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[La Revue des Mines #514] Là où il y a une volonté, il y a un chemin

Revue des Ingénieurs

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10/12/2021

Auteur : Robert PISTRE (P 1961 ICM)

Trois camarades de promo (X44) ont laissé une empreinte durable dans le corps et dans ma carrière : Claude Daunesse, André Giraud et Pierre Laffitte.


Pierre Laffitte est arrivé comme sous-directeur de l’École des mines, à peu près au même moment que Daunesse devenait directeur des mines et celui-ci a été son complice, fort utile, car c’était lui qui avait la tutelle de l’École. Laffitte bouscule tout en créant de nouvelles implantations à Fontainebleau puis à Corbeil. Ultérieurement, il crée Sophia Antipolis. Avec ses copains du Lycée Massena qui ont apporté chacun un million d’anciens francs, avait été réalisé l’achat d’une grande pinède. Laffitte m’y a amené alors qu’il n’y avait rien et avec son bâton balayant l’espace, il me dit : “Ici, il y aura 100 000 emplois !” C’est là que j’ai vu une application de l’axiome : “Là où il y a une volonté, il y a un chemin.” Et sur le plan scientifique, Laffitte développe de nouvelles disciplines comme avec Pierre Faurre, Michel Sindzingre, Georges Matheron, Claude Riveline, Michel Berry ou plus tard Pierre-Noël Giraud. Mais pas seulement qu’avec des ingénieurs des mines, par exemple en prenant une initiative originale en créant une chaire de sociologie avec Michel Callon qui a eu comme successeur Bruno Latour. Il s’est donné des marges de manoeuvre avec la création d’Armines mais aussi de corps d’enseignants et de chercheurs propres aux écoles, ce que n’a pas fait l’X. Bref, Laffitte a révolutionné l’École des mines de Paris.
Il m’a proposé de le rejoindre en 1973 pour m’occuper de la formation des corps de l’État et de l’implantation parisienne. Ce fut pour moi un grand plaisir de travailler auprès de lui et j’ai pleinement adhéré à sa vision que les Grandes Écoles ne se distinguaient pas de l’Université parce qu’elles sont meilleures, mais par leur capacité à faire des choses différentes du fait de leur mobilité. À ce titre, par exemple, Pierre Laffitte a été l’artisan de la mise en place d’une formation indépendante pour les ingénieurs- élèves des corps de l’État sur trois ans.

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3 ANECDOTES SUR PIERRE LAFFITTE

Laffitte restait imperturbable en toutes circonstances. En 1981, un socialiste paumé se retrouve au cabinet de Dreyfus (ministre de l’Industrie) et vu ses faibles talents on lui confie un dossier où le cabinet ne pouvait faire aucun dégât, celui des Écoles des Mines. Un jour cet égaré demande à nous rencontrer. Laffitte organise un déjeuner chez lui. Première question de l’intéressé : “Monsieur Laffitte, est-ce que vos élèves ont le bac ?” Pierre se tourne vers moi et me dit : “Robert, tu me corriges, si je me trompe, mais je crois que oui, enfin tu vérifieras s’il te plaît !” Et tout le déjeuner était de ce tonneau et je me pinçais pour garder mon sérieux. Comme dit Jean Lassalle, parfois le comique et le tragique peuvent aller de pair. Et puis il y en a qui proclament que le politique doit mettre au pas les administrations!

En 1982, arrive comme ministre de l’Industrie, Jean-Pierre Chevènement, maire de Belfort. Il convoque Laffitte et lui demande de créer une antenne de l’école des mines à Belfort. Laffitte ne se démonte pas et lui dit : “Monsieur le ministre, j’ai bien mieux à vous proposer. Je suis très lié au patron de l’Université d’Aix-la-Chapelle et nous avons un rêve, créer quelque part en France un grand Institut scientifique et technique franco-allemand, mais un projet de grande ampleur. Harvard sera enfoncé. Et il ne peut être porté que par un politique de premier plan : vous M. le ministre !” Chevènement mord à l’hameçon et le temps que l’affaire soit étudiée, il n’était plus ministre !
Je racontais ça un jour à Fabrice André, vice-président de l’Amicale et il me dit : “Oui nous aux Télécom, comme des cons, on a dû faire quelque chose à Belfort !” Un soir, les élèves titulaires viennent avec leur matelas sur le dos passer la nuit à l’École, pour manifester leur mécontentement de l’état de la Maison des Mines (qui n’était pas gérée par l’École mais par une association subventionnée par le ministère). Laffitte va à leur rencontre et leur dit : “Si je comprends bien, vous n’êtes pas satisfait de la Maison des mines et vous avez bien raison de ne pas vous laisser faire. Mais vous voyez, vous êtes là avec vos matelas et il n’y a que vous et moi qui sommes au courant. Entre nous, c’est nul ! Si vous voulez avoir un impact, voilà ce que je vous propose : Moi, j’appelle la police pour vous expulser. Vous, vous appelez la télé pour filmer la scène. Comme ça, il y aura un impact sur ceux qui décident. Écoutez, je suis un grand démocrate, je me rallierai à votre décision. Votez là-dessus.” Résultat une demi-heure après : les matelas reprenaient le chemin de la Maison des Mines.

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À titre personnel, finalement, je m’aperçois que la plus grande partie de ma carrière a été menée auprès de deux Niçois (Laffitte et Beffa). Là, j’ai vu comment on traitait les problèmes dans un espace fondamentalement courbe. Dans l’idéal anglo-saxon, on pense A, on dit A et on fait A. Chez les Méditerranéens, on pense A, on dit B et on fait C. Bref, quand un Méridional dit quelque chose, il ne le pense pas et il ne le fera pas. C’est quand même  plus stimulant pour faire fonctionner l’intellect. Quand Laffitte s’exprimait devant des Parisiens qui avaient du mal à suivre, il se croyait obligé parfois de préciser : “Et en plus, ça c’est vrai !”.

Par ROBERT PISTRE (P61 CM), ancien responsable de la formation du Corps des Mines et de l’établissement de Paris de l’École des Mines.

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