L’INDUSTRIE DE RETOUR DANS LES TERRITOIRES : NOUVEL AVENIR POUR LES MINEURS ?
Auteur : Jean-Paul TORRE (P 1970 ICiv)
Avec des coûts de transports depuis l’Asie qui ont triplé en six mois et un deuxième volet du plan de relance de 35 milliards d’euros, le tissu industriel français pourrait tirer un certain bénéfice de la crise sanitaire. Celle-ci a mis en exergue les problèmes des sources d’approvisionnement délocalisées.
Les crises successives traversées par la France, qu’elles soient à dominante sociale ou sanitaire, révèlent à quel point les implantations industrielles ont un caractère structurant dans les territoires dits “périphériques”, c’est-à-dire en dehors des zones d’influence des grandes métropoles. Il suffit pour s’en convaincre d’entendre le désarroi des populations concernées lorsqu’un site industriel ferme ses portes, alors qu’il constituait souvent la principale source locale d’emplois et de revenus depuis des générations. Il s’ensuit un sentiment d’abandon et de déclassement qui fracture actuellement la société française.
DEPUIS DES DÉCENNIES, LE RECUL DE L’INDUSTRIE TRADITIONNELLE
L’auteur de ces lignes a pu observer les prémisses de ce clivage au cours de sa carrière de Mineur, qui l’a fait passer de l’Île-de-France à la Picardie puis à la Champagne-Ardenne (désormais intégrées respectivement aux Hauts-de-France et au Grand-Est) et a fini par le conduire dans la métropole lyonnaise. En Champagne-Ardenne, où j’ai occupé, entre autres, le poste de Directeur Général de l’Agence régionale de développement économique, j’ai constaté le déclin de territoires jadis prospères, à l’époque où y étaient concentrés des industries et des savoir-faire traditionnels (métallurgie, textile…). Ce déclin a progressivement conduit à la paupérisation, au recul démographique et, pour certaines couches de population, à une perte de confiance et de repères. Les équipes de développement économique, qui se battent pour implanter des activités dans de nouveaux secteurs (tertiaire, relation client, logistique, tourisme…) se sont souvent heurtées à la résignation et au scepticisme : “Ce ne sont pas de vrais emplois…”.
LA CRISE SANITAIRE MET EN TENSION LES FILIÈRES INDUSTRIELLES…
La crise sanitaire a cruellement mis en lumière la dépendance dans laquelle se sont placés les pays européens et notoirement la France vis-à-vis de sources d’approvisionnement délocalisées. Déjà perçus avant la crise, les problèmes logistiques et de qualité, les pertes de réactivité et de compétences, se manifestent désormais de façon éclatante, engendrant pénuries, retards et tensions. Cette crise révélatrice sera-t-elle aussi l’accélérateur d’un retournement de tendance ? Le mal sanitaire débouchera-t-il sur les bienfaits d’une réindustrialisation accrue ? On est en droit de l’espérer sur la base d’éléments factuels récents.
… ET OUVRE DES OPPORTUNITÉS
Selon le rapport annuel de Business France paru en 2020 et relatif à l’année 2019, le tissu industriel français est le principal bénéficiaire des investissements étrangers (nouveaux sites et extensions) avec 26 % du total des investissements et 380 projets contre 320 projets en 2018 (+19 %). Les activités de production restent les premières contributrices de l’investissement international en termes d’emplois avec 10 099 emplois créés et 3 715 emplois maintenus, soit + 22 % par rapport à 2018. Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, précise : “L’investissement international soutient ainsi l’effort de reconquête industrielle engagé par notre pays, 56 % des projets industriels se localisent d’ailleurs dans les territoires d’industrie.” Il cite un investissement dans l’Oise, destiné à “développer un site à la pointe de l’industrie 4.0, qui fera une large place à la fabrication additive et à des productions en interne actuellement externalisées en Europe et en Asie, par intégration de technologies de pointe.” Ces résultats rejoignent les statistiques de l’association Ieva, qui accompagne environ 200 cadres en recherche d’emploi chaque année en Auvergne-Rhône-Alpes. Dans cette structure où je suis actuellement animateur, responsable du Pôle Formation, la part du retour à l’emploi dans l’industrie a augmenté de 25 % entre la période 2017-2018 et l’année 2019.
QUI SOUHAITE SE LANCER EN RÉGIONS ?
Cette tendance va-t-elle se renforcer dans l’après-crise sanitaire ? Oui, d’après Business France qui attend beaucoup du plan de relance : “Le deuxième volet du
plan consacrera 35 milliards d’euros au renforcement de la compétitivité des entreprises, notamment pour développer le tissu productif industriel dans les secteurs innovants et gagner en autonomie pour nos approvisionnements sensibles (accompagnement de la relocalisation de secteurs critiques).” Deux grandes mesures sont soulignées : (1) la création du label “France Relance”, pour valoriser les véhicules d’investissement favorisant le renforcement du capital d’entreprises implantées en France et (2) la garantie publique accordée pour l’octroi de 20 milliards d’euros de prêts participatifs par les réseaux bancaires aux entreprises ayant un modèle viable à moyen terme mais qui sont fragilisées par la crise.
Le label “France Relance” a été créé pour valoriser les véhicules d’investissement favorisant le renforcement du capital d’entreprises implantées en France.
Un exemple significatif vient d’être fourni par l’annonce le 1er février 2021 de la relocalisation de la fabrication des cycles Mercier dans les Ardennes. Le communiqué de presse de l’entreprise précise : “Face à l’engouement pour le Made In France et le dynamisme du marché de la mobilité douce en Europe, l’entreprise fait le choix stratégique de se réinstaller en France. Une décision prise dans un contexte international perturbé par la crise sanitaire et qui marque un tournant pour la marque centenaire.” Le choix des Ardennes a été motivé par le fort ADN industriel du département. Comme un symbole, l’entreprise va plus précisément s’implanter dans la commune de Revin, sur l’ancien site de production de baignoires Porcher. Ce site occupait plus de 1 200 salariés en 1960 mais la production, transférée en Pologne, s’est arrêtée en 2016. Depuis, la commune n’a pas cessé de perdre des emplois et des habitants. Aujourd’hui l’espoir renaît dans ce territoire.
Les cycles Mercier, qui équipaient entre autres Raymond Poulidor, sont aujourd’hui présents au Sri Lanka, aux Philippines, à Taïwan, au Portugal, en Bulgarie et en Turquie. L’entreprise a choisi de réinstaller une usine en France, à Revin, où une dizaine de postes d’encadrement et une centaine liés à la production vont être créés fin 2021 ou début 2022, avec l’ambition de produire 500 000 vélos par an. L’usine compte s’appuyer sur des industries métallurgiques locales pour fabriquer des cadres en acier et en alu ainsi que des jantes.
CONCLUSION
La tendance à la réindustrialisation se confirme. Malgré la crise sanitaire qui a fait plonger la croissance française de 8,3 %, les projets d’implantations industrielles dans les territoires ont progressé de 28 % en 2020, selon le dernier baromètre du cabinet Ancoris. Ils offrent une belle opportunité pour les Écoles des Mines qui possèdent elles aussi un puissant ADN industriel. Encore faudra-t-il que nos ingénieurs n’hésitent pas à réinvestir les “territoires d’industrie” dont l’attractivité s’est dégradée, mais qui offrent désormais une meilleure qualité de vie que certaines métropoles.
Le déclin antérieur de ces territoires se traduit en effet aujourd’hui par une sous-représentation des cadres et professions intellectuelles supérieures dans la population. Certains bassins d’emplois rencontrent depuis plusieurs années des difficultés à recruter des cadres. Cette tendance devra aussi s’inverser.
JEAN-PAUL TORRE (P70), Responsable de la formation chez Ieva, groupe d’accompagnement au retour à l’emploi en Auvergne-Rhône-Alpes jean-paul.torre@mines-paris.org

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