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L’AUTOMOBILE DE LUXE OU LE LUXE DANS L’AUTOMOBILE ?

Revue des Ingénieurs

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08/09/2021

Auteur : Jean-Luc BROSSARD (E 1982 ICiv)

Si l'automobile de luxe est un produit distinctif, technologique et de "plaisir" à forte image de marque, les clés du luxe dans l'automobile sont souvent détenues par les ingénieurs. Explications.


Au cours d’une carrière dédiée à ma passion de l’automobile, j’ai eu l’occasion (le privilège) de travailler chez plusieurs constructeurs, dont des marques iconiques en Allemagne et Italie. J’ai retenu que l’automobile de luxe est un produit distinctif, technologique et de “plaisir” à forte image de marque. Ces caractéristiques se retrouvent aussi bien chez des marques de prestige comme Rolls-Royce ou Bentley, que de sport comme Aston Martin, Ferrari, Lamborghini ou McLaren. Ces marques s’inscrivent dans le segment des produits d’exception mais le luxe dans l’automobile peut être aussi porté par des marques plus accessibles, qui bénéficient d’un historique reconnu, comme Maserati, Porsche et Jaguar, ou considérées comme des premiums comme Audi, BMW, Mercedes… Je vais partager ici les retours de mon expérience à travers quelques clés du luxe dans l’automobile, clés souvent détenues par des ingénieurs comme nous.

OFFRIR UNE EXPÉRIENCE TRÈS RARE

C’est l’histoire, le prestige, les succès passés ou à venir dans les compétitions automobiles, la notoriété des clients qui font de ces marques des marques iconiques. Le produit automobile de luxe est un produit qui se mérite et qui se caractérise par sa rareté. En France, le marché automobile de luxe, toutes marques confondues, est de moins de 1 000 unités par an. Les clients des marques souhaitent être connus et reconnus. Des personnalisations doivent leur être proposées : plus de 6 500 combinaisons de matériaux et couleurs intérieures/extérieures sont disponibles sur une Maserati Quattro-porte ! Un client Ferrari peut venir avec son propre échantillon de couleur qui sera reproduit pour la peinture de son véhicule. Les ingénieurs doivent intégrer cette diversité dans la conception des véhicules.

UN SERVICE HAUT DE GAMME ET PERSONNALISÉ

L’attente de ces clients de l’automobile de luxe, est également basée sur un accompagnement par des services de haut de gamme. Une marque ne pourra pas être considérée comme “de luxe” si elle ne propose pas des “Flying Doctors” disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 en cas de problème, n’importe où dans le monde. Si nécessaire, le client se voit proposer un véhicule de remplacement dans la marque, et s’il est amené à être immobilisé un séjour dans un hôtel/spa 5 étoiles. Les clients seront régulièrement invités à des événements de marque. Le client n’est pas “anonyme” et ne se limite pas à un numéro d’immatriculation. Cela demande une réactivité de la part de nos ingénieurs qui développent ou s’appuient sur des services connectés performants. Le monde du luxe doit aller loin dans la digitalisation, car l’accessibilité à l’information et aux clients demeure le moyen de mettre la marque en valeur.

RACONTER ET FAIRE VIVRE UNE PAGE D’HISTOIRE

L’image forte de ces marques permet également le déploiement de produits dérivés. Les produits associés à la marque Ferrari représentent par exemple plusieurs centaines de millions d’euros par an de chiffre d’affaires. Maranello est un site touristique prisé : les mordus de la marque qui effectuent un pèlerinage dans le berceau mythique des bolides au “Cavallino Rampante” passent systématiquement visiter “La Galleria Ferrari”, la piste de Fiorano et poussent même jusqu’à Modena pour aller au “Museo Casa Enzo Ferrari”. Ces produits dérivés, qui doivent s’intégrer sans défaut dans l’expérience véhicule, nécessitent une conception d’accessoires par les ingénieurs, personnalisables et d’une volumétrie bien supérieure à celle d’une voiture classique.

Les marques de luxe automobile réalisent souvent des partenariats avec des marques de luxe d’autres secteurs, comme l’horlogerie ou la bagagerie. Le produit automobile est alors considéré, comme pour une montre (de luxe), un produit plaisir, d’exception, avec une image forte, qui permet à son propriétaire d’avoir un sentiment d’appartenance à un groupe restreint, et avec un fort attachement à sa marque. Il est intéressant également de constater que les accessoires, comme les clés par exemple, sont fortement associés à la marque et considérés individuellement comme des bijoux.

PENSER IMAGE DE MARQUE DÈS LE DÉBUT… ET CONTINUER

La grande force de Tesla a été de symboliser le développement de l’automobile électrique mondiale, en un temps très court, par un positionnement luxe dès l’origine, dans un univers qui se vit beaucoup plus dans l’industriel et la technique. L’image de marque, si importante pour les objets de luxe, se mesure régulièrement et est fondamentale. Les vraies marques de luxe portent une histoire et sont connues et reconnues. C’est cette image de marque qui permet une valeur d’estime telle que le futur propriétaire sera prêt à investir beaucoup plus que dans un simple produit d’usage. Comme pour les autres secteurs, les marges unitaires réalisées sur les véhicules de luxe (de prestige ou de sport) sont sans commune mesure avec les marges des constructeurs généralistes.

AVANT TOUT, UNE EXIGENCE DE HAUTE TECHNOLOGIE

Les véhicules proposés sont de véritables vitrines technologiques et intègrent les meilleures innovations du moment. Nous retrouvons les motorisations les plus technologiques, des éléments de comportement à la pointe de la technique, un panel d’aides à la conduite complet, un confort sans faille (acoustique, suspension, thermique…). Une attention particulière est apportée au cockpit digital, comme sur la dernière Mercedes EQS, privilégiant l’interface homme-machine et la connectivité, focalisé sur l’ergonomie et le ressenti du client.
C’est cette exigence technologique sans concession qui motive les ingénieurs concepteurs qui doivent toujours apporter la meilleure performance dans des domaines aussi variés que les équipements, les matériaux, les formes aérodynamiques, la connectivité, la propulsion, l’électronique embarquée. Les automobiles de luxe ont toujours constitué un champ d’expérience technologique avant une démultiplication sur des véhicules de plus grande série.

C’est pourquoi les marques de luxe collaborent beaucoup avec des marques généralistes : Ferrari-Maserati avec Alfa Romeo et Fiat, Porsche-Audi avec Volkswagen, etc.
Mais comme le disait le président de Mercedes, “le luxe, c’est la technologie au service de la simplicité”. L’EQS est le nouveau vaisseau amiral de la marque, proposant un écran continu sur toute la planche de bord (même s’il est réalisé à partir de 3 dalles distinctes derrière une vitre unique polycarbonate), offrant un design épuré.

 

La Maserati Granturismo - DR

 

DS, LE SUCCÈS DU LUXE À LA FRANÇAISE

La création de la marque DS sur un positionnement luxe est une réussite remarquable. DS a pour ambition d’incarner le savoir-faire français du luxe dans l’automobile. Deux de mes anciens collègues, qui ont collaboré avec moi sur l’Espace et l’Avantime, Béatrice Foucher et Thierry Metroz, incarnent aujourd’hui cette nouvelle marque, animée par l’esprit d’avant-garde et l’héritage de la DS de 1955, qui se veut à la fois raffinée et technologique.
La marque, qui se positionne clairement dans le marché premium, est reconnaissable non seulement à son style spécifique, mais également à un contenu technologique de premier ordre. Ce contenu technologique fait partie des “fondamentaux” des véhicules de luxe. Il n’est pas suffisant de proposer un style fort, il faut également des équipements, des matériaux et des groupes motopropulseurs différenciants, des finitions de qualité et une fiabilité sans faille.
Les marchés des voitures de luxe et premium sont certes très rentables par eux-mêmes, mais ils ont un rôle majeur de diffusion et de coopération avec les marques généralistes. Les ingénieurs du groupe Stellantis proposent des innovations qui seront appliquées, pour les premières expérimentations, sur les véhicules premium, avant d’être généralisées sur des volumes plus importants et rester ainsi à la pointe des développements technologiques du secteur. La Marque DS a ainsi été la première dans le groupe à lancer certaines aides à la conduite comme la vision de nuit, à proposer un confort unique grâce à “l’Active Scan Suspension” ou de la télémaintenance. Il est fondamental de proposer également des technologies de service de haut niveau : la DS4 possède un assistant personnel “DS Iris system” et des services accessibles “Only You” via l’application mobile “My DS”. Le réseau de distribution des DS est dédié et permet à la marque de faire référence au luxe à la française et à son émotion. Reste que l’ancrage d’une marque demande du temps et de la persévérance, avec des événements réguliers. Par expérience, sa reconnaissance demandera probablement près d’une trentaine d’années.
S’imposer comme une marque de luxe est un chemin difficile que des marques avec moins d’histoire, comme Lexus ou Infiniti (marques de Luxe respectivement de Toyota et de Nissan), n’ont pas encore terminé et qu’elles ne sont pas certaines de réussir dans le long terme.

ET SI LE LUXE DE DEMAIN C’ÉTAIT L’ABSENCE D’EMPREINTE ENVIRONNEMENTALE?

Tesla a dédiabolisé l’image de l’électro-mobilité en proposant une image positive du véhicule électrique et de son écosystème. Dans la foulée, nous assistons à une recomposition du marché automobile poussée par la réglementation, en particulier européenne, proposant une réduction drastique des émissions de polluants et de gaz à effet de serre. La motorisation électrique permet d’atteindre des prestations de haut vol, tout en gardant l’ADN des marques. La Tesla model S, en offrant la possibilité de voyager sur plus de 600 kms, un style digne des plus beaux modèles sportifs et un modèle de recharge rapide propriétaire, a permis de lever deux des verrous majeurs pour faire admettre la transition vers la mobilité électrique : l’autonomie et le temps de recharge. Les clients sont demandeurs de cette électrification, soit pour des raisons environnementales, soit pour accompagner une fiscalité naissante. Ils peuvent ainsi incarner une image positive de leader, soucieux de leur environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique, tout en gardant une élégance, un réel plaisir de conduire et une forte image technologique portée par l’automatisation et la connectivité. Toutes les marques de luxe se lancent, maintenant sur ce marché en proposant des véhicules de luxe électriques performants à forte autonomie, Porsche Taycan, Audi e-Tron GT quattro, Jaguar I-Pace, Mercedes EQS, entre autres, et demain Maserati Granturismo (qui m’est chère !), voire Ferrari. L’automobile de luxe sera d’abord électrique et sûrement Hydrogène dans les prochaines décennies, comme le concept-car Pininfarina Sintési, ambassadeur du “Liquid Packaging” avec 4 moteurs électriques et une Fuel cell (ce qui ne résout pas nécessairement les enjeux complexes d’un bilan écologique complet).

L’ÉLÉGANCE AURA TOUJOURS LE POUVOIR

Le marché automobile et celui de la mobilité ne se limiteront pas à une seule logique d’usage mais garderont une part de passion et de distinction. Pour plagier un slogan publicitaire, une partie de nos marchés sera toujours guidée par “le pouvoir de l’élégance” et l’avance technologique. Cela nécessitera de nouvelles compétences pour accompagner le besoin en innovation. Le marché du luxe est un marché porteur qui craint rarement les crises. L’automobile de luxe reste un symbole de réussite même si les signes ostentatoires peuvent être réduits, et permet l’émergence de nouvelles technologies portées par des développeurs passionnés. Il permet ensuite à d’autres ingénieurs de relever le défi, souvent difficile, de porter à grande échelle les prestations proposées.

 

JEAN-LUC BROSSARD (E82), Vice-Président Recherche et Innovation, STELLANTIS – jean-luc.brossard@mines-saint-etienne.org 

Jean-Luc Brossard a démarré sa carrière chez Matra Automobile en 1986, dont il fut successivement Responsable des essais, Directeur de projets (Avantime Renault, Espace, etc.) puis Directeur Technique. En 2003, il rejoint Ferrari, comme Chef de projet Coupé-Spider, puis Maserati en 2005 comme Directeur Technique et du Développement Produit, ainsi que Véhicules Line Executive Fiat. En 2007 il devient Vice-Président engineering de Pininfarina. Fin 2008, il revient en France pour intégrer PSA Peugeot Citroën, au poste de Directeur de l’Ingénierie Avancée et des innovations. De 2015 à 2021, il a été détaché à la PFA (Filière Automobile et mobilité) comme Directeur de la R&D. Vice-Président Recherche et Innovation de STELLANTIS, il assure également au niveau National la direction du programme Véhicule à Faible Empreinte Environnementale.

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