte ses compétences et la structure un nouvel environnement qui l’enrichira et amènera son profil à évoluer.
Le salarié se doit de contribuer activement aux missions de l’organisme. Certains ont pu l’oublier, au point que de grandes institutions préfèrent aujourd’hui refuser le mécénat de compétences. De plus, il ne faut pas négliger la nécessaire acclimatation à une culture et à des méthodes souvent très éloignées du monde industriel :elle peut causer des frictions ou prendre un temps peu compatible avec la durée du mécénat. Il faut souvent partager plus que des convictions pour travailler ensemble et mener à bien un projet.
Vouloir retrouver du sens en s’investissant par exemple dans une association est une condition nécessaire mais non suffisante ; mon entreprise porte donc la plus grande attention à la cohérence des projets et peut afficher quelques belles histoires qui auraient été impossibles sans recourir au mécénat.
DE BELLES HISTOIRES
Un chef de projet télécoms senior a pu ainsi évoluer vers la R&D et devenir “product owner”, une transition impensable s’il était resté en poste. Après avoir suivi des cours à l’École du Louvre, un directeur financier inventorie aujourd’hui les collections d’un musée d’art asiatique et se prépare à devenir expert en salle des ventes.
Moi-même qui exerçais dans la transformation digitale, j’ai transposé mes compétences de chef de projet dans l’univers complètement différent de la culture : à l’Institut du monde arabe, j’ai mis en place cima, la première certification en langue arabe créée sur le modèle du TOEIC et je me plonge dans la production de spectacles vivants en organisant chaque hiver un festival pour promouvoir la langue arabe.
Et bien sûr cette fertilisation croisée permet aux structures d’accueil de réaliser des projets qu’elles n’auraient peut-être jamais pu mener à bien. Il paraît que les arabisants parlaient depuis vingt ans de créer une certification pour l’arabe !
Même s’il s’est beaucoup développé ces cinq dernières années, le mécénat de compétences gagne à être davantage connu. C’est l’un des rares outils à réellement mettre en oeuvre la notion de compétences qui est au coeur des ressources humaines.
ÉRIC FABRE (PONTS 80)
Chargé de mission pour la Fondation des Ponts, détaché par BNP Paribas en mécénat de compétence depuis octobre 2019
PATRICK BERGEOT (TÉLÉCOM PARIS TECH 87)
Directeur de projets innovants pour le Centre des monuments nationaux, anciennement en mécénat de compétence à l’Institut du monde arabe

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