J’ai lu avec beaucoup d’intérêt la contribution d’Hélène Giouse, parue en septembre 2023 et intitulée « Facteur de charge : késaco ? ». H. Giouse a en effet rappelé ce qu’est le facteur de charge (« le rapport entre l’énergie effectivement produite et l’énergie totale qui aurait pu être produite si l’installation avait fonctionné continûment à sa puissance nominale »), et elle a utilement indiqué quelques facteurs de charge moyens récemment constatés (25 % pour l’éolien terrestre, 35 % pour l’éolien en mer, 75 % pour le nucléaire…).
Je souhaiterais prolonger la contribution d’H. Giouse par trois observations…
En sus de la valeur moyenne du facteur de charge, doit être prise en compte la volatilité de ce facteur.
Le facteur de charge moyen est un des facteurs qui déterminent l’intérêt économique et social d’un investissement électrogène : si la puissance nominale détermine le montant de l’investissement, c’est en effet le facteur de charge moyen sur l’année qui, combiné avec la puissance nominale, détermine la production effective. Mais le calcul socio-économique doit aussi prendre en compte la volatilité du facteur de charge au fil des heures et des jours (telle qu’elle est exprimée par l’écart-type ou la variance du facteur de charge instantané)…
À cet égard, comparons une éolienne off-shore et une éolienne terrestre… Il y a toujours un peu de brise en mer, et donc on peut dans une certaine mesure compter sur la production d’une éolienne marine, en tout cas plus que pour une éolienne terrestre (à terre, le vent peut être nul sur de longues périodes et sur de très vastes zones, voire à l’échelle de l’UE). Le facteur de charge d’une éolienne marine est donc moins volatil que celui d’une éolienne terrestre. De ce fait, les kWh produits par une éolienne marine, parce que leur disponibilité est mieux assurée, ont plus de valeur pour la collectivité nationale que les kWh produits par une éolienne terrestre (leur coût de production est également plus élevé, mais ceci est une autre histoire…).
En adoptant un autre point de vue, on peut dire que la différence des volatilités a pour effet que par rapport à un parc national qui serait largement composé d’éoliennes off-shore, un parc qui serait largement composé d’éoliennes terrestres et qui aurait la même production annuelle supposerait :
- plus d’investissements de secours permettant de compenser les insuffisances momentanées de la production éolienne (par exemple des turbines à gaz) ;
- ou plus de capacités de stockage (par exemple des batteries) ;
- ou des outils plus puissants de modulation à la baisse de la demande d’électricité (par exemple des contrats prévoyant « l’effacement » des consommateurs en cas d’insuffisance de la production)...
Joue également la possibilité de moduler volontairement le facteur de charge.
Deux installations dont les facteurs de charge auraient la même moyenne annuelle et la même variance présenteraient toutefois des intérêts très différents, si le facteur de charge de l’une pouvait être commandé et si l’autre ne pouvait pas l’être. On retrouve ici la différence fondamentale entre les énergies intermittentes (éolien, photovoltaïque…) et les énergies pilotables (énergies fossiles, énergie nucléaire, énergie de la biomasse, et dans une certaine mesure, énergie hydraulique sur retenues…) : pour la collectivité nationale, un kWh disponible quand on a besoin de lui a en effet plus de valeur qu’un kWh produit seulement quand le vent ou le soleil le veulent bien…
À cet égard, l’éolien n’est pas plus pilotable en mer que sur terre.
Les facteurs de charge peuvent dépendre de données extrinsèques.
La plupart des « facteurs de charge » annuels indiqués par H. Giouse sont « intrinsèques » : dans ce cas, le facteur de charge exprime le fait que l’équipement considéré fonctionne seulement si un certain « input » naturel est disponible (par exemple le soleil ou le vent), et aussi le fait que cet équipement connaît des arrêts en raison de pannes, d’opérations de maintenance, etc.
Mais on peut souligner que dans le cas du nucléaire, le facteur de charge (signalé égal à 75% en 2015) dépend aussi de données extrinsèques. En effet, les énergies renouvelables sont appelées en priorité sur le réseau (cette situation résulte notamment d’une directive européenne, et aussi, pour les productions petites et moyennes, de « l’obligation d’achat » que la loi nationale impose à EDF). Il en résulte que lorsque le vent souffle et que le soleil brille, les centrales nucléaires doivent baisser leur production pour laisser leur place aux énergies renouvelables, et donc connaissent une diminution de leur facteur de charge.
C’est d’ailleurs la cause de la difficulté de la cohabitation d’un important parc éolien et photovoltaïque avec un parc électronucléaire : le nucléaire étant très capitalistique, toute diminution de sa production augmente sensiblement le coût du kWh qu’il produit…
Ce phénomène explique un autre constat : dans les pays qui font un large appel aux énergies intermittentes (éolienne ou photovoltaïque), il est tentant d’ajuster la production en recourant à des moyens de production moins capitalistiques que le nucléaire, c’est-à-dire en recourant au gaz et au charbon, voire au lignite… C’est par exemple ainsi que pour un kWh produit, l’Allemagne (pays ayant déjà investi 600 milliards d’euros dans les énergies intermittentes et censé à tort être écologique…) rejette 6 fois plus de CO2que la France !
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