Auteur : Joël HENRI (N 1967 ICiv)
Dette, balance commerciale, taux d’emploi… Pour comprendre l’impact du Covid et de la crise, il faut regarder avec attention ces grandes données de l’économie, et les analyser. Explications.
LES DÉSÉQUILIBRES ÉCONOMIQUES
En 2010 la France présentait une situation économique nettement dégradée par rapport à 1980. Dette publique, déficits du commerce extérieur, solde des transactions courantes et part de l’industrie dans le PIB étaient préoccupants. Durant les neuf années qui ont suivi, la croissance annuelle du PIB en volume a été de 1,2 % en moyenne. L’industrie a cessé de se contracter mais est restée à un niveau très insuffisant pour équilibrer les comptes de la France avec l’extérieur et pour réduire sensiblement le chômage, passé de 9,3 % au pic de la récession qui a suivi la crise des subprimes à 8,4 % (Eurostat).
Nous remarquons que le solde du commerce extérieur de l’énergie et des matières premières représente à partir de 2010 environ 80 % du solde de commerce extérieur de biens et que le solde du commerce extérieur des biens électroniques (négatif) n’a cessé de croître. La performance économique ne peut pas être évaluée en 2020 en raison des confinements qui ont fortement réduit l’activité économique, mais le pays est bien grevé d’un accroissement de 273 mrd€ de la dette publique et, comme indiqué plus bas, d’une détérioration de sa position extérieure vis-à-vis de l’étranger de 139 mrd€.
LE PIB PAR HABITANT
Le recul relatif de la France concernant le PIB par habitant donne lieu à des controverses politiques. Il faudrait toutefois considérer les pyramides des âges des pays. Ainsi la part des personnes âgées de 20 à 64 ans dans la population (les plus productives) est de 59,9 % en Allemagne et de 56.4 % en France, ce qui explique 3,5 % de l’écart de 8,0 % entre la France et l’Allemagne. Une autre raison, qui est un défaut structurel de la France, est que le taux d’emploi des personnes de 20 à 64 ans est inférieur de 7,6 % à celui de l’Allemagne. L’Espagne et l’Italie connaissent aussi de graves déséquilibres économiques.
LA PRODUCTIVITÉ
La productivité par personne occupée nécessite des explications tant cette donnée suscite des commentaires hâtifs. Un indice 100 est attribué chaque année à l’ensemble de l’Union européenne à 27. On calcule le PIB par personne employée pour ce périmètre, soit P, puis Pi, PIB par personne employée dans le pays i. L’indice de productivité du pays i est défini par le rapport Pi/P.
En 2019, l’indice vaut 105,9 pour l’Europe à 19 qui est la zone euro. L’indice est nettement plus bas dans les pays de l’Est, par exemple, 70,6 en Hongrie ou 73,0 en Slovaquie ; c’est la conséquence de salaires bien plus faibles.
L’indice est calculé par personne employée sans faire la distinction entre emplois à temps complet et à temps partiel. Ainsi avec un taux de personnes à temps partiel plus élevé en Allemagne qu’en France et une durée hebdomadaire du travail inférieure (35,0 en Allemagne et 37,4 en France selon Eurostat), l’écart d’indice de 13,8 entre la France et l’Allemagne est largement expliqué. Il est difficile d’aller plus loin parce qu’Eurostat ne fournit pas le PIB par heure travaillée dans chaque pays. Un autre aspect de la productivité par personne concerne les administrations publiques. Selon les conventions internationales, les administrations publiques contribuent au PIB pour leur coût de fonctionnement (salaires et charges de toute nature). Si une administration a un coût de 1 mrd€, il vient majorer le PIB d’autant avec, en France, contrepartie en augmentation de dette publique. Si ses agents sont mieux payés que les autres personnes occupées, salariées ou indépendantes,
l’indice de productivité augmente. Le millefeuille territorial, avec ses doublons de fonctions, est un cas bien connu de surcoût administratif. Le covid a révélé que 30 % des coûts des hôpitaux français étaient imputables aux fonctions administratives contre 20 % pour les allemands.
Nous avons indiqué le coût horaire du travail. Le surcoût de la France par rapport à l’Allemagne s’est fortement réduit. De 3,5 € en 2012 il est passé à 1,1 en 2019. Le handicap de la France n’est donc plus un coût du travail plus élevé mais bien un taux de personnes employées plus faible chez les 20 à 64 ans.
UN NIVEAU SCOLAIRE MOYEN ET UN TAUX DE DÉCROCHAGE PRÉOCCUPANTS
L’étude PISA est menée tous les trois ans par l’OCDE dans environ soixante-dix pays. Nous n’avons pas trouvé d’indicateur précis d’ensemble pour les trois compétences testées chez les élèves du 15 ans : mathématiques, sciences et compréhension de l’écrit. Approximativement, pour les trois compétences, la France a reculé de la 18e place en 2003 à la 24e en 2018. Les pays qui l’ont distancée étaient proches d’elle en 2003. Les écarts avec l’Allemagne sont très faibles sauf en sciences où l’écart est de huit places. Un autre indicateur défavorable est le taux de décrochage, les fameux NEET (not in education, employment or training).
S’il ne se détériore pas sensiblement, il demeure à 11,1 %, très supérieur à ceux de l’Allemagne, 5,9 %, ou de l’Europe du Nord.
LA BALANCE DES PAIEMENTS ET LA POSITION EXTÉRIEURE DE LA FRANCE.
Leur détermination incombe à la Banque de France. Elle publie chaque année un rapport qui fait foi auprès des organes de l’Union européenne et qui contient une masse d’informations Nous avons indiqué au paragraphe déséquilibres économiques le solde du commerce extérieur des biens et des services et celui des transactions courantes.
En ordre de grandeur, les importations et les exportations sont voisines de 500 mrd€. Les services, dont le solde bénéficiaire compense en partie le déficit sur les marchandises, portent sur des montants d’achats ou de ventes proches de 40 % des importations ou des exportations. Les plus importants sont les transports, les voyages (incluant le tourisme), l’informatique et les télécommunications, les services techniques aux entreprises, la R&D et le conseil.
Pour passer au solde des transactions courantes, il faut principalement prendre en compte les intérêts et dividendes reçus ou payés, les rémunérations des travailleurs frontaliers (20 mrd€ reçus), les envois de fonds des travailleurs à l’étranger, les paiements aux organisations internationales et les contributions au budget de l’Union européenne.
Au plan financier le solde des transactions courantes représente ce que l’économie nationale doit financer par de nouveaux emprunts ou des ventes nettes d’actifs. La position extérieure est la situation financière nette de la France vis-à-vis de l’étranger : investissements de la France à l’étranger diminués des investissements étrangers en France plus les créances sur des étrangers diminuées des dettes envers l’étranger.
La variation de la position d’une année à l’autre est le solde des transactions courantes corrigé d’une réévaluation des actifs ou passifs en fonction des cours de bourse ou de change (-57,4 mrd€ au titre de 2019) et d’un poste Autres variations (40,4 mrd€).
La détérioration de la position extérieure, passée de -192 mrd€ à fin 2010 à -556 mrd€ à fin 2019 aboutit à réduire l’autonomie de décision du gouvernement1 et à accroître le risque de crise financière (les étrangers détenaient 53,6 % de la dette publique négociable à fin 2019). Toutefois la détention extérieure des actions cotées au CAC 40 est de 40 % alors que sur les grandes places mondiales elle se situe en moyenne à 50 %.
CONCLUSION
Les données présentées ci-dessus montrent un pays économiquement affaibli par des dizaines d’années de laxisme budgétaire. La responsabilité ne peut en être imputée aux seuls gouvernants ; les déficits budgétaires ont été ratifiés par des parlements élus. Annoncer qu’en priorité les comptes seraient redressés au prix de réductions de dépenses bien précisées, et a fortiori d’impôts, garantissait l’échec électoral. Des illusions économiques ont été partagées par une majorité de la population.
Si les mines devaient fermer et l’industrie lourde régresser, la volonté de maintenir par ailleurs une industrie forte a manqué. Cette dernière a suscité méfiance pour de nombreux motifs et désintérêt pour ses métiers. Elle a dû évoluer dans un climat fiscal et réglementaire défavorable qui n’a que récemment commencé à se modifier. Si la prise de conscience des ravages de la désindustrialisation est générale, il n‘est pas certain que les remèdes de relance, qui seront longs à agir, fassent l’objet d’un consensus suffisant.
1- Dans son livre “Il était une fois… L’Argent Magique”, paru en mai 2021, le professeur Daniel Cohen parle d’un pays détenu
Par JOËL HENRI (N67) – joel.henri@mines-nancy.org
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