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FRÉDÉRIC MAZZELLA, NICOLAS BRUSSON ET FRANCIS NAPPEZ, COFONDATEURS DE BLABLACAR.

Revue des Ingénieurs

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14/03/2022

Auteur : Bertrand COCHI (P 1967 ICiv)

Est-ce que ta formation initiale (Normale Sup) te prédestinait à créer BlaBlaCar ?

Probablement pas, mais la recherche scientifique et l’entrepreneuriat partagent la créativité et la rigueur. Dans les sciences, j’inclus l’informatique. Les Américains l’appellent d’ailleurs Computer Science. J’ai également beaucoup étudié la musique ; en musique, il y a de l’émotion dans l’exécution. La combinai- son de la musique et des sciences renforce donc la créativité, la rigueur et l’émotion. Ma découverte de l’entrepreneuriat est venue plus tard sur le cam- pus de Stanford au cœur de la Silicon Valley. J’y étais au moment de la création de Google par Sergey Brin et Larry Page. Certains étudiants arrêtaient leurs études pour créer leur start-up. L’idée de BlaBlaCar, elle, m’est venue un beau mois de décembre. J’habitais Paris et voulais passer les fêtes de fin d’année en famille en Vendée. Tous les trains affichaient complet. J’ai appelé ma sœur Lucie qui habitait à Rouen pour lui demander de faire un détour par Paris pour me récupérer. Sur la route j’ai vu un TGV nous dépasser le long de l’A10, le train dans lequel j’aurais pu être. En même temps, j’ai vu des centaines de voitures presque vides qui se dirigeaient vers la Vendée. Pourquoi ne pas réserver une place libre dans une voiture ? L’aventure a commencé.

Quels sont les éléments sociaux économiques qui t’ont motivé pour créer BlaBlaCar ?

L’idée de départ était d’optimiser le remplissage des voitures, pour diminuer la pollution liée à nos déplacements. Les voitures sont vides ; c’est un gâchis massif, et donc une opportunité latente : des places pour des passagers ! Aussi, le covoiturage rapproche les gens et les rend plus ouverts. 21 % des membres révèlent même des choses en covoiturage qu’ils n’avaient jamais dites à personne. En regardant la route, on se livre plus facilement. BlaBlaCar est peut-être le plus grand psy du pays !

Quel impact a BlaBlaCar pour la planète ?

Avec 100 millions de membres dans 22 pays, BlaBlaCar permet l’économie de 1,6 million de tonnes de CO2 par an. C’est plus que l’intégralité des émissions de CO2 du trafic routier d’une ville comme Paris. Cela représente 0,3 % des émissions de CO2 de la France. BlaBlaCar est un service d’optimisation du monde réel, qui nécessite très peu de données pour permettre de grandes économies d’énergie dans le monde physique. On a fait les calculs : en comptant toutes les émissions liées à notre activité, les émissions totales de l’entreprise sont 625 fois moins importantes que les économies générées. Plus BlaBlaCar grandit, plus la pollution diminue !

BlaBlaCar est basé sur l’économie du partage. Peux-tu élaborer sur la confiance ?

La confiance est le socle de l’économie : pas d’économie sans échange, et pas d’échange sans confiance. Pour BlaBlaCar, nous avons théorisé et déployé un solide modèle de confiance entre des millions de membres [modèle DREAMS, voir encadré page suivante]. Avant l’émergence des plateformes, la confiance entre deux personnes se construisait au fil des rencontres. Aujourd’hui, on accède instantanément au profil et aux avis des autres utilisateurs qui ont déjà rencontré notre futur passager ou conducteur. Le capital confiance est partagé et démultiplié car on n’a plus besoin de s’être rencontrés pour se faire confiance. J’avais condensé les résultats de mes recherches sur la confiance dans l’étude “Entering the Trust Age”, menée avec l’université américaine NYU Stern1. On y démontre qu’un profil BlaBlaCar génère un degré de confiance supérieur à celui qui existe entre des collègues ou des voisins, et presque équivalent à celui qui existe entre des amis ou des membres d’une même famille.

Peux-tu nous parler des clés du succès de BlaBlaCar ?

La première clé est de bien s’entourer. Il faut recruter des personnes qui ont un potentiel d’évolution au-delà du poste à pourvoir. L’entreprise va grandir, les collaborateurs doivent pouvoir grandir avec.

Deuxième clé : aimer son produit et écouter ses utilisateurs. Ce sont eux qui vont donner les retours pour l’améliorer. Si possible, utiliser soi-même son pro- duit. Je suis utilisateur de BlaBlaCar depuis toujours, comme conducteur et passager.

Troisième clé : ne pas avoir peur d’essayer pour apprendre.

Enfin, dernière clé : La culture et les valeurs qui lient les équipes. Chez BlaBlaCar nous avons construit notre culture autour du principe “Fun & Serious” : nous sommes sérieux dans notre travail, mais nous ne nous prenons pas au sérieux.

Frédéric Mazzella, Nicolas Brusson et Francis Nappez, cofondateurs de BlaBlaCar.

“Fred, il te faut un modèle économique sinon ton projet va mourir”  t’a  dit un jour Peter Zemsky, professeur   de   Stratégie et Innovation à l’INSEAD.

Pourquoi  est-ce   important   ? Le modèle économique est le moteur de l’entreprise, élément fondamental sans lequel l’entreprise ne fonctionne pas. Il est parfois difficile à trouver et à mettre en place. Chez BlaBlaCar, nous avons essayé six modèles différents avant d’opter pour une commission sur les transactions entre conducteurs et passagers. C’était le bon modèle : il a apporté beaucoup d’améliorations, mais c’était aussi le plus complexe à mettre en place.

Dans ton ouvrage “Mission BlaBlaCar”, il y a de remarquables fiches méthodes. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Il y a trois dimensions dans le livre : le récit, les histoires parallèles et les fiches méthodes. Le récit est en format entre- tien, avec mes co-auteurs : cela le rend vivant et accessible. Nous avons placé des anecdotes instructives sur toute l’histoire de la création de BlaBlaCar. Les histoires parallèles, quant à elles, illustrent des sujets abordés dans le récit, avec les expériences d’autres entreprises : la nouveauté chez Pixar, la marque chez Google, l’optimisme à la MAIF... Enfin, les fiches méthodes abordent tous les sujets qu’un entre- preneur doit connaître : recrutement, culture, marque, produit, internationalisation, modèle économique… avec pour chaque thème, une “checklist” des concepts sur lesquels réfléchir, souvent présentée sous forme d’acronyme simple à retenir : méthode PITCH pour “Convaincre”, méthode PERFORM pour “Accélérer”... C’est presque une analyse SWOT pour chaque sujet !

Quelle est la technologie sous-jacente de la plateforme d’échange : intelligence artificielle pour la mise en relation ?

Nous utilisons de nombreuses technologies chez BlaBlaCar, et en ce qui concerne l’intelligence artificielle, nous avons développé des outils de Machine Learning pour recommander les bons trajets, proposer les bons points de rendez-vous le long d’un trajet et valider les messages ou les questions échangées entre les membres (modération des contenus).

Est-ce   que   BlaBlaCar   craint les  géants  de  la  Tech  :  Google,   Amazon,   Meta…   ?

Pas nécessairement, car ces géants pra- tiquent le “Make or Buy” : ils consultent les acteurs d’un domaine avant de choi- sir soit de les racheter, soit de dévelop- per leur propre solution. J’imagine que s’ils s’intéressent au covoiturage, ils viendront au moins nous voir. Les 5 plus grands acteurs de la tech aux États- Unis ont racheté en moyenne 200 sociétés chacun sur les 15 dernières années. Google a par exemple acheté Waze, YouTube ou Android, quand Meta (Facebook) a racheté Instagram, WhatsApp et Oculus.

Tu as lancé il y a quelques années  “Reviens  Léon”, un mouvement pour promouvoir nos start-up françaises à l’étranger, pourquoi ?

La vision de “Reviens Léon”, que j’ai aujourd’hui intégrée dans France Digitale, est l’attraction des talents expatriés. Il s’agit d’aider les start-up et scale-up à recruter massivement lorsqu’elles se trouvent en phase d’hypercroissance dans une optique d’internationalisation. Il faut attirer des personnes qui ont l’état d’esprit “global

/ mondial” pour réussir à exporter ses services ou produits. Mais il faut en parallèle développer encore nos formations dans la tech, car nous avons une pénurie de talents.

A-t-on aujourd’hui les structures et l’accompagnement pour développer des start-up en France ?

Oui, il existe maintenant beaucoup de structures d’accompagnement et il y a aussi beaucoup de financement disponible. Coaching, coworking ou associations d’entrepreneurs (France Digitale, Le Galion) font que l’entrepreneur se sent moins seul face à ses challenges. Néanmoins, réussir demande toujours autant de travail et comme je le rappelle dans “Mission BlaBlaCar” : “Ne cherchez pas d’ascenseur, il n’y en a pas. Les entrepreneurs prennent toujours l’escalier”.

Considères-tu BlaBlaCar comme une école de formation  pour  startupers  ?

Oui, avoir appris en faisant grandir BlaBlaCar a encouragé de nombreux collaborateurs et collaboratrices à se lancer ! Nous comptons déjà plus de trente sociétés créées par des anciens de BlaBlaCar. Laure Wagner par exemple, notre toute première collaboratrice, a créé 1km à pied qui aide à la relocalisation des travailleurs.

La pandémie a-t-elle affecté BlaBlaCar ? Comment BlaBlaCar a réagi ?

Oui, du jour au lendemain on a “coupé le son”. Mais le covoiturage ne nécessite pas de prévoir longtemps à l’avance, et le trafic est donc revenu immédiate- ment en sortie de confinement. Les crises permettent des accélérations et des changements. D’ailleurs, le mot crise en chinois s’écrit “danger-opportunité” ! Nous faisions déjà du télétravail, mais avec la crise nous sommes passés en 100 % télétravail. Même durant les périodes de faible activité, nous avons conservé toute notre équipe tech à plein régime pour pour- suivre notre innovation. Nous n’avons réduit la voilure que sur les fonctions dépendantes du volume : le service client et le marketing. Le covoiturage est un déplacement de loisir et il a donc moins souffert que les déplacements professionnels : les gens n’ont pas arrêté d’aller voir leurs proches. Par ail- leurs, durant le confinement, la communauté nous a demandé de mettre en place un service d’entraide pour faire ses courses entre voisins : BlaBlaHelp, solution qui a démontré la force de notre communauté.

Les crises sont toujours singulières, mais à force d’en traverser on se met plus facilement en action pour les résoudre avec les bons atouts en notre possession.

Après avoir déployé BlaBlaCar et BlaBlaCar Daily, votre application de covoiturage quotidien pour les trajets domicile-travail, quel sera le next step ?

Nous souhaitons à terme être le “tout-en-un” de la réservation de transport en ligne, en permettant de trouver sur Bla- BlaCar non seulement du covoiturage et du bus (nous distribuons déjà des billets de bus dans de nombreux pays), mais aussi bientôt du train, le tout dans un seul moteur de réservation.

Quel Message voudrais-tu adresser aux jeunes ingénieurs qui seraient motivés par la création d’entreprise ?

C’est le moment ou jamais de faire face aux grands défis : trouvez votre mission. Apportez vos idées et vos solutions. Entourez-vous de personnes qui vous complètent. Soyez à l’écoute de vos futurs utilisateurs pour construire un projet cohérent et qui fonctionne dans son environnement. Aimez votre pro- duit ou service, et utilisez-le autant que possible ! Je leur conseille aussi bien sûr de lire “Mission BlaBlaCar”, qui expose de manière agréable et concrète beau- coup de concepts, astuces et méthodes pour lancer son propre projet, tout en racontant l’histoire d’une “licorne”.

Il faut partir sur des bases solides sans brûler les étapes, monter l’escalier lentement mais sûrement, et surtout, s’amuser !

 

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