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LE CENTRE INGÉNIERIE ET SANTÉ DE MINES SAINT-ÉTIENNE DES TEXTILES DES HOMMES

Revue des Ingénieurs

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04/10/2022

Auteur : JÉRÔME MOLIMARD

L’industrie textile, jadis florissante dans l’agglomération Lyon–Saint-Étienne, s’est profondément restructurée et a trouvé un nouvel équilibre. Le Centre Ingénierie et Santé (CIS) de Mines Saint-Étienne accompagne ses acteurs dans les technologies pour la santé.


Les locaux du CIS à Saint-Étienne

Les applications du textile dans la santé existent depuis l’antiquité, avec des exemples de prothèses textiles datant de 3000 ans avant notre ère trouvées en Égypte. Aujourd’hui, le textile intervient dans des applications très connues comme le traitement des plaies, la contention articulaire ou la compression veineuse, avec parfois de fortes contraintes sécuritaires, avec les endoprothèses artérielles, vasculaires ou pariétales. Les frontières entre dispositifs médicaux et médicaments ont depuis longtemps été franchies avec l’ajout de fonctions antibactériennes ou antiseptique dans le traitement de la plaie chronique, le linge médical ou encore les protections hygiéniques. On trouve également des textiles utilisés comme support pour les thérapies cellulaires ou pour le diagnostic. Actuellement, des propositions de dispositifs textiles instrumentés, incorporant des capteurs électroniques voient le jour afin de permettre le suivi de la santé du patient par lui-même, mais aussi à distance par son médecin.

PREMIÈRE CONCENTRATION EUROPÉENNE DE TEXTILE POUR LA SANTÉ

Le pôle métropolitain Lyon–Saint-Étienne est la première région Française du textile1. C’est un acteur majeur depuis le XVIe siècle, avec l’essor de la soierie lyonnaise puis de la passementerie stéphanoise. Cependant, sous la pression des pays à bas coût, l’industrie textile régionale a perdu 50 % de ses effectifs entre 1993 et 2008 et n’a dû sa survie qu’à la restructuration profonde de ses activités. Elle a trouvé aujourd’hui un positionnement fort sur le textile technique, en particulier médical, et des perspectives dans un domaine où la croissance est stable à 5 % par an. Le bassin stéphanois est la première concentration européenne de textile pour la santé et représente à lui seul 60 % de la production nationale2 et les 75 % des emplois, soit environ 3 000 personnes, avec des leaders comme Thuasne, Lohmann & Rauscher, Gibaud, Sigvaris ou Urgo. Le Centre Ingénierie et Santé (CIS)3 de Mines Saint- Étienne travaille depuis sa création en 2004 avec les acteurs locaux. Le CIS compte aujourd’hui 40 chercheurs en formation, doctorants ou post-doctorants, encadrés par 30 permanents, dont 18 enseignants-chercheurs, répartis en 4 départements: Ingénierie des Biomatériaux (bioMat), Activité biologique des particules Inhalées (BioPI), Ingénierie des Systèmes de Soins et des Services de Santé (I4S) et Ingénierie des Surfaces et des Tissus Biologiques (STBio). 4

CIS/STBio travaille à la caractérisation expérimentale des tissus mous afin de suivre leur évolution suite à un biostress, comprendre et prédire une évolution catastrophique. CIS/STBio propose des modélisations numériques permettant d’imaginer des scénarii d’évolution des tissus soumis à un chargement mécanique, d’identifier des situations à risque à l’échelle d’un organe ou de décrire l’interaction entre un dispositif médical et le corps humain. CIS/ STBio bénéficie d’un partenariat privilégié avec le CHU de Saint-Étienne via le Laboratoire Sainbiose5, INSERM U1059, dont il est membre et aborde les problématiques du point de vue numérique, expérimental, mais aussi clinique.

DES EXEMPLES TRÈS CONCRETS

Des travaux ont été conduits sur la compression veineuse, l’anévrisme de l’aorte, l’éventration, la lombalgie chronique, l’instabilité du genou, les chaussures médicales et même les masques de protection lors que la crise du COVID.

Ces travaux ont commencé dès 20016 par la compression des membres pour améliorer le retour veineux ou pour la réduction des œdèmes. La question primordiale et celle de l’effet du dispositif médical sur la veine ; pour cela, des modèles numériques décrivant les différentes structures internes de la jambe sous une pression externe ont été développés. On a ainsi montré que l’efficacité du soin dépendait de la position de la veine malade, mais aussi de la forme de la jambe du patient7. Aussi, une approche personnalisée permettrait d’augmenter l’efficacité de la réponse thérapeutique ; cependant, cette approche est en pratique difficile à mettre en place, en particulier à cause de la grande quantité de paramètres mécaniques et géo- métriques à connaître pour obtenir un jumeau numérique fidèle. Mais un soin efficace n’est pas forcément celui qui maximise un effet. Les chercheurs de CIS/STBio ont montré dans une étude récente8 que 44 % des utilisateurs de bas de compression souffraient d’intolérance cutanée alors que le taux d’abandon du soin est estimé de 30 à 65 %. Comprendre l’origine de ces irritations est essentiel pour améliorer l’observance du soin, et donc son efficacité effective.

Les ceintures lombaires travaillent également par compression, mais l’effet attendu est plus profond, sur les disques intervertébraux, et même si l’effet revendiqué est physique, la finalité clinique est une baisse de la douleur. Cet exemple montre la complexité à laquelle sont confrontés les chercheurs en science pour la santé, les déterminants de la douleur étant très multifactoriels avec des composantes physiques, mais aussi neuronales, psychiques ou culturelles. Par ailleurs, le rôle de la contraction musculaire dans l’équilibre statique ou dynamique se modélise mal, la cocontraction musculaire étant par définition un problème mécanique mal posé. La clinique ici a un rôle essentiel et la modélisation doit être replacée dans un cadre bien défini. Pour autant, des approches numériques ont permis là encore de mieux comprendre le fonctionnement des ceintures. Les premiers résultats montrent que l’effet mécanique est très lié à la forme du tronc du patient, et pourrait décroître fortement avec la cor- pulence9. Dès lors, un nouveau dessin de ceinture doit être soumis à une série de tests sur un ensemble de patients. Les essais cliniques in silico permettent une réduction considérable des phases préliminaires du développement d’un produit. Cette approche nécessite l’accélération des codes de calcul et l’automatisation de la génération de modèles géométriques de patients ; la biomécanique utilise alors certaines des techniques de l’intelligence artificielle.    

      

L’étude de l’interaction entre dispositif médical et tissus mous a naturellement fait l’objet de nombreuses collaborations avec les acteurs industriels du domaine, Sigvaris, Thuasne, Lohmann & Rauscher ou encore Medtronics. La meilleure compréhension des phénomènes, et le souci constant d’applicabilité des travaux par l’intégration de chercheurs cliniciens dans l’équipe projet font que des produits très innovants, directement issus des travaux de CIS/STBio, ont pu voir le jour.

 UN ACTEUR MAJEUR

Après près de quinze ans d’activité dans le domaine, CIS/ STBio s’est imposé comme un acteur majeur, à l’intersection entre mécanique de la peau, textile, mécanique vasculaire ou articulaire. L’équipe dispose de jumeaux numériques de pied, de jambe, de genou, d’aorte et d’abdomen ; elle a déposé un logiciel dédié aux études cliniques in silico pour de dispositifs compressifs. Elle s’est dotée de moyens expérimentaux modernes : caméras rapides, caméras thermiques, scanner optique 3D, nappes de mesure de pression, tapis de marche instrumenté, machine de traction biaxiale. Elle a aussi développé des machines spéciales dédiées aux études expérimentales ou cliniques : tribomètre et rugosimètre dédiés à l’étude de la peau, dispositif d’indentation, centrales inertielles.

Les thèmes abordés, depuis la perspective applicative, suivent les questionnements de la communauté biomécanique. Il y a quelques années, l’approche patient spécifique ou les lois de comportement des tissus mous; aujourd’hui les essais cliniques in silico et les effets dynamiques; dans un avenir proche la mécanobiologie, avec le suivi de l’évolution biologique des tissus sous l’effet d’une sollicitation mécanique. 

1-https://www.france-induspro/industrie-textile-2

2– sur www.lessor42.fr : https://bit.ly/Mines517-R2

3–sur www.mines-stetienne.fr : https://bit.ly/Mines517-CIS

4– Mines Saint-Étienne étudie également d’autres textiles techniques, notamment les renforts pour composites dans son Centre Sciences des Matériaux et des Structures.

5– https://sainbiose.univ-st-etienne.fr

6– Gaied I., 2004, Contribution à l’étude de la contention : approche bidimensionnelle, identification du comportement biaxial en grandes déformations des tricots élastomériques, thèse de Doctorat, Mines Saint-Étienne, 2004EMSE0025.

7– Rohan C. P.-Y., 2013, Étude biomécanique de l’action des Bas Médicaux de Compression sur les parois veineuses du membre inférieur, thèse de Doctorat, Mines Saint-Étienne, 2013EMSE0721.

8– Eydan B., 2022, Rôle des mécanismes de frottement dans l’interaction dispositif médical de compression / corps humain, thèse de Doctorat, Mines Saint-Étienne.

9– Molimard J., Bonnaire R., Han W. S., Convert R., Calmels P., 2019, In-silico pre-clinical trials are made possible by a new simple and comprehensive lumbar belt mechanical model based on the Law of Laplace including support deformation and adhesion effects PLOS ONE, Public Library of Science (PLoS), 14, e0212681

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